Everest : Contrairement aux apparences, le toit du monde regorge de biodiversité

Des prélèvements ADN réalisés à partir d’eau de fonte récupérée sur l’Everest ont révélé un trésor de biodiversité inattendu.

De Jude Coleman
Publication 16 sept. 2022, 11:12 CEST
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Le tétraogalle du Tibet (celui-ci a vraiment été pris au Tibet) est présent sur l’Everest selon une étude qui vient de paraître.

 

PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE DE J DONG LEI, NATURE PICTURE LIBRARY, Nature Picture Library

Au printemps 2019, Tracie Seimon a connu quelques nuits d’insomnies. Le glacier sur lequel elle tentait de trouver le sommeil, situé au pied du mont Everest, glissait sous sa tente. Le grondement sourd que fait la glace lorsqu’elle se casse la maintenait éveillée.

Durant trois semaines, cette biologiste moléculaire de la Wildlife Conservation Society de New York a arpenté le glacier du Khumbu. Son objectif était de connaître l’état de la biodiversité dans un des environnements les plus extrêmes de la planète ; une montagne de plus de huit kilomètres d’altitude où les températures négatives, le manque d’oxygène et les tempêtes intenses sont la norme.

Malgré sa nature inhospitalière, le plus haut sommet du monde regorge de vie. Sur le seul flanc méridional de l’Everest, Tracie Seimon et son équipe ont découvert pas moins de 16 % des rangs taxonomiques qui existent sur Terre (ce niveau de classification se décline ensuite en familles, en genres et en espèces). Leurs résultats viennent d’être publiés dans la revue iScience.

« Vous vous sentez tout petit quand vous gravissez les montagnes, » confie-t-elle. « C’est incroyable. »

Selon elle, la plupart des grimpeurs n’ont pas conscience de l’abondance de vie qui les entoure. (À lire : Cette équipe a gravi l’Everest pour tenter de résoudre sa plus grande énigme.)

Le camp de base de l’Everest se trouve au sommet du glacier du Khumbu. Tracie Seimon et son équipe y ont vécu un certain temps, dans des tentes placées à côté de celles d’alpinistes en quête de sommets. D’après Anton Seimon, co-auteur de l’étude et spécialiste de l’atmosphère de l’Université d’État des Appalaches, cet amas de tentes chamarré voit passer environ 40 000 personnes chaque année, ce qui peut perturber l’écosystème environnant.

En plus du trafic pédestre, le changement climatique met lui aussi la montagne à rude épreuve. C’est la raison pour laquelle les chercheurs désiraient établir un point de référence en matière de biodiversité. En effet, en sachant quel type de vie existe actuellement sur l’Everest, les chercheurs seront en mesure surveiller son évolution.

Cela « a été une expérience fascinante et un privilège de faire partie de cette expédition », témoigne Anton Seimon, qui est l’époux de Tracie et est explorateur National Geographic.

 

UNE EAU DE FONTE PLEINE DE VIE

L’équipe s’est rendue sur l’Everest dans le cadre de l’initiative Perpetual Planet, partenariat scientifique entre la National Geographic Society et Rolex dont le but est d’étudier les forêts, les océans et les montagnes de la Terre. Mais cette initiative ne se limite pas à la biodiversité.

En effet, d’autres équipes sont allées installer de nouvelles stations météorologiques ou bien prélever des carottes de glace. Comme pour la plupart des chercheurs et grimpeurs présents sur l’Everest, leur travail n’aurait pas été possible sans une équipe de sherpas qui portaient leur équipement, s’occupaient du campement et les guidaient à travers la montagne.

C’est en prélevant de l’ADN dans des flaques d’eau de fonte que Tracie Seimon a découvert des signes de vie. Tout ce qui vit laisse derrière lui de l’ADN environnemental (ou ADNe), que ce soit dans l’air, dans l’eau ou dans le sol environnant. À la manière d’un bibliothécaire qui se renseignerait sur le contenu d’un livre en scannant son code-barres, les chercheurs recoupent les bribes d’ADNe inconnu qu’ils prélèvent avec une base de données pour savoir de quel organisme il provient. (Les secrets de la vie animale révélés par l’ADN environnemental.)

