Ouganda : alors que la pandémie s'installe, les braconniers font rage

Lions, girafes et même un gorille à dos argenté font partie du récent tableau de chasse des braconniers.

De Dina Fine Maron
Publication 16 juil. 2020, 09:58 CEST
Le parc national des chutes de Murchison est une place forte pour les dernières girafes d'Ouganda. ...

Le parc national des chutes de Murchison est une place forte pour les dernières girafes d'Ouganda. Pendant la pandémie de coronavirus, davantage de locaux installent des pièges afin de capturer des animaux comme les antilopes pour se nourrir de leur viande ou la revendre. Cependant, ces pièges attrapent indifféremment toute sorte d'animaux : le mois dernier, les rangers du parc ont constaté le décès de sept girafes à cause de ces pièges.

PHOTOGRAPHIE DE Ami Vitale

Nuit après nuit, des hommes s'introduisent au cœur des forêts qui recouvrent le nord-ouest de l'Ouganda. Ils arrivent depuis l'ouest, par le lac Albert, à bord de canoës creusés dans des troncs d'arbres, avant de s'enfoncer à travers le sous-bois luxuriant de la plus grande réserve naturelle du pays, le parc national des chutes de Murchison.

Ils déchargent à la hâte leur cargaison : des collets métalliques de fortune et de vieilles pièces détachées transformées en pièges mortels. Ces derniers, fabriqués localement en Ouganda ou de l'autre côté de la frontière en République démocratique du Congo, ne nécessitent aucune compétence particulière. De plus, ils sont assez puissants pour briser la patte d'une antilope, d'une girafe ou d'un lion. C'est ensuite la perte de sang, la déshydratation, le manque de nourriture ou une combinaison des trois qui aura raison des animaux cloués au sol. Les dispositifs ne font aucune différence et sont déclenchés par le premier animal venu, quel qu'il soit.

D'après les autorités, ces dispositifs illégaux auraient été dissimulés par milliers à travers Murchison et les neuf autres parcs nationaux d'Ouganda depuis le début du confinement à la mi-mars et l'arrêt consécutif des activités de tourisme de la faune. L'Uganda Wildlife Authority (UWA, agence ougandaise de protection de la faune et de la flore) a enregistré 367 incidents liés au braconnage dans les parcs du pays entre février et mai de cette année, soit plus du double des chiffres de la même période en 2019 nous informe Charles Tumwesigye, directeur adjoint des opérations de l'UWA. Et ces chiffres sous-estiment probablement la réalité, car il arrive que les pièges et les carcasses des animaux soient retirés avant d'être détectés par les autorités.

Le tourisme est un pilier central de l'économie ougandaise avec plus de quatre milliards de dollars générés chaque année et plus d'un millier d'emplois créé par le tourisme de la faune à lui seul. Toutefois, la perte soudaine de visiteurs dans les parcs, là où leur présence dissuade les braconniers, a compliqué la tâche aux équipes de rangers. Sans les touristes, indique Tumwesigye, il est plus facile pour les braconniers de surveiller les allées et venues des rangers puis de passer à l'acte dès qu'ils ont quitté la zone. Le tourisme finance également les opérations anti-braconnage. « Avec l'incertitude du personnel quant au versement de leur salaire en l'absence des touristes, je pense que la motivation et la volonté de combattre les braconniers ont diminué, » ajoute-t-il. Le confinement a également poussé certaines personnes à croire, à tort, que les rangers ne patrouillaient plus les parcs, ce qui les a confortées dans leurs activités de braconnage, poursuit-il.

D'après Tumwesigye, la plupart des pièges sont posés par les locaux qui ont du mal à nourrir leur famille à la suite de l'effondrement du secteur touristique. Le phénomène ne semble pas lié aux réseaux du crime organisé qui alimentent le braconnage à échelle commerciale de l'ivoire d'éléphant, des cornes de rhinocéros ou d'autres marchés lucratifs de parties d'animaux. L'objectif des locaux est de capturer des antilopes ou des sangliers pour revendre ou consommer leur viande.

