Ce mystérieux manoir californien est l'une des premières maisons hantées

Plus d’une centaine de pièces. Des escaliers qui ne mènent nulle part. Un dédale de couloirs vides. L’étrange Winchester House fut l’une des premières maisons « hantées » à attirer des touristes en quête de frissons glaçants.

De Roger Luckhurst
Publication 28 oct. 2023, 17:07 CEST
La grande salle de bal tarabiscotée de la Winchester Mystery House, à San Jose, en Californie, ...

La grande salle de bal tarabiscotée de la Winchester Mystery House, à San Jose, en Californie, a coûté 9 000 dollars à l’époque de sa construction, soit plus de trois fois le prix d’une maison entière à la fin du 19e siècle. Ce manoir de style Queen Anne inspira en partie La Maison hantée, célèbre roman de Shirley Jackson dont est adaptée la série The Haunting of Hill House, et propose des visites, à l’instar d’autres maisons chargées d’histoires.

PHOTOGRAPHIE DE Winchester Mystery House, LLC

En 1922, les nouveaux propriétaires du manoir de la défunte Sarah Winchester firent de cette demeure de San Jose, en Californie, une attraction destinée aux touristes adeptes de l'étrange. Héritière de la fortune du célèbre fabricant d’armes du même nom, Sarah Winchester eut de son vivant une propension à faire constamment agrandir et rénover son manoir, ce qui suscita un torrent de rumeurs. Elle fit ajouter des chambres tarabiscotées (plus de cent), des escaliers qui ne menaient nulle part et des couloirs qui firent de la maison un dédale déroutant.

Sa fortune était-elle maudite ? Avait-elle fait construire un labyrinthe pour désorienter les esprits ? Organisait-on des séances de spiritisme chaque soir dans le manoir ?

La réponse à la plupart des questions de ce type est non, mais lorsque le célèbre magicien Harry Houdini visita le manoir, il conseilla à ses propriétaires de le renommer « Winchester Mystery House » pour en faire la publicité ; son succès commercial était assuré. La bâtisse vient juste de fêter son centenaire et est, aujourd’hui encore, une attraction populaire dans la baie de San Francisco. Vous pouvez prendre part à un circuit intitulé « Walk with Spirits », participer à une séance de spiritisme ou, nouveauté depuis cet automne, entrer en immersion totale dans le manoir à l’occasion des soirées « Unhinged Housewarming », une visite qui donne la chair de poule. 

Le manoir inspira en partie le roman La Maison hantée de Shirley Jackson, classique de la littérature d’épouvante publié aux États-Unis en 1959. Dans le célèbre incipit de ce roman gothique qui dépeint Hill House, une maison pleine d’une énergie maligne, on apprend que la bâtisse, « seule et maladive, se dressait depuis quatre-vingts ans à flanc de colline, abritant en son sein des ténèbres éternelles ». Au cours du récit, un groupe d’enquêteurs du paranormal investissent la demeure qui, ainsi qu’ils finissent par s’en apercevoir, se nourrit d’énergies psychiques dérangées qui font émerger des ressentiments meurtriers bien enfouis.

Situé au bord d’un lac de l’Oxforshire, en Angleterre, Blenheim Palace a servi de lieu de tournage glaçant au film La Maison des damnés, sorti en 1973 et inspiré du roman gothique de Shirley Jackson.

PHOTOGRAPHIE DE Andreas von Einsiedel, Getty Images

Depuis le succès du livre, et grâce aux romans de Stephen King, aux « reportages » sur le paranormal et aux films de type found footage comme Paranormal Activity, nous nous sommes habitués à l’idée de lieux maudits, de maisons imprégnées par des traumatismes et atrocités passés qui se répètent indéfiniment.

Aujourd’hui encore, le roman de Shirley Jackson continue d’inspirer le secteur touristique des maisons hantées, qui comporte d’ailleurs bien d’autres lieux maudits évocateurs ouverts à la visite.

 

L’HÉRITAGE DE HILL HOUSE

Dans la préface de son succès de librairie, Shirley Jackson avoue que l’idée de son histoire glaçante fut inspirée par une véritable enquête de la Société de recherche psychique (SPR) réalisée en 1897. Cette société londonienne, qui existe toujours, fonda un Comité des maisons hantées et envoya Ada Goodrich-Freer, médium douteuse, enquêter sur les allégations selon lesquelles Ballechin House, demeure écossaise, était hantée. Le livre relatant l’enquête, ayant reçu le soutien aristocratique du marquis de Bute, fit des remous dans les pages littéraires du Times, et beaucoup condamnèrent la naïveté des enquêteurs.

