Cette espèce de pieuvres défend son territoire en lançant des projectiles

À notre connaissance, seul un petit nombre d'animaux pratique le lancer de projectiles. Et un nombre encore plus restreint d'entre eux, dont la pieuvre Octopus tetricus, les utilise pour cibler d'autres animaux.

De Annie Roth
Publication 19 déc. 2022, 12:34 CET
octopus tetricus

Un individu de l'espèce Octopus tetricus nage librement.

PHOTOGRAPHIE DE Nature Picture Library, Alamy Stock Photo

La singularité de la pieuvre Octopus tetricus réside dans sa façon de défendre son territoire. D’après une nouvelle étude publiée récemment dans la revue PLOS ONE, si un autre animal l’approche d’un peu trop près, cette pieuvre réagit en lui lançant des projectiles.

Originaires des mers subtropicales au large de la Nouvelle-Zélande et l’est de l’Australie, ces céphalopodes ont récemment été pris en vidéo en train de lancer des coquillages, de la vase et des algues sur des intrus un peu trop aventureux. C’est la première fois que l’on note ce type de comportement chez les pieuvres. Les cibles de Octopus tetricus étaient diverses : plusieurs espèces de poissons, des caméras sous-marines et même d’autres pieuvres.

Bien que les scientifiques ne connaissent pas avec certitude les raisons qui motivent un tel comportement, selon Peter Godfrey-Smith, professeur à l’Université de Sydney, en Australie, et auteur principal de l’étude, elles pourraient être liées à « l’équivalent d’un espace de vie privée pour les pieuvres ».

 

UNE AGRESSION RAPPROCHÉE

Godfrey-Smith et ses collègues ont accumulé plus d’une dizaine d’heures d’enregistrements ayant pour sujets plusieurs individus Octopus tetricus situés près de leur tanière dans la baie de Jervis, en Australie. Entre 2015 et 2016, les scientifiques ont documenté plus de 100 cas de céphalopodes lançant des coquillages et de la vase comme des projectiles. Comme cette espèce de pieuvres prolifère dans la région, mais que l’espace est limité dans la baie de Jervis, ces animaux d’ordinaire solitaires sont forcés de vivre retranchés sur de petits territoires, affirme Godfrey-Smith : « Sur ce site, on assiste à pas mal de chamailleries, de rapprochements, à quelques luttes, ce genre de choses. »

Près de la moitié des lancers enregistrés par les vidéos de Godfrey-Smith et ses collègues semblaient avoir été provoqués par l’invasion du territoire d’une pieuvre par une autre — et 17 % de ces attaques ont effectivement touché l’envahisseur. Même s’il est difficile de déterminer les motivations d’un animal, d’après Godfrey-Smith, certains de ces lancers seraient délibérés.

Sur d’autres vidéos, on peut voir les pieuvres user de leur talent de lanceuses pour vider leur tanière de coquillages ou de restes de nourriture.

Pour effectuer ses lancers, Octopus tetricus rassemble des débris avec ses tentacules et les projette en direction de sa cible. Pour ce faire, elle envoie un puissant jet d’eau grâce à son siphon, un organe tubulaire lui servant à pomper et expulser l’eau de son corps. Grâce à cette technique, les céphalopodes peuvent projeter des matériaux sur une distance équivalant à plusieurs fois leur taille.

Ces animaux peuvent changer la couleur de leur corps à leur guise pour se camoufler ou communiquer, les couleurs sombres étant généralement associées à un comportement agressif. Les chercheurs ont remarqué que les individus de couleur sombre avaient tendance à effectuer des lancers plus violents et à attaquer leurs congénères. Ils ont également remarqué que les pieuvres visées esquivaient l’agression ou levaient leurs tentacules en direction de leur assaillant.

Dans les vidéos prises par les chercheurs, les pieuvres semblent ajuster leur angle d’attaque et varier leur force de frappe quand elles attaquaient leurs congénères. Lors d’une confrontation entre pieuvres, l’artillerie la plus utilisée était de la vase.

Capture d'écran d'un Octopus tetricus qui lance de la vase.

PHOTOGRAPHIE DE Peter Godfrey-Smith

 

OCTOPUS TETRICUS : SOCIABLE ET ANTISOCIALE ?

Si le fait de se jeter des objets à la figure n’aide pas vraiment les humains à résoudre leurs conflits, un tel comportement « pourrait tempérer les interactions sociales des pieuvres qui vivent à proximité les unes des autres », explique Chelsea Bennice, écologiste marine à la Florida Atlantic University. Les pieuvres lancent peut-être des coquillages et de la vase pour défendre leur territoire, ou pour montrer à de potentiels partenaires sexuels qu’elles ne sont pas intéressées.

Les chercheurs ont par exemple observé une femelle projeter de la vase sur son voisin mâle (cinq fois en l’espace de quatre heures) après que celui-ci avait tenté de s’accoupler avec elle à plusieurs reprises, en vain.

Quelle que soit la raison de ce comportement, cette espèce de pieuvres se distingue de la majorité des autres animaux par le simple fait qu’elle l’ait adopté. En effet, à notre connaissance, seul un petit nombre d’animaux ne s’adonne au lancer de projectiles. Et ce nombre est encore plus restreint lorsqu’il s’agit de cibler d’autres animaux – et ce sont tous des mammifères très sociaux.

Les scientifiques ont longtemps pensé que les pieuvres étaient des animaux solitaires. Cependant, le fait que les individus d’Octopus tetricus soient des tireurs sous-marins constitue l’une des nombreuses découvertes faites récemment sur la vie sociale des pieuvres. Cela semble suggérer que ces créatures très intelligentes pourraient être plus sociables que ce que l’on croyait.

« Grâce aux progrès de la technologie, nous sommes capables de prendre davantage de photos et de vidéos du monde sous-marins et de comprendre les comportements fascinants des invertébrés les plus intelligents », se réjouit Bennice. « J’ai hâte de voir ce que nous révéleront les futures vidéos. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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