Les îles enchantées du japon

Loin de la modernité et de la frénésie urbaine, des milliers d’îles préservent le patrimoine naturel et culturel de l'archipel nippon. Visite de cinq d’entre elles, à l’identité et au caractère exceptionnels.

De Lionel Crooson
Photographies de Jérémie Souteyrat
L’île sacrée de Miyajima abrite des centaines de temples et de sanctuaires. L’entrée de celui
d’Itsukushima est ...
L’île sacrée de Miyajima abrite des centaines de temples et de sanctuaires. L’entrée de celui d’Itsukushima est marquée par ce torii en bois vermillon, du XIIe siècle, qui semble flotter sur l’eau.
PHOTOGRAPHIE DE Jérémie Souteyrat

Le Japon est un archipel composé de tant d’îles, d’îlots et de morceaux de terres émergées qu’un critère de taille est nécessaire pour les dénombrer. Si l’on ne retient que celles dont le pourtour côtier est de plus de 100 m, elles sont 6 852 îles, ou shima, dont environ 430 sont habitées. Bien qu’à l’avant- garde du progrès scientifique et technique, le pays du Soleil-Levant ne s’est jamais senti dans l’obligation de choisir entre le nouveau et l’ancien, le présent et le passé, la culture et la nature. Les cinq îles suivantes illustrent ainsi ces « bouts du monde » qui, situés à l’écart des grandes voies maritimes, sont demeurés de formidables espaces de préservation de la nature, de modes de vie originaux et de traditions ancestrales.

 

OKI, GARDIENNE D’UN SUMO ANCESTRAL

Perdues dans la mer du Japon, couvertes de forêts, bordées de plages de sable blanc, les îles Oki vivent loin des clameurs du monde en perpétuant une forme de sumo dont l’origine remonte à la nuit des temps : le koten-zum..

Ces combats sont organisés dans le cadre d’un rituel shintoïste, lorsque le besoin se fait sentir de solliciter le concours des divinités, les kami, pour les prochaines récoltes ou la réalisation de certains projets.

En juillet 2012, pour l’ouverture d’un nouvel hôpital, plus de 200 lutteurs s’affrontèrent, deux par deux, au cours d’un tournoi de plus de vingt heures. Dans les îles Oki, l’importance du koten-zumo est telle que chacun des 200 sanctuaires shinto possède sa propre aire de combat et sa propre équipe.

À la différence des puissants lutteurs de sumo professionnels de Tokyo ou d’Osaka, pesant parfois plus de 200 kg, ceux d’Oki, marins pêcheurs, agriculteurs ou commerçants, restent sveltes malgré un entraînement rigoureux suivi depuis le plus jeune âge.

Comme il s’agit d’un rite et non d’une compétition sportive, à l’issue du combat, le vainqueur n’esquisse jamais le moindre geste de triomphe car il convient de n’humilier ni son adversaire, ni ses proches, ni leur sanctuaire, afin de préserver la cohésion sociale.

C’est pourquoi chaque combat est immédiatement suivi d’un second affrontement au cours duquel le vainqueur se laisse battre pour que le vaincu et ses supporteurs puissent sauver la face. Après quoi les deux camps vont faire la fête ensemble autour d’une bouteille de saké sans jamais chercher querelle.

 

YAKUSHIMA, ÉDEN DE LA PRINCESSE MONONOKÉ

 

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    Sur Yakushima, un onsen aménagé dans la roche est alimenté par une source d'eau chaude d'origine volcanique. À marée basse, mélangée avec l'eau de mer, l'eau atteint une température pour la détente.
    PHOTOGRAPHIE DE Jérémie Souteyrat

    Dans l’océan Pacifique, à 60 km au sud de la grande île de Kyushu, Yakushima apparaît aux voyageurs comme un véritable éden, avec sa forêt primaire noyée de brumes, dont les mystères et la beauté inspirèrent au cinéaste Hayao Miyazaki son célèbre film d’animation Princesse Mononoké.

    Avec ses 1 900 espèces et sous-espèces de plantes, ses 150 espèces d’oiseaux, ses 16 espèces de mammifères et ses tortues caouannes venant pondre sur ses plages, cette île volcanique constitue un rare et remarquable sanctuaire de biodiversité, inscrit au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco depuis 1993.

    Bien que son plus haut sommet atteigne 1936 m et soit enneigé durant l’hiver, un climat subtropical humide y favorise, partout ailleurs, la croissance en hauteur de cèdres du Japon. L’île est tapissée de ces arbres monumentaux, dont les énormes racines gainées de lichens et de mousses vert tendre étreignent la roche et le sol spongieux.

    Haut de 25 m avec un tronc d’une circonférence de 16 m, le plus ancien de ces géants, le Jomon sugi, serait âgé de 7000 ans selon la tradition locale; de plus de 2000 ans selon les scientifiques. Forêt magique de la princesse Mononoké, Yakushima est aussi le domaine des lutins : une myriade de petits macaques à face rouge, si peu farouches que, selon les habitants, ils surgissent toujours là où on ne les attend pas…

     

    TOSHIJIMA, L’ÎLE DES PARENTS ADOPTIFS

    Dans la préfecture de Mie, à 300 km au sud-ouest de Tokyo et 80 km au sud de Nagoya, la péninsule montagneuse de Shima ouvre sur le paysage grandiose des eaux océaniques encerclant de petites îles à la végétation exubérante.

