Everest : atteindre le plus haut point du monde est-il une question d'égo ?

Atteindre le sommet de l’Everest serait-il juste une question d’égo, une fantaisie d’amateur ? C’est ce que pensait Mark Synnott avant de l'atteindre à son tour. Il a depuis changé d'avis.

De Mark Synnott
Publication 15 mars 2021, 14:39 CET
L’auteur et alpiniste Mark Synnott surnomme cette photographie son « selfie de l’Everest », bien que la personne ...

L’auteur et alpiniste Mark Synnott surnomme cette photographie son « selfie de l’Everest », bien que la personne à l’autre bout de l’appareil photo était Matt Irving, un autre alpiniste. Ils ont fait partie des sept membres de l’expédition qui a emprunté l’itinéraire nord jusqu’au sommet de l’Everest, en quête des traces d’un alpiniste disparu près d’un siècle auparavant.

PHOTOGRAPHIE DE Matt Irving

Je n’aurais jamais pensé apparaître sur une photo au sommet du mont Everest. Mais me voilà, emmitouflé dans une combinaison en duvet et accompagné d’un masque à oxygène, à tout juste 120 mètres du sommet.

Cet aveu peut paraître surprenant de la part d’un alpiniste professionnel qui a passé ces vingt dernières années à gravir les sommets du monde entier. Beaucoup considèrent un selfie pris du plus haut point de la planète comme le trophée ultime. Pour une telle photo, beaucoup ont tout risqué, y compris leur argent et leurs relations. De nombreux aventuriers y ont même laissé la vie pendant la descente, ces précieuses images tout juste enregistrées.

Plus les années passaient, moins l’idée d'arriver au sommet du mont Everest me fascinait. Cette montagne était devenue l’opposé de ce que je chérissais et de ce que je respectais dans l’escalade.

La première montagne que j’ai tenté d’escalader n’était même pas une montagne en soi. Il s’agissait de la Cathedral Ledge, une falaise de granite, d’un peu plus de 150 mètres de hauteur, située à North Conway dans l’État de New Hampshire. Je m’y suis attaqué avec un camarade. Nous avions quinze ans, nous étions déterminés mais nous ne connaissions rien à l’escalade professionnelle. Les seules connaissances que nous avions découlaient du poster d’un grimpeur que j’avais accroché au mur de ma chambre. Il n’avait qu’une corde attachée autour de la taille et nous n’avions pas réalisé que cette photo avait été prise avant l’invention des harnais. Nous avons donc été récupérer une corde à linge dans la cabane à outils de mon père et sommes partis pour escalader cette falaise. Nous avons réussi à nous hisser, non sans mal, sur la paroi verticale à plusieurs mètres du sol, jusqu’à une petite corniche qui nous permettait d’être en sécurité.

Côte à côte, sur notre perchoir aérien, nous contemplions le mont Washington derrière lequel le Soleil plongeait sous l’horizon. La question que nous nous posions à ce moment-là, c’était par quel moyen nous allions descendre. Cette première expérience dans le monde vertical de l’escalade a eu l’effet d’une drogue. Faire quelque chose que la plupart des gens n’imagineraient même pas, la satisfaction de comprendre comment synchroniser ses mains et ses pieds, la peur envahissante de faire une erreur, la révélation de la vue depuis le sommet et la relation que mon ami et moi avons partagée après cette expérience : tous ces paramètres ont contribué à définir ce que je recherchais dans l’escalade. Il n’a jamais été question d’une simple photo.

Au milieu des années 1980, lorsque j’ai commencé l’escalade, l’industrie autour de l’Everest n’était même pas encore d’actualité. Seuls les alpinistes expérimentés, qui avaient à leur actif de longues expéditions en haute altitude, étaient invités à prendre part aux équipes d’élite qui osaient grimper à plus de 8 000 mètres du sol, au sein de ce que l’on appelait la « zone de la mort ». À mesure que je perfectionnais ma technique sur l’île de Baffin, en Patagonie ou sur le Karakoram, mon désir d’ascension du mont Everest a commencé à changer.

Ce qui était autrefois considéré comme l’objectif ultime pour un alpiniste était devenu le produit principal d’une industrie commerciale gérée par les guides de montagne. Toute personne qui pouvait se permettre de payer le prix fort, pouvait en retour tenter d’escalader le sommet le plus haut du monde. En outre, cette frénésie a été alimentée par la mort extrêmement médiatisée de huit alpinistes lors de la saison du printemps 1996. Cet accident a été documenté dans le livre Tragédie à l'Everest de Jon Krakauer. Les années passant, la foule s’amassait dans les camps de base de l’Everest, laissant derrière elle des tonnes de déchets. À chacune de mes interventions pour parler d’alpinisme, on me demandait si j’avais déjà gravi l’Everest. Je donnais toujours la même réponse : pas intéressé.