Le roman de Shirley Jackson fut adapté au cinéma en 1963 sous le titre La Maison du diable et rencontra un franc succès. Le réalisateur Robert Wise filma les extérieurs troublants du film à Ettington Park Hall, dans le Warwickshire, au Royaume-Uni. Ettington Park Hall était l’ancien domaine d’une certaine famille Shirley, qui l’avait acquis à l’époque du Domesday Book, mais il fut reconstruit au 19e siècle dans le style néo-gothique, tout en arches pointues et en maçonnerie polychromatique. Selon certains, le Hall, vieille bâtisse familiale du comté de Shakespeare, serait hanté. Le fantôme d’un vieil homme victorien y tituberait au crépuscule, tandis que « Lady Emma » glisserait le long des couloirs la nuit venue. Toutefois, en tant qu’hôtel quatre étoiles prisé pour les cérémonies de mariage qu’on y organise, le lieu ne met pas cet aspect en avant.

Également inspiré par le roman de Shirley Jackson, le film La Maison des damnés, sorti en 1973, montre les détails anguleux et baroques de Blenheim Palace, dans l’Oxfordshire. Ce palace fut construit par l’architecte et dramaturge Sir John Vanbrugh pour le duc de Marlborough, héros britannique ayant remporté une victoire célèbre lors de la bataille de Blenheim en 1704. Cette majestueuse demeure vit naître le descendant le plus célèbre du duc, un autre héros de guerre qui n’est autre que Winston Churchill.

Pour la série Netflix The Haunting of Hill House, sortie en 2018 et librement adaptée du roman, le réalisateur Mike Flanagan s’est servi des extérieurs gothiques de Bisham Manor, à Lagrange, dans l’État de Géorgie. Bien que construit il y a moins de trente ans, ce manoir détenu par des particuliers a l’air tout ce qu’il y a de plus gothique.

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    Dans les montagnes de Transylvanie, en Roumanie, le château de Bran se vend comme étant le « château de Dracula » et capitalise sur le cadre sombre du roman de Bram Stoker.

    PHOTOGRAPHIE DE Sean Gallup, Getty Images

     

    REPAIRES DE VAMPIRES ET AUTRES LIEUX GOTHIQUES

    Pour attirer les férus de romans gothiques et de maisons hantées plus aventureux, le château de Bran, en Transylvanie, revendique avoir inspiré l’incipit menaçant de Dracula, roman de Bram Stoker paru en 1897. Ce dernier n’avait jamais visité la Roumanie, mais il édifia l’antre du vampire à partir de guides de voyage, de conversations avec son frère qui avait séjourné dans les Balkans, et grâce à son imagination enfiévrée.

    Le château de Bran est ouvert à la visite, à l’inverse de la Villa Diodati, située sur les rives de lac Léman, à Cologny, en Suisse. C’est là qu’en 1816 les poètes romantiques Lord Byron et Percy Shelley ainsi que leur entourage écrivirent des histoires à faire froid dans le dos lors d’un orage particulièrement virulent afin de se faire peur. Cette réunion incita la jeune Mary Shelley à écrire Frankenstein et John William Polidori, médecin fort sollicité de Byron, à écrire la nouvelle « Le Vampire ». La villa Diodati est aujourd’hui détenue par des particuliers et des barrières de sécurité maintiennent les curieux à l’écart.

    Mais les demeures familiales et les manoirs de campagne démesurés ne sont pas les seuls à jouir d’une atmosphère gothique. Un temps, les usines abandonnées de Détroit ont servi de symboles de l’effondrement de toute un ordre industriel, économique et social. Il n’est pas étonnant que ce paysage urbain figure dans des films d’horreur récents comme It Follows (2014), Don’t Breathe : La Maison des ténèbres (2016) ou Barbare (2022).

    Les prisons et les asiles en ruines, ces institutions tentaculaires dont les vestiges nous hantent en anéantissant notre foi optimiste dans le fait qu’un court internement a le pouvoir d’améliorer notre état, semblent également nous ficher la frousse. Le dernier de ces « asiles monstres », comme l’Asile Willard pour les malades chroniques, à Ovid, dans l’État de New York, a fermé ses portes dans les années 1990.

    Sigmund Freud, fondateur de la psychanalyse, employa parfois la métaphore de la maison pour parler de la psyché humaine, un lieu recélant nombre de secrets enfermés dans des sous-sols ou dans des chambres oubliées. Selon Freud, fervent lecteur d’histoires gothiques, le gothique inspirait la sensation de l’unheimlich. Souvent traduit par le terme « inquiétante étrangeté », ce mot allemand signifie littéralement « ce qui n’appartient au foyer », ce qui n’est pas familier donc. Et cela reflète précisément ce qui nous perturbe dans les récits de maisons hantées : l’irruption de quelque chose d’horrifique ou de diabolique dans le lieu même qui nous avait toujours paru le plus sûr des endroits.

    Le gothique exploite et ré-exploite cette anxiété à l’infini, il essaie de consolider un sentiment douillet et familier tandis que l’inhospitalier est constamment tapi dans l’ombre des pièces poussiéreuses, dans le grincement des marches ou le long des perspectives de couloirs vides.

    Roger Luckhurst a fait paraître Gothic : An Illustrated History en 2021, et est l’auteur d’histoires culturelles de la recherche psychique, des zombies, des vampires et des momies. Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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