    Parmi elles, à quinze minutes en ferry du port de Toba, Toshijima compte 2578 habitants, dont les 80 % vivant de la pêche perpétuent une ancienne tradition du littoral pacifique japonais, disparue partout ailleurs: le neyako. Cette coutume veut qu’après avoir achevé leurs études secondaires, les fils aînés quittent le foyer familial pour habiter avec une nouvelle famille jusqu’à l’âge de 26 ans.

    Ces nouveaux parents doivent alors les familiariser avec les coutumes et les valeurs morales des gens de mer, tout en leur apprenant à bien se comporter avec le sexe opposé. Parvenus à l’âge adulte, ceux qui auront partagé le même toit continueront d’entretenir une relation quasi familiale. Selon les habitants de Toshijima, le maintien de cette tradition leur a permis, malgré les bouleversements du monde moderne, de conserver une solide cohésion sociale et économique.

    C’est probablement grâce à cela que, pour préserver les ressources halieutiques des générations futures, les habitants de l’île ont excellé dans l’organisation d’un mode de pêche durable. Résultat visible dans le magnifique marché aux poissons de Toshijima, réputé jusqu’à Tokyo pour la grande variété de ses produits de la mer.

     

    MIYAJIMA, LE ROCHER DIVIN

    À quelques encablures du littoral de l’île principale de Honshu, non loin de Hiroshima, se dresse Miyajima, terre montagneuse tapissée de forêts primaires. Une île? Pas exactement.

    Fondé sur l’île de Miyajima en 806, le temple Daishō-in de l’école du bouddhisme ésotérique Shingon, attire des pèlerins du monde entier. Ses pavillons raffinés et ses milliers de statuettes ravissent aussi les profanes.
    PHOTOGRAPHIE DE Jérémie Souteyrat

    Pour le shintoïsme, cet énorme rocher jeté dans la mer serait une entité divine. D’où la fondation d’un grand sanctuaire en l’an 593, l’Itsukushima-jinja, dont les quatre pavillons laqués de vermillon, reliés entre eux par un réseau de passerelles, mènent à la scène d’un antique théâtre nô. Devant cet ensemble grandiose trône un imposant portique en bois, solidement campé sur deux larges piliers enracinés dans le limon, silhouette pourpre caressée par les eaux bleues de la mer Intérieure. Ici, c’est à marée haute qu’aux yeux profanes la magie du lieu se révèle.

    Tel un navire majestueux, le sanctuaire tout entier semble alors se mettre à voguer à la surface des flots sur lesquels il se reflète. Île magique ? Île entièrement vouée au shintoïsme, cette religion originelle du Japon sans fondateur ni dogme? Pas seulement, car les divinités se sont accommodées de l’introduction du bouddhisme au VIe siècle.

    Aussi Miyajima compte- t-elle de nombreux temples, parmi lesquels le Daigan-ji qui, syncrétisme oblige, eut jusqu’au milieu du XIXe siècle la charge de veiller sur le grand sanctuaire. Île sacrée, île divine, Miyajima n’en est pas moins ouverte au monde, accueillant tout au long de l’année son flot de marcheurs, de touristes et de pèlerins. Après s’être recueillis, ceux-ci s’en vont arpenter les chemins de randonnée de cette île sans voiture, avant de se régaler d’huîtres grillées dans les rues de l’unique village, où une colonie de cerfs sikas a élu domicile.

     

    OKINAWA, L’ARCHIPEL DES CENTENAIRES

    Archipel étirant ses 140 îles et îlots sur un arc situé entre Kyushu et Taïwan, l’ancien royaume des Ryukyu n’intégra le Japon qu’en 1879, devenant ainsi la préfecture d’Okinawa. Bénéficiant d’un climat tropical, d’une végétation luxuriante et de superbes plages, ces îles sont connues pour abriter la plus forte proportion de centenaires du monde.

    Des vieillards qui ne connaissent ni surpoids ni diabète, et n’ont qu’un taux très faible de maladies graves et de perturbations cognitives. Leur secret résiderait dans un régime alimentaire riche en légumes, soja et poisson ; pauvre en viande et alcool; mais aussi dans une activité physique régulière et un art de vivre en phase avec la nature. Un tableau idyllique qui pourrait se ternir dans le futur.

    Car, si ces centenaires ont conservé les habitudes alimentaires de leur jeunesse, il n’en est pas de même pour une partie des générations suivantes dont le régime subit l’influence de celui des forces américaines stationnées depuis 1945.

    L’autre originalité de cet archipel est sa diversité de langues locales, toutes voisines du japonais, mais avec une intercompréhension parfois impossible. Quant à la religion autochtone, de tradition orale, elle accorde un rôle central aux prêtresses et aux chamanes, les femmes étant considérées comme seules capables de communiquer avec les dieux. Autant de caractéristiques qui suscitent l’intérêt des linguistes et des ethnologues pour Okinawa.

     

    Ce reportage a été publié dans le magazine National Geographic n° 224, daté de mai 2018.

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