Néanmoins, la liste des victimes récentes inclut également des lions, des girafes et même un gorille à dos argenté. Il ne reste sur la planète qu'un millier de gorilles des montagnes environ et plus de la moitié d'entre eux vivent en Ouganda. Par ailleurs, le pays n'abrite plus que 300 lions et 2 000 girafes, ce qui rend d'autant plus grave la perte de chaque animal, déclare Paul Funston, directeur du programme dédié aux lions et directeur régional de Panthera pour l’Afrique australe, une organisation mondiale pour la sauvegarde des félins sauvages, « et plus particulièrement les lionnes adultes et les girafes femelles, » ajoute-t-il, « car elles sont essentielles aux futures tendances démographiques. »

La recrudescence du braconnage induite par la pandémie n'est que le dernier fléau en date à frapper la faune ougandaise. Une grande partie des animaux du pays ont trouvé la mort entre les années 1960 et 1990, période pendant laquelle un coup d'État, une guerre contre la Tanzanie voisine et six années de guerre civile ont accentué le braconnage et privé les parcs de leurs visiteurs. La population d'éléphants a chuté de 30 000 spécimens d'après les estimations à seulement 2 000 et le nombre de girafes a été réduit de 90 %. Les lions ont vraisemblablement connu le même sort. Toutefois, la croissance enregistrée ces dernières décennies par le tourisme de la faune en Ouganda avait permis aux autorités d'accorder de plus amples financements aux initiatives anti-braconnage.

 

DÉCLIN DES GIRAFES, VULNÉRABILITÉ DES LIONS

En juin, les rangers de l'UWA et des groupes partenaires se sont répartis à travers une vaste parcelle du parc national de Murchison dans le cadre d'une patrouille étalée sur deux jours. Au cœur d'une zone autrefois peuplée de touristes, ils ont découvert des pièges dans lesquels gisaient les carcasses de sept girafes, nous informe Michael Keigwin, fondateur de l'organisme à but non lucratif Uganda Conservation Foundation, partenaire de l'opération des rangers de l'UWA. « Nous avons trouvé cinq girafes le premier jour, puis deux le jour suivant, toutes dans la même zone, » dit-il. « C'est accablant. »

À présent, c'est la sécurité des lions de Murchison et d'autres parcs nationaux qui soulève les inquiétudes. Avant la pandémie, il arrivait que les éleveurs empoisonnent illégalement les lions en représailles des têtes de bétail qu'ils avaient abattues, indique Tumwesigye. Mais ce qu'il constate aujourd'hui est différent.

Le 16 mai, le corps d'un lion auquel il manquait plusieurs membres a été découvert sur les terres du parc national Queen Elizabeth. Cette triste découverte manque cruellement de contexte mais dans plusieurs pays d'Afrique, les têtes de lions, leurs queues et leurs pattes interviennent dans la fabrication d'un remède traditionnel, appelé muti, car elles apporteraient prospérité et bonne fortune à qui les consomme. Le braconnage pour le muti de lion ne cesse d'augmenter en Afrique du Sud depuis 2016, c'est pourquoi Tumwesigye et son équipe cherchent aujourd'hui à savoir si ce phénomène existe également en Ouganda.

D'après Ludwig Siefert, vétérinaire de la faune sauvage et responsable d'équipe pour l'Uganda Carnivore Program, une organisation à but non lucratif qui étudie et surveille les grands carnivores du pays comme les lions, les léopards et les hyènes, plusieurs lions vivant dans le parc national Queen Elizabeth auraient disparu de leur territoire habituel. De plus, au moins quatre lions ont été pris au piège de collets installés dans le parc des chutes de Murchison au cours des derniers mois, indique Tumwesigye. Ils ont été libérés et ont probablement survécu, précise-t-il. « En tant qu'espèces sociales, les lions ont tendance à survivre même avec les blessures les plus invalidantes tant qu'ils peuvent compter sur leur clan, » explique Siefert.

