À peine découvert, le plus grand amphibien au monde est déjà menacé d'extinction

Les salamandres géantes de Chine seraient en fait trois espèces distinctes, une découverte qui devrait permettre de mieux organiser les efforts fournis pour sauver cet animal en danger critique d'extinction.

De Douglas Main
Publication 17 sept. 2019, 17:53 CEST
En danger critique d'extinction, cette salamandre géante de Chine, Andrias davidianus, a été photographiée au zoo ...
En danger critique d'extinction, cette salamandre géante de Chine, Andrias davidianus, a été photographiée au zoo d'Atlanta. Selon une nouvelle étude, il existe au moins trois espèces de salamandres géantes de Chine.
PHOTOGRAPHIE DE Joël Sartore, National Geographic Photo Ark

Quel est le plus grand amphibien sur Terre ? Les scientifiques viennent tout juste d'apporter une nouvelle réponse à une question qui semblait pourtant être une affaire classée.

De manière générale, nous savions déjà que le plus grand amphibien était la salamandre géante de Chine. En longueur, ces animaux peuvent dépasser les 1,50 m et peser plus de 45 kg. À peine quelques décennies en arrière, il était possible de les croiser sur l'ensemble du territoire chinois, des régions subtropicales au sud aux montagnes du centre-nord en passant par la partie orientale du pays.

Malgré une présence aussi étendue, dans des zones séparées par des chaînes de montagnes et composées de rivières indépendantes, les chercheurs ont toujours considéré que ces animaux n'appartenaient qu'à une seule et même espèce : Andrias davidianus.

Cependant, de nouvelles recherches menées sur des spécimens de musée montrent que les salamandres géantes de Chine ne formeraient pas une, mais plutôt trois espèces différentes, au minimum. Un nouveau nom a d'ailleurs été donné à celle qui serait la plus imposante des trois : Andrias sligoi, ou salamandre géante de Chine méridionale, d'après une nouvelle étude publiée le 17 septembre dans la revue Ecology and Evolution.

« C'est étonnant à cette époque d'avoir dû attendre aussi longtemps pour savoir quel était le plus grand amphibien au monde, » déclare l'auteur principal de l'étude, Samuel Turvey, scientifique spécialiste de la conservation au sein de la Société zoologique de Londres.

La nouvelle arrive alors que le temps presse pour ces animaux. Andrias davidianus est déjà considéré en danger critique d'extinction et ces créatures se rapprochent sérieusement de l'extinction à l'état sauvage, rapporte Turvey. Il est presque certain que la situation des deux nouvelles espèces est encore plus grave, ajoute-t-il. Une identification précise de ces animaux pourrait aider à mieux adapter les efforts de conservation.

 

LE TEMPS PRESSE

Ces amphibiens sont principalement menacés par la perte d'habitat, le braconnage et par-dessus tout, l'élevage intensif. Des millions de salamandres géantes sont en effet conservées à travers toute la Chine dans des fermes mais ces spécimens semblent être des membres de l'espèce la plus répandue, Andrias davidianus.

Cela est en partie dû au fait que cet élevage a débuté en Chine centrale, où vit cette espèce, il y a quelques dizaines d'années avant de se propager au reste du pays. Ces animaux sont considérés comme un met raffiné et leur viande peut se revendre à prix d'or.

Dans le passé, ces fermes remettaient souvent de nombreux animaux en liberté dans une tentative malavisée d'aider l'espèce. Cette stratégie a probablement fait plus de mal que de bien ; en raison de la variation géographique, seules les espèces natives d'une zone spécifique devraient y être réintroduites, explique Turvey.

Ces remises en liberté hasardeuses ont pu propagé des maladies et introduire une compétition ainsi qu'une hybridation entre les animaux.

« On peut parler de mauvaises espèces au mauvais endroit, » résume-t-il.

Turvey et ses collègues ont recherché des salamandres géantes de Chine dans la nature entre 2013 et 2016 et n'en ont trouvé que sur quatre sites. Cependant, tous ces spécimens avaient probablement été relâchés par les élevages car leur patrimoine génétique ne correspondait pas à celui de la région.

« C'est un brusque rappel à la réalité, particulièrement déprimant, personne n'avait réalisé que la situation était d'une telle gravité, » confie Turvey. Les résultats de leur enquête ont fait l'objet d'un article publié dans la revue Current Biology  en mai 2018.

 

ANALYSE GÉNÉTIQUE

Pour mener cette étude, les chercheurs ont examiné des spécimens de musée collectés il y a plusieurs dizaines d'années, avant l'élevage intensif et la diffusion anarchique des amphibiens à travers le pays orchestrée par l'Homme.

Leur analyse montre que les salamandres ont commencé à diverger il y a 3,1 millions d'années alors que s'élevait le plateau tibétain aux côtés des montagnes de Nanling, au centre-sud de la Chine. Ces mouvements géologiques ont contribué à séparer géographiquement les animaux en au moins trois lignées, donnant chacune naissance à une espèce différente, endémique du fleuve Yangzi Jiang au nord, de la rivière des Perles au sud-ouest et de divers cours d'eau au sud-est.

Ces résultats découlent des spécificités géographiques et génétiques des différents groupes mais les scientifiques n'ont pas pu examiner les différences anatomiques qui distinguaient les espèces en raison de la méthode de conservation des animaux. Certains spécimens ont été conservés dans un liquide et d'autres au sec, certains animaux sont donc devenus au fil du temps de véritables morceaux séchés de « papier amphibien, » indique Turvey.

De nombreux échantillons proviennent par ailleurs de jeunes salamandres qui ne présentent pas l'ensemble des caractéristiques observées chez les individus plus âgés. La pression infligée par le braconnage a eu un impact sur la croissance des animaux qui se gardent bien d'atteindre des tailles immenses à l'état sauvage, ajoute-t-il. À l'heure actuelle, il est impossible de savoir comment se distingueraient par leur taille les salamandres adultes de chaque espèce.

En ce qui concerne la troisième espèce, le groupe n'a pas encore eu l'occasion de la décrire ou de la nommer car il ne dispose que de l'ADN extrait d'un échantillon de tissus, sans aucun spécimen complet à analyser, explique Turvey. (À lire : Une nouvelle espèce de salamandre géante a été découverte en Floride.)

Les chercheurs espèrent que leur travail permettra de prendre les mesures de conservation appropriées. Idéalement, les salamandres d'élevage pourraient être contrôlées et faire l'objet d'une identification génétique avant une possible reproduction suivie d'une remise en liberté.

« Nous sommes à deux doigts de perdre le plus grand amphibien au monde, » conclut Turvey. 

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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