Coronavirus : le casse-tête du passeport vaccinal

La mise au point de passeports vaccinaux fonctionnels, et le stockage, le partage et la protection de nos données personnelles représentent des défis non-négligeables du « monde d'après ».

De Jackie Snow
Publication 16 avr. 2021, 10:23 CEST
Music fans show their "Green Pass" before entering a concert in Tel Aviv on March 26, ...

Le 26 mars dernier à Tel-Aviv, des spectateurs font la queue pour montrer leur « passeport vert » vaccinal avant un concert. Des applications numériques sont utilisées pour prouver que les détenteurs du passeport ont bien été vaccinés contre la COVID-19. Elles devraient également permettre aux personnes ayant reçu le vaccin de voyager à nouveau.

PHOTOGRAPHIE DE Dan Balilty, T​he New York Times, Redux

Au cours des douze derniers mois, le documentariste israélien Oren Rosenfeld a réalisé des dizaines de travaux sur la pandémie de COVID-19. Mais, au moment de se faire vacciner à Tel-Aviv, il a oublié d’immortaliser la scène.

« L’infirmière a été très rapide », raconte-t-il. « Je ne voulais pas faire semblant sur la photo, alors j’ai attendu la seconde dose ».

Une fois que les effets de celle-ci se sont fait sentir, le documentariste a obtenu son « passeport vert », le certificat israélien de vaccination. Ce document, qui permet aux personnes vaccinées de se rendre à la salle de sport, au restaurant, à la salle de concert et au cinéma, peut être délivré au format papier ou numérique (un code sera alors fourni sur une application pour être scanné par les commerces et lieux de divertissement). Si le détenteur du « passeport vert » a été vacciné, une coche verte apparaît à l’écran et la personne est autorisée à accéder au lieu.

Disponible pour 80 % de la population adulte, qui a reçu les deux doses de vaccin, le passeport vaccinal de l’Israël est le programme de ce type le plus abouti au monde. L’Union européenne prévoit de mettre en place un « certificat vert numérique » semblable dès cet été. Celui-ci contiendra, sous la forme d’un code QR à scanner, des informations relatives à la vaccination, aux résultats des tests COVID-19 et au rétablissement suite à la maladie, et permettra aux citoyens européens de prendre l’avion et de voyager dans les États membres.

À Seattle, un patient reçoit une carte de vaccination après avoir été vacciné contre la COVID-19. Pour voyager à nouveau, ces cartes et passeports vaccinaux numériques pourraient s’avérer essentiels.

PHOTOGRAPHIE DE Grant Hindsley, AFP/Getty Images

Aux États-Unis, le seul moyen de vérifier le statut vaccinal d’une personne consiste à montrer la carte en papier délivrée par l’U.S. Centers for Disease Control (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, ou CDC) après la vaccination totale. Sur ce document, semblable à la carte jaune de l’Organisation mondiale de la santé, figurent des informations médicales comme le type de vaccin administré, la date de la ou des injections et le lieu de vaccination.

Mais ce bout de papier ne serait pas suffisant pour voyager. En mars dernier, lorsque l’Islande a commencé à accueillir les visiteurs vaccinés, les cartes de vaccination des CDC n’étaient dans un premier temps pas recevables ; le pays les accepte désormais. Alors que des rapports font état de la vente de fausses cartes des CDC sur Internet, il sera essentiel d’obtenir une version ne pouvant être falsifiée et acceptée dans le monde entier pour voyager à l’international.

La mise au point de passeports vaccinaux fonctionnels, et le stockage, le partage et la protection des données personnelles qu’ils contiennent, représentent quelques-uns des défis auxquels sont confrontés les concepteurs des quatre coins de la planète.

 

LE PASSEPORT VACCINAL, QU’EST-CE QUE C’EST ?

Après plus d’une année de confinements, les vaccins sont la promesse de réunions familiales et de voyages. Tous les pays réfléchissent à de nouvelles façons d’ouvrir leur économie en toute sécurité, ou de la manière la plus sûre possible, et d’autoriser leurs citoyens à sortir de leur maison et de leur ville. Ils cherchent notamment à faire cela grâce aux passeports vaccinaux, qui attestent de la vaccination contre les formes graves du coronavirus.