C’est probablement là que mon histoire personnelle avec l’Everest se serait arrêtée, mais ce n’était pas le cas d’un vieil ami, qui lui, avait une obsession pour l’un des plus grands mystères de l’alpinisme. En 1999, Thom Pollard était le photographe de l’expédition qui a permis de retrouver les vestiges de George Mallory, alpiniste légendaire qui a été le premier à se risquer à l’ascension de l’Everest, mais qui a tragiquement disparu. Mallory et son jeune partenaire Sandy Irvine ont été aperçus pour la dernière fois sur l’arête nord-est de la montagne, en pleine course vers le sommet. Après cela, ils ont disparu dans les nuages. Depuis ce jour, la communauté alpiniste s’est demandé s’ils avaient réussi à atteindre le sommet en 1924, soit près de trente ans avant Edmund Hillary et Tenzing Norgay. Irvine et son appareil photo Kodak n’avaient jamais été retrouvés. Voilà comment j’ai été missionné par ce magazine, à la recherche d’un alpiniste disparu depuis des décennies, et figurant sur ce qui pourrait s’avérer être le premier selfie de l’histoire capturé depuis le sommet de l’Everest.

Comme expliqué dans l’édition de juillet 2020 du magazine, notre expédition n’a pas permis de retrouver l’appareil photo, mais elle m’a obligé à reconsidérer le mont Everest. Lorsque je faisais mes bagages pour rejoindre le Tibet, j’imaginais que notre équipement dernier cri et nos bouteilles d’oxygène permettraient de rendre l’ascension supportable, voire facile. « Ce n’est qu’une simple montée » me suis-je convaincu. Quelle erreur. Lorsque la photo du sommet a été tirée, j’étais plus exténué que je ne l’avais jamais été au cours d’une expédition. Je me retenais de vomir. J’ai salué les efforts de Mallory et Irvine sur tout le chemin, qui eux, ont grimpé ce sommet vêtu de costumes en tweed et de bottes à crampons. J’ai également applaudi toutes celles et ceux animés par le dépassement de soi qui les pousse à gravir cette montagne.

Même si j’ai été témoin des foules de grimpeurs amateurs agglutinés sur les cordes fixes, des montagnes de déchets et de la gestion gouvernementale déplorable, j’ai aussi découvert que les autres grimpeurs étaient bien plus que de simples touristes égocentriques. Lors de nos interminables discussions autour du thé, nous nous partagions des conseils sur les itinéraires, des prévisions météorologiques et des photos de famille, tous animés par un objectif commun. Ce sentiment de solidarité ressenti au sein du groupe était aussi intense que tout ce que j’avais pu vivre en montagne jusqu’alors.

J’ai réalisé que le client qui payait pour gravir l’Everest était plutôt un rêveur chevronné qui avait économisé pour vivre quelque chose de remarquable, non pas un PDG privilégié à l’égo démesuré. Contrairement aux idées reçues, la plupart des grimpeurs de l’Everest sont des Hommes en quête de la même merveilleuse expérience que celle que j’ai vécu sur la Cathedral Ledge lorsque j’étais enfant. Difficile de ne pas saluer leur courage et de ne pas admirer notre humanité commune.

Il est difficile d’estimer combien d’alpinistes se rassembleront ce printemps au sein des camps de base au Népal et au Tibet pour se lancer dans l’ascension du plus haut sommet du monde, mais tôt ou tard, ils reviendront.

Je me suis rendu à l’Everest en quête des objets personnels d’Irvine. En réalité, j’y ai trouvé quelque chose de plus rare encore : le lien qui unissait Mallory et Irvine. Ce sentiment s’est caché, pourtant à la vue de tous, là où il a toujours été : au cœur des âmes intrépides qui risquent tout pour suivre les traces d’aventuriers légendaires au sommet du mont Everest.

 

Mark Skynott est revenu sur son aventure en quête de l’appareil photo de Sandy Irvine dans l’édition de juillet 2020 du magazine National Geographic. Son livre The Third Pole: Mystery, Obsession, and Death on Everest (Le troisième pôle : mystère, obsession et mort sur l’Everest) sera publié au printemps aux éditions Dutton.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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