Les épaves sont devenues le refuge des poissons tropicaux

Alors que le réchauffement des eaux détruit les habitats à récifs, les vestiges submergés pourraient offrir un véritable refuge à la vie marine.

De Carrie Arnold
Publication 14 mai 2019, 14:42 CEST
Une épave au large de la Caroline du Nord est peuplée par une troupe de poissons-appâts ...
Une épave au large de la Caroline du Nord est peuplée par une troupe de poissons-appâts et de disques portugais, le tout sous le vigoureux contrôle d'une meute de requins-taureaux. L'épave crée un récif artificiel pour la vie marine, elle procure un habitat dans les eaux dont la température ne cesse de croître.
PHOTOGRAPHIE DE David Doubilet, Nat Geo Image Collection

Quand Chris Taylor appuie sur lecture, son écran se transforme en un aquarium débordant de poissons comme le labre bleu ou la sériole couronnée qui entrent dans un ballet incessant sur un fond marin aux couleurs vives composé de coraux, d'éponges et d'algues. Écologiste, Taylor travaille pour le National Centers for Coastal Ocean Science de la NOAA à Beaufort en Caroline du Nord. Lorsqu'il demande aux visiteurs du centre de deviner le lieu de tournage de la vidéo, il n'est pas surpris de recevoir des réponses comme les Keys de Floride ou les Caraïbes. Des réponses fausses, comme toujours.

« Ces récifs hautement structurés se trouvent juste au large de nos côtes, » révèle Taylor. « Tous ces poissons aux couleurs somptueuses se trouvent là, contre toute attente. »

Les poissons nagent dans les vestiges du Benwood, un navire qui a coulé au large de Key Largo, en Floride, en 1942. Ce navire sert maintenant de récif artificiel.
PHOTOGRAPHIE DE David Doubilet, Nat Geo Image Collection

Une nouvelle étude publiée dans Nature Communications Biology indique que les récifs artificiels des profondeurs sous-marines au large des côtes de Caroline du Nord contribuent à l'augmentation du nombre de poissons tropicaux et subtropicaux au nord-est de leur aire de répartition. Cette étude est le fruit du travail de Taylor et Avery Paxton, une écologiste de la vie marine qui partage son temps entre la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration, en français : Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique) et le Laboratoire marin de l'Université Duke. Leurs résultats ont d'importantes conséquences pour les poissons des eaux dont la température augmente. Alors que les océans se réchauffent, les récifs artificiels pourraient faciliter le mouvement de ces espèces vers les pôles où ils pourront trouver un habitat qui sera plus susceptible de leur convenir à l'avenir.

« Ce phénomène correspond à nos observations, c'est donc très intéressant de le voir dans une étude formalisée, » commente Robert Martore, biologiste marin au South Carolina Department of Natural Resources.

 

RÉCIFS ACCIDENTELS (ET RÉCRÉATIFS)

Les récifs rocheux comme ceux formés naturellement au large de la Caroline du Nord fonctionnent en grande partie comme leurs cousins coralliens. En revanche, contrairement aux récifs tropicaux dont la structure sous-jacente est constituée de corail vivant, le squelette des récifs tempérés se compose de roche ou d'autres substrats non-vivants. Cette roche peut prendre plusieurs formes, plate ou parsemée de rochers. D'autres récifs tempérés se forment toujours dans les falaises ou les corniches du plateau continental.

En plus de ces récifs naturels viennent s'ajouter les récifs artificiels, des épaves de navires aux structures installées délibérément par l'Homme comme les tuyaux de béton, les piliers des ponts et les remorqueurs désaffectés, indique Martore, également à la tête du programme des récifs artificiels de l'État.

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    Même si les récifs artificiels ont gagné en popularité ces dernières années, l'idée n'est pas nouvelle. L'Homme construit accidentellement des structures de récifs depuis le jour où il a commencé à explorer les océans… et à couler ses navires en essayant. Au 19e siècle, certains pêcheurs jetaient déjà à l'eau des rondins dans le but de créer un habitat pour les poissons qu'ils souhaitaient prélever par la suite. En fait, jusqu'à récemment, Martore nous explique que la plupart des récifs artificiels étaient créés à des fins de pêche.

