Foulez le chemin de pèlerinage le plus sacré du Japon

Alors que cela fait vingt ans cette année que le Kumano Kodo, chemin de pèlerinage le plus populaire du Japon, est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, son attrait spirituel reste toujours aussi puissant.

De Richard Franks
Publication 11 sept. 2024, 13:32 CEST

Le Japon, lieu de pèlerinage en famille | Les six chemins de pèlerinage de Kumano Kodo témoignent de plus de mille-deux-cents ans d’histoire shintoïste et bouddhiste, avec un ensemble de sanctuaires, de temples, de statues et de fermes traditionnelles.

PHOTOGRAPHIE DE Ippei Naoi, Getty Images

Dans la brume ensoleillée du milieu de matinée, la lumière se fraie un chemin à travers la végétation et dessine des formes qui dansent sur le sol froid et humide des bois, tandis que la cime des pins noirs dégingandés chancèle doucement sous la brise. Alors que de frais effluves de vanille nous parviennent et qu’une bouscarle chanteuse (Cettia diphone) dissimulée au-dessus de nos têtes chante de manière nasillarde en cette période de reproduction, ma guide Hatsumi Sato s’exclame : « Komorebi ! »

« Komorebi ! » répète-t-elle avec ravissement, ôtant son chapeau traditionnel de forme conique alors que nous marchons avec précaution le long du chemin parsemé de flaques d’eau. « C’est un mot japonais qui désigne le jeu d’ombre et de lumière filtrant à travers les arbres lorsque le soleil est bas », explique-t-elle, manifestement émue par la scène.

Je suis en train de parcourir une partie du légendaire Kumano Kodo, un réseau de six chemins serpentant à travers la péninsule montagneuse de Kii, dans le sud de l’île de Honshū, sur lesquels déambulent les pèlerins. C’est l’un des deux seuls chemins de pèlerinage à avoir été inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, le second étant celui de Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne. Cette année marque le vingtième anniversaire de son inscription. Ses sentiers forestiers foulés depuis plus de mille ans sont restés pratiquement intacts.

« C’est le seul lieu sacré au monde où deux religions coexistent en parfaite harmonie », déclare Hatsumi Sato, guide chevronnée du Kumano Kodo, en s’arrêtant pour déployer une carte excessivement grande. Sur cette dernière, elle indique avec exaltation la fin du Nakahechi, l’un des six chemins, qui se situe à un peu moins de 60 kilomètres de là. « Le sanctuaire shintoïste Kumano Nachi Taisha se trouve plus loin sur la route, à côté de la célèbre pagode rouge à trois étages du temple bouddhiste Seiganto-ji. À quel autre endroit pourrait-on trouver ça ? »

La pagode à trois étages du temple bouddhiste Seiganto-ji se dresse à côté du sanctuaire shintoïste Kumano Nachi Taisha, illustrant la relation harmonieuse entre les deux religions.

PHOTOGRAPHIE DE Michele Falzone, AWL Images

Plus de mille-deux-cents ans d’histoire shintoïste et bouddhiste imprègne ces montagnes, l’une des raisons pour laquelle le Kumano Kodo s’est vu inscrire au patrimoine mondial. Nous sillonnons une grande partie du Nakahechi, le plus emprunté des six chemins, qui nécessite près de trois jours pour être parcouru dans son intégralité. Il passe par les trois principaux sanctuaires, à savoir Kumano Hongu Taisha, Kumano Hayatama Taisha et Kumano Nachi Taisha, l’ensemble étant connu sous le nom de Kumano Sanzan.