Si la forme exacte de ces certificats de vaccination reste encore à déterminer, des dizaines d’applications numériques sont dans les tuyaux. Une technologie aussi basique qu’un code QR sur une feuille de papier pourrait ainsi faire office de passeport pour permettre les déplacements entre les pays.

Outil associant le carnet de vaccination d’une personne à une application, le passeport vaccinal numérique peut être présenté aux postes de frontière ou aux comptoirs d’enregistrement à l’aéroport. La source des données, la manière dont elles sont stockées et les informations divulguées dépendent du groupe ou de la société qui fournit l’outil. Une option papier, avec des code-barres ou des codes QR, est proposée par bon nombre de ces applications pour les personnes ne possédant pas de téléphone portable.

 

PLUSIEURS PASSEPORTS EN COURS D’ÉLABORATION

Plusieurs sociétés tentent de partir des documents papier pour numériser les données relatives à la vaccination de manière sûre, équitable et confidentielle, assurent-elles. Le Washington Post a réussi à obtenir une série de diapositives de l’administration Biden, qui montre qu’au moins 17 passeports vaccinaux différents sont actuellement élaborés dans le monde.

Le défi est immense. Depuis des mois, l’entrée des voyageurs sur le territoire de nombreux pays est conditionnée à la fourniture de résultats négatifs au test COVID-19. Il est par ailleurs plus facile à l’heure actuelle d’obtenir les résultats de ce test que de prouver son statut vaccinal. Alors, pour prouver qu’ils peuvent entrer dans un pays, les voyageurs fournissent des bouts de papier ou des e-mails provenant de laboratoires, parfois dans une langue inconnue des contrôleurs, et l’absence d’un format normalisé a laissé s'installer une grande confusion.

« Cela devrait être simple », souffle Ramesh Raskar, chargé de recherches au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et fondateur de la PathCheck Foundation, un groupe de bénévoles qui élabore un passeport vaccinal. « Cela ne devrait pas être plus envahissant ni plus compliqué que la carte de vaccination des CDC ».

Le passeport vaccinal PathCheck associe les carnets de vaccination certifiés à un code QR pouvant être scanné par tout établissement ou bureau d’immigration nécessitant de telles informations médicales. Les données sont stockées de manière à éviter toute falsification et sont disponibles hors ligne. Les informations peuvent également être fournies par les fournisseurs de vaccins au format papier et ainsi être utilisées par les personnes n’ayant pas Internet ou ayant un accès limité à celui-ci.

Une chose est sûre : une homogénéisation des données renseignées sur les différents passeports vaccinaux en vue de leur utilisation à l’international et dans plusieurs langues est nécessaire. Eric Piscini, responsable du projet de passeport vaccinal chez IBM, cite comme exemple l’utilisation d’un même lecteur de cartes par les commerces pour plusieurs types de cartes bancaires (à la technologie finale légèrement différente).

« Il faut définir un ensemble de normes sur lequel tout le monde peut se baser », explique-t-il. « Vous ne voulez pas utiliser trois applications différentes lorsque vous vous rendez dans trois pays différents ».

L’Excelsior Pass, passeport vaccinal de l’État de New York, repose sur la technologie de passeport vaccinal d’IBM. Il est actuellement testé dans plusieurs complexes sportifs et stades, où les New-Yorkais présentent une application avec un code spécial que les contrôleurs scannent ensuite à l’aide d’une autre application. Le code contient des informations relatives au statut vaccinal ou à un test COVID-19 récemment effectué par la personne. Une coche verte apparaît à l’écran si tout est en ordre. À l’heure actuelle, l’Excelsior Pass n’est pas obligatoire.

Autre option en cours d’élaboration : le CommonPass. Selon Paul Meyer, directeur général de The Commons Project Foundation, cette technologie permettra aux individus de prouver leur statut COVID-19 et de présenter des informations vitales concernant la vaccination, peu importe la langue et les normes adoptées d’une région à l’autre. Pour l’heure, elle est employée par Aruba pour garantir un test COVID-19 négatif. Quant aux compagnies aériennes Japan Airlines et Qantas, elles testent actuellement l’application CommonPass.

Paul Meyer estime que chaque passeport vaccinal doit être conçu d’un point de vue de la santé publique et non du voyage. « Il s’agit d’un problème de santé et d’un problème de soins que nous devons résoudre. Si nous le faisons correctement, le monde du voyage pourra en bénéficier ».