    « Les récifs artificiels ont réellement été construits afin que l'Homme puisse aller pêcher, » souligne Martore. « Ce n'est que très récemment que l'Homme a commencé à envisager les récifs sous un autre angle. »

    Les récifs artificiels actuels vont bien plus loin que le simple largage d'objets divers dans l'océan. Les chercheurs peuvent concevoir et construire des structures sur-mesure pour des types spécifiques de poissons à une étape précise de leur vie. Pour d'autres types de récifs, les chercheurs peuvent également réhabiliter des objets qui n'ont plus d'utilité sur terrain sec, par exemple les voitures ou véhicules militaires en fin de vie. Ils donnent naissance aux meilleurs récifs une fois débarrassés de toute trace de produits chimiques qui pourraient être nocifs pour la vie marine ou l'environnement.

    La localisation revêt également une importance capitale. Les scientifiques n'installent pas ces récifs artificiels n'importe où. Leur utilité en matière d'habitat pour les poissons est optimale lorsqu'ils sont situés à bonne distance des récifs formés naturellement.

    « Ils peuvent être de véritables oasis dans un océan de sable, » illustre Taylor.

    Cette épave au large du Key Largo de Floride est celle d'un navire de l'United States Coast Guard, l'USCGC Duane. Il sert aujourd'hui de récif pour les gorettes tibouches. Le pont du bateau est recouvert d'éponge et de coraux épais et colorés.
    PHOTOGRAPHIE DE David Doubilet, Nat Geo Image Collection

     

    DES POISSONS VENUS DE LOIN

    Grâce à la plongée récréative et scientifique, les chercheurs savent depuis longtemps que les habitats à récifs artificiels sont utiles pour les poissons. Ce qu'ils ne savaient pas en revanche, c'est si ces structures étaient également utiles pour les poissons vivant en bordure ou même au-delà de leur aire de répartition naturelle. Paxton, Taylor et leurs collègues ont étudié 30 récifs situés au large de la Caroline du Nord en plongeant jusqu'au fond marin. Ils y ont placé un mètre ruban et ont compté tous les poissons qui le franchissaient. Ils ont réitéré leurs mesures au moins quatre fois par an entre 2013 et 2015 afin de tenir compte des différences saisonnières.

    Au cours de ses premières plongées, Paxton était surprise par la variété de poissons tropicaux qui s'aventuraient dans les récifs.

    « Je voyais des poissons-papillons et des scalaires. Je me disais, 'Est-ce que mon masque est embué ?' » raconte Paxton. « Mais ils étaient bien là. »

    De retour au laboratoire, les chercheurs ont analysé leurs données et ont découvert que les poissons tropicaux et subtropicaux avaient joyeusement élu domicile dans les récifs artificiels des eaux de Caroline du Nord. Parmi les espèces observées figuraient les chouchous des adeptes de la plongée comme le chromis bleu, le poissons corail violet, le vivaneau vermillon et la carangue. Autre fait intéressant, les poissons préféraient les coraux des eaux profondes, entre 25 et 35 m sous la surface.

    Un mérou goliath nage dans l'épave du Baja California, un navire de la Seconde Guerre mondiale coulé par un U-Boot allemand dans le Golfe du Mexique.
    PHOTOGRAPHIE DE David Doubilet, Nat Geo Image Collection

    Paxton et Taylor ne savent pas exactement pourquoi les poissons tropicaux côtoient les récifs les plus profonds. Il faudra approfondir les recherches pour percer ce mystère. Les scientifiques suggèrent toutefois que ce phénomène est lié à différents facteurs : la présence du zooplancton dont ils se nourrissent, la structure complexe des récifs artificiels par rapport aux récifs naturels et la proximité des sites en eau profonde avec le Gulf Stream, un courant océanique d'eau chaude au large du plateau continental.

    Quelles que soient les raisons, les chercheurs indiquent que la présence de ces récifs pourrait permettre aux espèces marines vulnérables de survivre grâce à l'habitat qu'ils leur procurent à l'heure où le réchauffement des océans pousse certaines espèces de poissons à migrer vers les pôles.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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