Les chercheurs se sont focalisés sur les bassins et les cours d’eau les plus en altitude (ceux situés entre 4 480 et 5 485 mètres, en zone alpine supérieure et au-delà). Au total, l’équipe a recueilli près de 23 litres d’eau provenant de dix étendues différentes de la région du Khumbu. Cela leur a permis d’identifier 187 ordres différents, soit un sixième de l’ensemble des rangs taxonomiques présents sur Terre.

Un rang taxonomique est une classification qui permet aux scientifiques de se représenter la distance génétique entre des organismes individuels. Les humains appartiennent par exemple au genre Homo et à l’espèce sapiens. Et nous faisons en plus partie de la famille des Hominidés et de l’ordre des Primates dans lequel on retrouve notamment les lémuriens, les singes et les grands singes.

Dans certains cas, les chercheurs sont parvenus à identifier des organismes de manière très précise, jusqu’à leur genre même ; mais il existe si peu de données sur les habitants de l’Everest que, bien souvent, on manque d’informations pour pouvoir recouper leur ADN jusqu’à un niveau aussi détaillé.

Selon Tracie Seimon, l’écosystème de l’Everest et celui d’autres grandes montagnes sont sous-étudiés. (L’Everest s’est élevé d’une soixantaine de centimètres.)

« La masse continentale qui existe au-dessus de 4 480 mètres d’altitude représente moins de 3 % de la masse continentale mondiale, indique-t-elle. C’était vraiment enthousiasmant de découvrir autant de biodiversité là-haut. »

 

UN REGARD PROFOND SUR L’EVEREST

Parmi les organismes qui nagent, volent et courent sur les pentes en apparence désertes de l’Everest, on trouve notamment des tardigrades et des rotifères, deux créatures microscopiques mais robustes capables de survivre dans le vide spatial. On y trouve également des papillons, des éphémères et d’autres insectes volants en plus d’une multitude de champignons, de bactéries et de plantes.

« C’est le sommet du monde et c’est si inaccessible », s’étonne encore Kristine Bohmann, biologiste de l’Université de Copenhague n’ayant pas pris part aux présentes recherches. Selon cette spécialiste de l’ADNe en suspension dans l’air, ce travail montre que l’étude de la biodiversité ne requiert pas nécessairement une équipe complète de taxonomistes et que cela peut être fait de manière simple et efficace dans des environnements hostiles. (Ces animaux de montagne parviennent à vivre dans des conditions extrêmes.)

En effectuant de plus amples recherches, nous pourrons mieux recenser la diversité de l’Everest et décrire les organismes particuliers qui y vivent. Peut-être que les études réalisées en d’autres saisons révèleront davantage de biodiversité et qu’elles montreront quels genres et quelles espèces viennent vivre sur la plus haute montagne du monde en fonction des conditions climatiques qui y règnent.

Maintenant qu’ils ont établi un point de référence, Tracie Seimon et son équipe veulent comparer de nouveaux prélèvements à leurs données et plus particulièrement documenter les effets du changement climatique sur la biodiversité de l’Everest. Leur travail pourrait servir de matière à de futures études et ouvrir la voie à de nouvelles expéditions scientifiques sur le toit du monde.

La National Geographic Society s’engage à mettre en valeur et à protéger les merveilles de notre monde. En 2019, elle a financé le travail de la biologiste Tracie Seimon et de l’explorateur Anton Seimon dans le cadre de l’initiative Perpetual Planet Everest Expedition, partenariat regroupant National Geographic et Rolex. Pour en savoir plus sur le soutien apporté par la Society aux explorateurs, cliquez ici.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

     

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