 

UNE MENACE POUR L’ÉQUITÉ ?

Alors que de multiples passeports vaccinaux numériques sont en cours d’élaboration, l’ACLU (Union américaine pour les libertés civiles) a fait part de ses inquiétudes quant à la menace éventuelle qu’ils représentent pour la vie privée et les libertés civiles des citoyens. Cette crainte, et des manœuvres politiques, ont poussé certains États américains à interdire l’utilisation de ces passeports. La Floride et le Texas ont ainsi adopté une loi les rendant illégaux, et d’autres gouverneurs ont déclaré qu’ils ne rendraient aucun type de certificat de vaccination obligatoire pour accéder aux commerces et lieux de divertissement.

D’autres pays se préoccupent également de ces questions. Stephanie Hare, chercheuse en technologie basée à Londres, est très inquiète au sujet du programme britannique de « certification du statut COVID-19 », récemment annoncé par le gouvernement. La vaccination n’étant pas ouverte à toute la population, la chercheuse craint que ce programme punisse ceux qui aimeraient être vaccinés, mais n’ont pas encore pu l’être. Stephanie Hare fait le lien avec l’application de suivi pour la COVID-19 lancée par le Royaume-Uni il y a quelques mois : celle-ci n’avertissait pas les utilisateurs lorsqu’ils avaient été exposés au virus.

Selon la chercheuse, il convient de se focaliser sur la manière dont un passeport vaccinal influencerait de manière positive la pandémie, c’est-à-dire en prenant en compte le niveau de réduction du taux d’infection.

Un passager scanne son certificat de santé numérique avant d’entrer dans une gare de la province du Guizhou, en Chine, en janvier 2021. Plusieurs pays mettent au point des applications de suivi sanitaire fonctionnant avec des codes QR (les fameux passeports vaccinaux) pour vérifier que les voyageurs ont bien été vaccinés contre la COVID-19.

PHOTOGRAPHIE DE Yang Wenbin, Xinhua, Eyevine, Redux

« J’adorerais qu’une solution technologique résolve cela », dit-elle. « Mais je doute que cela fonctionne. Si les passeports vaccinaux ne réduisent pas le [taux d’infection], pourquoi existent-ils ? Il serait judicieux de ne pas créer une technologie inutile ».

Les passeports vaccinaux doivent faire l’objet d’un contrôle et de modifications à mesure que nos connaissances sur la maladie s’élargissent, confie Howard Koh, et ce peu importe la manière dont ils seront mis en œuvre en 2021.

Ce professeur à l’École T.H. Chan de santé publique d’Harvard a été le secrétaire adjoint à la santé au Département de la Santé et des Services sociaux des États-Unis sous la présidence de Barack Obama. Il était en fonction lorsque, en 2010, l’interdiction d’entrée sur le sol américain pour les personnes atteintes du SIDA a été levée.

Mise en place en 1987, à une époque où les connaissances sur la maladie étaient faibles, cette mesure est restée en vigueur pendant des années en raison de la peur et des préjugés entourant le SIDA. Howard Koh a eu l’honneur de faire un discours lors de la première conférence sur le SIDA tenue aux États-Unis après la levée de l’interdiction, et c’est ce qui a façonné son raisonnement vis-à-vis des passeports vaccinaux. Selon lui, ils peuvent rapidement passer d’un moyen de ré-ouvrir le monde à un moyen d’exclure certaines personnes.

« Nous devons faire respecter les concepts d’équité et de justice, et veiller à ne pas utiliser ces passeports comme un outil pouvant mener à des discriminations », indique-t-il.

Howard Koh estime néanmoins qu’il est impossible de fixer un objectif pour les passeports vaccinaux sans savoir quelle sera leur efficacité après leur déploiement. Jusqu’à ce moment-là, et tant que nous n’en savons pas plus sur les vaccins et les variants, l’avenir des passeports vaccinaux pourrait demeurer incertain.

« Le rôle qu’ils joueront exactement n’est pas évident. Nous devons y aller doucement », conclut-il.

 

Basée à Washington, Jackie Snow est une rédactrice spécialisée dans les technologies et la biologie. Retrouvez-la sur Instagram.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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