Afin de protéger les lions et suivre leurs déplacements, l'UWA, l'Uganda Carnivore Program et l'Uganda Conservation Foundation multiplient leurs efforts visant à équiper de colliers émetteurs les lions des parcs nationaux. Ces derniers mois, trois lions du parc Queen Elizabeth et un autre de Murchison ont reçu ces colliers, mais d'après Siefert, le manque d'argent constitue un obstacle à ces initiatives. « On ne peut pas se permettre de poser des colliers sur tous les lions, » poursuit-il, donc les organismes se concentrent sur les animaux qui s'aventurent à proximité de communautés où ils encourent un plus grand risque d'être tués.

 

PERTE D'UN GORILLE À DOS ARGENTÉ

Ces pertes ont également affecté un autre animal emblématique du pays : le gorille des montagnes. Le mois dernier, des braconniers d'antilopes ont avoué avoir abattu un dos argenté âgé de 25 ans prénommé Rafiki lorsque celui-ci les a chargés pendant qu'ils chassaient. Aucun gorille n'avait été tué en Ouganda depuis près de neuf ans, en partie parce que les communautés locales bénéficient du tourisme des gorilles et souhaitent à ce titre les protéger.

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    Pose d'un collier émetteur sur une lionne du parc national Queen Elizabeth en 2018 effectuée par une équipe composée, entre autres, de Ludwig Siefert, vétérinaire de la faune sauvage, et Nicholas Nuwaijuka (à gauche), ranger de l'UWA. L'intensification des activités de braconnage pendant la pandémie a rendu d'autant plus urgents les efforts de surveillance des lions, dont le nombre ne cesse de diminuer à l'échelle du continent.

    PHOTOGRAPHIE DE Steve Winter

    « Cet incident illustre les nombreux défis de conservation auxquels nous faisons face, » déclare Martha Robbins, biologiste et tributaire d'une bourse de la National Geographic Society à la tête d'un projet de recherche au long terme sur les gorilles des montagnes d'Afrique.

    Une grande partie des revenus du secteur touristique ougandais provient des expéditions d'observation des gorilles. Cette activité crée directement de nombreux emplois parmi lesquels porteurs, cuisiniers, agents d'entretien, et chauffeurs de véhicules touristiques. Avant la pandémie, le coût de l'autorisation dont les visiteurs devaient s'acquitter pour observer les gorilles s'élevait à 600 $ (525 €). Les communautés établies à proximité des parcs nationaux tiraient profit de ces revenus à travers des accords de partage des bénéfices qui leur reversaient une partie des sommes perçues pour les autorisations et les droits d'entrée. Mais aujourd'hui, l'absence de touristes se traduit par une absence de revenus.

    « Étant donné la perte de revenus et de salaires provenant du tourisme, sans oublier la crise économique causée par la rigidité des mesures de confinement, il n'est pas surprenant de constater une augmentation des activités illégales ces derniers mois, » résume Robbins. « Les efforts de conservation doivent suivre une approche multidimensionnelle et les besoins des communautés locales bénéficier d'une plus grande attention afin que le château de cartes ne s'écroule pas à la moindre interruption du tourisme. »

     

    Wildlife Watch est un projet d'articles d'investigation commun à la National Geographic Society et à National Geographic Partners. Ce projet s'intéresse à l'exploitation et à la criminalité liées aux espèces sauvages. Retrouvez d'autres articles de Wildlife Watch à cette adresse et découvrez les missions à but non lucratif de la National Geographic Society ici. N'hésitez pas à nous envoyer vos conseils et vos idées d'articles et à nous faire part de vos impressions à l'adresse NGP.WildlifeWatch@natgeo.com.
    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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