Nouvelle-Zélande : peut-on taxer les rots du bétail ?

Dans un pays comptant sept fois plus de têtes de bétail que d'habitants, la proposition de taxe sur les émissions de gaz à effet de serre issues de l'agriculture fait l'objet de vives contestations.

De Hicks Wogan
Publication 25 nov. 2022, 18:42 CET
En Nouvelle-Zélande, les éleveurs ont vigoureusement protesté contre la proposition de leur gouvernement visant à taxer ...

En Nouvelle-Zélande, les éleveurs ont vigoureusement protesté contre la proposition de leur gouvernement visant à taxer les émissions de méthane du bétail, comme ce troupeau de vaches laitières à Whataroa.

PHOTOGRAPHIE DE Hedgehog House, Picture Press, Redux

Là où pousse l’herbe, broute le bétail. Dans cette contrée pittoresque du Pacifique Sud, la scène est récurrente.

En Nouvelle-Zélande, les résidents à quatre pattes sont sept fois plus nombreux que ceux à deux pattes : 5 millions de citoyens pour 26 millions de moutons, et 10 millions de bovins. Le lait, la viande et la laine représentent plus de la moitié des exportations du pays. 

Cependant, cette abondance a un coût pour l’environnement. La moitié des émissions de gaz à effet de serre de la Nouvelle-Zélande provient de l’agriculture, plus particulièrement du méthane et du protoxyde d’azote émanant des rots, de l’urine et des excréments du bétail. 

Ainsi, le mois dernier, la Première ministre Jacinda Ardern a dévoilé un plan visant à taxer les éleveurs néo-zélandais sur la base des émissions de leurs troupeaux. Cet impôt serait reversé au secteur de l’agriculture afin de financer la recherche, l’innovation et les subventions attribuées aux agriculteurs pour leurs efforts destinés à réduire les émissions de gaz à effet de serre, en plantant par exemple des arbres sur leurs terres.
 
Une semaine après l’annonce de la Première ministre, le groupe de défense Groundswell NZ a organisé des manifestations dans plus de cinquante villes à travers le pays. Les agriculteurs se sont rassemblés pour ralentir le trafic sur les autoroutes et les principaux axes urbains. Dans le centre-ville d’Auckland, un tracteur portait le message « Ne mordez pas la main qui vous nourrit ! ». Sur d’autres pancartes, on pouvait lire « Trop, c’est trop » ou encore « Taxe agricole = mort de la NZ rurale ».

Pendant que les Nations unies se réunissaient en Égypte à l’occasion de la Conférence sur les changements climatiques pour examiner les engagements de réduction des émissions fixés en 2015 par l’accord de Paris, les citoyens de l’État insulaire discutaient de la proposition de leur Première ministre. Alors que bon nombre de pays tentent de tenir leur promesse en se concentrant sur le dioxyde de carbone et en s’efforçant de rendre plus propres leurs industries et leurs réseaux électriques, le cas de la Nouvelle-Zélande est différent. Le pays ne contribue qu’à hauteur de 0,17 % aux émissions mondiales, et son électricité provient déjà à 82 % de sources d’énergie renouvelables.

Afin de réduire encore plus ces émissions, le gouvernement néo-zélandais s’est tourné vers le secteur le plus abondant : l’agriculture.

 

POUR LE MONDE

Ce plan fiscal est le premier du genre et le fruit de trois années de travail au sein du gouvernement. La Première ministre a choisi de l’annoncer sur une exploitation laitière de l’île du Nord. Installée sur des ballots de paille formant une estrade, Jacinda Ardern a déclaré : « Notre proposition vise non seulement à faire de nos agriculteurs les meilleurs au monde, mais aussi les meilleurs pour le monde. » Selon ses prévisions, les agriculteurs locaux bénéficieraient ainsi d’un avantage concurrentiel face aux consommateurs du monde entier prêts à payer le prix fort pour une alimentation responsable.

L’ambition du gouvernement est de mettre le pays sur la voie des 10 % de réduction des émissions de méthane à l’horizon 2030, pour ensuite viser les 24 % de réduction avant 2050, date à laquelle le pays souhaite par ailleurs atteindre le « zéro émission nette » pour les gaz à effet de serre persistants, tels que le dioxyde de carbone et le protoxyde d’azote. 