Bien que le chemin soit très fréquenté, nous nous sommes rendus plus tôt ce matin-là au point de départ de la randonnée, un sanctuaire appelé Hosshinmon-oji, dont le nom se traduit par « porte de l’éveil spirituel », ou en d’autres termes « aspiration à l’illumination ». Il s’agit de l’un des quatre-vingt-dix-neuf petits sanctuaires qui jalonnent le Kumano Kodo et sont dédiés à des divinités descendues sur Terre, des esprits shintoïstes et bouddhistes incarnés dans des éléments naturels, tels que les chutes d’eau et les arbres. Le simple fait de passer sous son torri, portail sacré en bois, est considéré comme un signe de renaissance spirituelle. Après l'avoir franchi, je me suis incliné avant de procéder à un simple acte de culte dans le petit sanctuaire rouge qui se trouvait devant moi. Hatsumi Sato m’a enseigné la gestuelle : s’incliner légèrement, faire tinter la cloche à l’extérieur du sanctuaire, s’incliner de nouveau, s’incliner deux fois plus en avant, frapper doucement dans les mains et s’incliner une nouvelle fois. « Tu as marché sur les traces de beaucoup d’autres avant toi, y compris l’empereur actuel », m’indique-t-elle à cet instant. Me suis-je senti renaître ? Pas tout à fait. Il nous reste cependant du chemin à parcourir.

Plus loin, nous traversons près de 6 kilomètres de forêt et découvrons des villages agricoles constitués de minka, fermes traditionnelles japonaises en bois, et bordés de collines ondoyantes ornées de vergers, de jardins de plantes aromatiques et de plantations de thé. Au nord, se dessinent les monts Kii, une chaîne de montagnes dentelée, recouverte de végétation, qui nous sépare de Koyasan, site sacré et grand centre bouddhiste, inscrit sur la même liste de l’UNESCO que le Kumano Kodo.

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    Des statues de la figure sacrée de Jizō se trouvent tout au long du Kumano Kodo, accueillant les visiteurs qui atteignent le point de vue Hyakken-gura.

    PHOTOGRAPHIE DE Nobuaki Sumida, AWL Images

    La randonnée a exacerbé mes douleurs lombaires. Hatsumi Sato s’arrête alors devant un Jizō, l’une des nombreuses petites statues de pierre qui bordent le sentier. Celles-ci, souvent recouvertes de mousse et vêtues de minuscules bonnets et écharpes de laine rouge, sont dédiées à Jizō bosatsu et représentent un moine. « Les Jizō sont les divinités tutélaires des enfants et des voyageurs fatigués. Ils guérissent les pèlerins et sont faits de pierre pour un lien plus profond avec la Terre », révèle-t-elle en montrant un petit tas de pièces de monnaie déposées aux pieds de la statue en guise d’offrande. Ils sont notamment connus pour guérir les douleurs de la hanche et du dos. Je place donc une pièce de cinq yens en-dessous du corps du Jizō avant de poursuivre.

    Nous arrivons finalement à Kumano Hongu Taisha en compagnie d’une douzaine d’autres pèlerins exténués, munis de bâtons de randonnée et de cartes. Ils se rassemblent près d’un cèdre vieux de plusieurs siècles dont la base est recouverte de feuilles griffonnées. « On l’appelle l’arbre à cartes postales », indique Hatsumi Sato en fouillant dans son sac.

    Elle m’explique qu’à cet endroit les premiers pèlerins écrivaient des prières sur des feuilles et les laissaient se décomposer, comme pour forger un autre lien avec la Terre. Au fil du temps, cette histoire a incité d’autres randonneurs à laisser leurs propres « cartes postales » naturelles. C’est maintenant mon tour, annonce Hatsumi Sato. Elle me tend une pique à cocktail afin que je puisse écrire au pochoir un message sur une feuille épaisse et cireuse que je cueille sur le sol de la forêt, avant de la placer avec les autres. Mon mal de dos s’estompe tandis que nous nous lavons les mains et la bouche pour entrer dans le sanctuaire. Après tout, suis-je peut-être en train de renaître ?

    Où séjourner et comment s’y rendre :
    Séjournez au Kumano-bettei NAKANOSHIMA, un ryokan, auberge japonaise traditionnelle, situé sur une île privée près du sanctuaire Kumano Nachi Taisha, à partir de 39 600 ¥ (250 €) pour une chambre, petit-déjeuner et dîner inclus. KUMANO TRAVEL organise des randonnées guidées à partir de 14 300 ¥ (90 €) par personne et par jour.

    Cet article a été réalisé avec le soutien de The official Wakayama Travel Guide et de KUMANO TRAVEL. Il a initialement paru en langue anglaise dans le numéro de septembre 2024 du magazine National Geographic Traveller (Royaume-Uni).

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