La CITES, dernier rempart pour sauver les espèces rares

Elle veille sur près de 36 000 espèces en danger, végétales et animales. Plongée dans les coulisses de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d’extinction.

De Taïna Cluzeau
Publication 21 oct. 2019, 12:25 CEST
Il reste 35 000 girafes masaï à l'état sauvage. Leur population a diminué de près de ...
Il reste 35 000 girafes masaï à l'état sauvage. Leur population a diminué de près de moitié au cours des 30 dernières années.
PHOTOGRAPHIE DE Sérgio Pitamitz, Nat Geo Image Collection

Bonne nouvelle : depuis le 28 août 2019, la population argentine de vigognes, une espèce sauvage de camélidé du même genre que les alpagas, peut de nouveau faire l’objet d’un commerce. Pourquoi s’en réjouir ? Car cela signifie que cette population n’est plus menacée. Dans les pays andins, comme la Bolivie, l’Argentine ou le Pérou, ces animaux, convoités pour leur laine particulièrement fine et douce, sont passés de quelques milliers d’individus en 1969 à plus de 500 000 aujourd’hui. Une augmentation conséquente due, en particulier, à la réglementation mise en place par la CITES – acronyme anglais désignant la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d’extinction.

 

183 SIGNATAIRES ET TROIS LISTES D’ESPÈCES À PROTÉGER

Fondée en 1973 par 80 pays, la convention réunit aujourd’hui 183 signataires (182 pays, plus l’Union européenne), qui se rencontrent tous les trois ans afin de décider quelles sont les espèces nécessitant la mise en place de permis d’importation et d’exportation dans le but de les protéger. « La CITES préserve la nature en veillant à ce que le commerce international des plantes et des animaux sauvages soit légal, durable et traçable. Un commerce bien géré contribue également au bien-être humain, aux moyens de subsistance et à la réalisation des objectifs de développement durable à l’horizon 2030 », expliquait la secrétaire générale Ivonne Higuero, lors de la dernière conférence réunissant les pays signataires.

Concrètement, le texte de la Convention regroupe trois listes d’espèces à protéger. L’Annexe I comprend celles menacées d’extinction. Pour la France, par exemple, il s’agit majoritairement d’aigles, de faucons, de baleines ou de loutres. Le commerce de ces espèces n’est autorisé que dans des conditions exceptionnelles, mais il reste néanmoins possible. L’Annexe II inclut les espèces qui ne sont pas nécessairement menacées d’extinction, mais dont le commerce doit être réglementé pour éviter une exploitation incompatible avec leur survie. Les vigognes d’Argentine viennent ainsi d’être déclassées de la première annexe pour rejoindre la deuxième. Enfin, l’Annexe III englobe les espèces protégées dans un pays qui a demandé aux autres signataires de la CITES leur assistance pour en contrôler le commerce. C’est le cas des morses, par exemple, dont les populations sont jugées stables. Mais le Canada souhaitait mieux encadrer le négoce des produits issus de ces animaux, en particulier leurs dents. Il a donc fait inscrire cette espèce à l’Annexe III.

Aujourd’hui, environ 5 800 espèces animales et 30 000 espèces végétales apparaissent dans ces listes, dont plus de 2 000 présentes sur le territoire français. En cas de doute sur la nécessité d’avoir un permis pour transporter un animal, un végétal ou des produits qui en sont issus, il est possible d’effectuer une recherche dans le catalogue en ligne de la CITES.

 

UN PROCESSUS BIEN RÔDÉ

Pour faire appliquer la Convention, chaque pays désigne un organe de gestion responsable de l’émission des permis, ainsi qu’une autorité scientifique. En France, il s’agit respectivement du ministère de la Transition écologique et solidaire et du Muséum national d’histoire naturelle de Paris.

Lors de la conférence d’août 2019, les référents CITES du Muséum sont d’ailleurs intervenus sur deux dossiers d’importance. D’abord, ils ont appuyé la proposition de certains pays d’Afrique d’intégrer les girafes dans l’Annexe II. Ces dernières ont perdu 36 à 40 % de leurs effectifs lors des trois dernières décennies, notamment sous l’effet de la réduction de leur habitat. « Ces girafes sont la cible de braconnage, mais les données récoltées sur les conséquences de ce trafic illégal n’étaient pas suffisantes pour conclure à une menace certaine. Or il faut que ce soit le commerce qui menace l’espèce pour que la CITES se saisisse de sa protection, détaille Arnaud Horellou, responsable pour l’Autorité scientifique française de la CITES au Muséum national d’histoire naturelle (unité PatriNat). Cependant, par extrapolation, nous craignions que, sans intervention, cette menace ne devienne bien réelle. La France a donc réussi à convaincre ses partenaires européens, sur la base du principe de précaution. »

En amont de la conférence, les vingt-huit pays de l’Union européenne se réunissent en effet quatre fois par an, à Bruxelles, pour se mettre d’accord sur les propositions à soumettre pour modifier les listes de la Convention. Le fait que l’Europe se saisisse de la proposition a permis, lors du vote des signataires de la CITES, de faire bloc à vingt-huit pays et de peser suffisamment pour convaincre les deux tiers des signataires – la majorité requise pour l’entrée d’une espèce dans la Convention.

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    Le second dossier piloté par la France a permis de protéger, en les plaçant en Annexe II, trois espèces d’holoturies à mamelles : Holothuria nobilis, H. withmaei et H. fuscogilva. Ces espèces de concombres de mer sont particulièrement menacées, car consommées en abondance sur le marché asiatique. « Comme certaines holoturies en danger ressemblent beaucoup à d’autres espèces non menacées, aucun pays signataire n’était encore arrivé jusqu’ici à définir une proposition réellement applicable par les autorités pour leur protection, explique Arnaud Horellou. Mais ces trois-là sont facilement reconnaissables par les services des douanes, en plus d'être fortement demandées sur les marchés asiatiques. »

     

    LES LIMITES DE LA CONVENTION

    Si l’application de la CITES permet de réelles avancées – et notamment, comme le note son plan de stratégie, de « contribuer à une réduction substantielle du rythme de l’appauvrissement de la diversité biologique » –, elle connaît aussi des limites. « L’efficacité de la convention tient notamment à la création des permis d’importation. Même si une espèce a passé illégalement la douane depuis des États avec peu de législation ou dont les frontières sont de vraies passoires, la réglementation sera appliquée dans le pays d’arrivée, se félicite Jacques Rigoulet, expert de la faune pour l’Autorité scientifique française de la CITES au Muséum national d’histoire naturelle. Cependant, le trafic illégal des espèces étant le quatrième le plus important du monde, il n’y a pas suffisamment de douaniers pour contrôler tout ce commerce illégal. »

    Autre limite : la CITES constate que les organismes de gestion et autorités scientifiques de nombreux pays manquent de moyens financiers et d’organisation pour appliquer la Convention de manière durable. Alors que chaque signataire doit verser à la CITES une contribution proportionnelle à sa situation économique, nombre d’entre eux présentent des retards de paiement.

    Pour les prochaines années, la conférence d’août 2019 a mis sur la table un nouveau défi : inclure les communautés locales et autochtones dans le processus de prise de décision de la CITES. De quoi rendre la Convention encore plus efficace.

     

    En octobre 2019, le magazine National Geographic propose un numéro spécial sur les espèces rares en voie d'extinction. 

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