Le plan du gouvernement s’est rapidement heurté aux critiques. Pour Greenpeace, le projet n’allait pas assez loin et ne permettrait donc pas d’atteindre les objectifs. Pour l’ACT Party, le camp opposé au parti travailliste de la Première ministre, le plan risquait de provoquer une relocalisation de la production vers des pays moins efficaces, ce qui se traduirait par une hausse des émissions mondiales.

La réaction la plus incisive est venue du principal lobbyiste agricole du pays, Federated Farmers, qui a soutenu que le plan reviendrait à « étriper la Nouvelle-Zélande des petites villes ».

Le ministre néo-zélandais du Changement climatique, James Shaw, était présent aux côtés de la Première ministre lors de l’annonce du plan fiscal. Il a par la suite accordé une interview à National Geographic, dans son bureau du Parlement à Wellington. « À notre connaissance, aucun autre pays n’envisage un système de taxe des émissions » pour le secteur de l’agriculture, a-t-il affirmé. « Il existe des mécanismes incitatifs dans certains pays : les gouvernements paient les agriculteurs pour réduire les émissions d’une façon ou d’une autre. Notre plan repose en partie sur ce principe, mais il utilise le bâton et la carotte plutôt que la carotte seule. »

 

UNE MESURE INJUSTE ?

À Kiwitea, une ville de l’île du Nord, Andrew Hoggard venait tout juste de traire ses 540 vaches lorsqu’il s’est arrêté pour répondre à une interview téléphonique. En plus d’être producteur laitier, Hoggard est également le président national de Federated Farmers. 

Selon lui, la Nouvelle-Zélande devrait reconsidérer ses objectifs de réduction, notamment la baisse de 10 % des émissions de méthane. « Le gouvernement a juste choisi ce chiffre phare sans prêter attention aux détails. » 

À court terme, ce ne sont pas tant les producteurs laitiers qui inquiètent Hoggard, mais plutôt les éleveurs de bovins et de moutons qui seraient, selon les chiffres du gouvernement, affectés de manière disproportionnée par la nouvelle taxe.

D’après les estimations, un quart des élevages néo-zélandais de bovins et de moutons seraient détenus par des membres du peuple autochtone maori. Suite à la colonisation britannique de la Nouvelle-Zélande, les Maoris ont hérité de terres souvent marginales ou de moindre qualité. Il est parfois difficile de les cultiver et il serait peu pratique de modifier leur utilisation. 

Le ministre du Changement climatique suggérait que ces terres marginales puissent faire l’objet d’investissements conséquents pour la séquestration du dioxyde de carbone. Hoggard, quant à lui, perçoit la situation différemment : ces terres seraient exclues de l’agriculture, et leurs propriétaires seraient sans emploi.

 

CHEF DE FILE

Le gouvernement recueille les commentaires sur la proposition jusqu’au 18 novembre et espère publier un rapport final pour la fin de l’année. Selon le calendrier actuel, si le Parlement présente et approuve la loi en 2023, le système fiscal devrait prendre effet en 2025. Cependant, une année électorale nous sépare de cette échéance, et les 85 000 travailleurs agricoles pourraient bien faire entendre leur voix à travers les urnes.

Lors de notre interview, le ministre du Changement climatique a évoqué la portée internationale de ce plan visant à réduire les émissions de l’agriculture. « Ce système est important pour nous, mais nous savons pertinemment qu’il y a de grandes chances qu’il soit repris, du moins en partie, par d’autres pays au fil du temps. »

Le ministre a également relevé certaines critiques protestant « que personne ne le faisait, alors pourquoi nous ? Mais il faut bien que quelqu’un prenne les devants. » Et pour avoir une chance de stopper le changement climatique, « nous devons tous le faire ».

« De mon point de vue, il s’agit pour la Nouvelle-Zélande de réduire ses émissions, mais c’est aussi l’occasion d’ouvrir la voie pour le reste du monde. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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