Les yeux des rennes changeraient de couleur selon la saison

Un astrophysicien et un spécialiste des yeux ont joint leurs efforts pour découvrir comment et pourquoi les yeux des rennes, qui sont jaunes l’été, deviennent bleus l’hiver.

De Alejandra Borunda
Publication 23 déc. 2022, 14:07 CET
Les yeux des rennes sont dotés d’une couche réfléchissante qui change selon que l’on est en ...

Les yeux des rennes sont dotés d’une couche réfléchissante qui change selon que l’on est en été ou en hiver et qui leur permet de s’adapter à la nuit polaire qui dure plusieurs mois. En Norvège, ce sont des éleveurs samis qui s’occupent de ces animaux. Ce peuple autochtone côtoie les rennes depuis des générations.

PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIES DE CARL-JOHAN UTSI / EYEVINE / REDUX, Guardian, eyevine, Redux

La veille de Noël, un attelage de rennes traversera les cieux, tirant derrière lui le Père Noël et son traîneau chargé de cadeaux.

Mais les rennes de l’attelage du père Noël ne sont pas les seuls à accomplir des prouesses à cette période. En Extrême-Arctique, des cousins à eux sont sujets à un phénomène optique unique en son genre dans le monde animal : la structure de leurs yeux se modifie afin qu’ils puissent trouver de la nourriture et échapper aux prédateurs lors des longs mois obscurs de la nuit polaire.

Pendant l’été, le tapetum lucidum des rennes, une couche semblable à un miroir située à l’arrière de leurs yeux, brille d’un or strié de turquoise et est iridescent comme une opale dorée. Mais l’hiver venu, cette couche renvoie un bleu profond et intense.

Cela fait des années que des chercheurs tentent de démêler le pourquoi du comment de ce changement spectaculaire. Mais grâce à un astrophysicien, à un neuroscientifique et à des sacs remplis d’yeux de rennes, on a pu faire toute la lumière sur cet élégant phénomène optique. (Découvrez les photos de rennes préférées de la rédaction de National Geographic).

« Ce que nous avons découvert est un mécanisme biologique vraiment remarquable qui est totalement unique et bizarre, mais qui est tout à fait logique », affirme Glen Jeffery, neuroscientifique de l’University College de Londres et auteur d’une étude publiée récemment qui élucide ce phénomène.

 

ADAPTATION HIVERNALE

Des scientifiques examinent un tapetum lucidum issu d’un œil de renne prélevé en hiver et obtenu en Norvège auprès d’éleveurs samis.

PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE DE ROBERT FOSBURY

L’hiver, au niveau du 70e parallèle, qui passe près de Tromsø, en Norvège, ou encore près d’Utqiagvik (anciennement Barrow), en Alaska, le soleil ne point pas à l’horizon pendant plus de 60 jours ; les rennes baignent 12 à 24 heures par jour dans une pénombre insondable.

« Même en hiver, dans le Yukon ou dans le nord du Manitoba, vous avez un cycle jour/nuit. Ici, rien de tout cela », indique Nicholas Tyler, chercheur au Centre d’études sur les Samis à l’Université de Tromsø. « C’est une chose unique en son genre. »

Dans la nuit polaire, la luminosité est au moins 100 000 fois plus faible que lorsqu’il y a du soleil en été. Ce crépuscule de plusieurs mois est d’un bleu intense. Cela est dû au fait que lorsque le Soleil se trouve bas sous l’horizon, ses rayons traversent d’abord l’atmosphère de bas en haut avant d’être redirigés vers la Terre ; ils parcourent un chemin exceptionnellement long et gorgé d’ozone. Ce gaz absorbe presque entièrement les spectres rouge et orange de la lumière et ne laisse filtrer que le bleu, qui vient rebondir sur la Terre et envelopper le paysage d’une teinte outremer.

« C’est en quelque sorte un filtre qui s’étend sur toute la voute céleste et élimine la lumière orange tout en en laissant passer la bleue », fait observer Robert Fosbury.

Nombreux sont les animaux qui évoluent dans des conditions où la luminosité est faible. Une parade courante au manque de lumière est le tapetum lucidum, un trait adaptatif que l’on retrouve à l’arrière de la rétine qui, elle, a pour rôle d’absorber la lumière. Lorsque l’on vit dans la quasi-obscurité, chaque photon compte : parfois, un photon pénètre l’œil mais passe à côté des pigments photorécepteurs de la rétine (les fameux bâtonnets et cônes). Le tapetum renvoie alors ce photon vers l’extérieur, lui donnant ainsi une nouvelle occasion de se faire absorber. D’après Braidee Foote, ophtalmologiste vétérinaire de l’Université du Tennessee à Knoxville, chez certains animaux nocturnes comme le chat, la réflectivité du tapetum peut exacerber la lumière atteignant les photorécepteurs par un facteur deux, voire davantage.

D’après Braidee Foote, les tapetum lucidum se présentent sous différentes couleurs mais sont souvent d’une teinte dorée qui tire sur le jaune, semblable à celle des miroirs en bronze, ou bien verdâtres. Ce sont ces « tapis luisants » qui donnent aux yeux des chats ou des ratons laveurs leur lueur étrange dans l’obscurité.

Mais pourquoi les tapetum des rennes deviennent-ils bleus l’hiver ? La réponse réside vraisemblablement dans la maximisation de l’absorption du spectre bleu de la lumière et des longueurs d’onde plus courtes durant la longue nuit polaire.

Le spectre lumineux visible par les humains s’étire sur des longueurs d’onde allant de 400 nm (violet) à 700 nm environ (nuances de rouge). Mais les rennes ont une bonne vision du spectre ultraviolet (UV) dont les longueurs d’onde sont plus courtes et auquel on doit notamment les ophtalmies des neiges (ou photokératites).

Selon Robert Fosbury, cette aptitude à percevoir les UV pourrait leur être utile de deux manières. Tout d’abord, cela leur permet vraisemblablement de trouver de la nourriture dans la neige l’hiver. Le lichen, un aliment de base du régime hivernal des rennes, absorbe les UV et contraste donc avec le blanc de la neige qui, elle, renvoie les UV. La fourrure des loups et des ours polaires absorbe également les UV. Ainsi, au lieu de se fondre dans le paysage, ils se détachent sur la neige par un effet de contraste qui les trahit plus facilement aux yeux des rennes.

D’autres animaux du grand Nord font peut-être la même chose, mais « nous n’avons tout simplement pas encore vérifié », concède Nathaniel Dominy, neuroscientifique spécialiste de la vision du Dartmouth College.

UNE DÉCOUVERTE QUI NOUS OUVRE LES YEUX

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    La seconde question était plus compliquée : comment les rennes font-ils pour que leurs yeux changent ? Pour y répondre, il a fallu le concours d’un astrophysicien : Robert Fosbury.

    En reconstituant les conditions optiques qui règnent lors de la nuit polaire, ce dernier a découvert que le tapetum s’« accorde » à la fréquence de la lumière ambiante.

    En laboratoire, avec Glen Jeffery, il a disséqué et réalisé des expériences sur un grand nombre d’yeux de rennes conservés dans des sacs et dans des bocaux, et prélevés au fil des années dans des troupeaux possédés par les Samis, un peuple autochtone scandinave.

    Les tapetum des rennes sont faits de petites fibres de collagène en suspension dans un fluide. Celles-ci forment un cristal réfléchissant dont la configuration peut changer. L’été, ces fibres de collagène flottaient librement dans le fluide, créant ainsi un miroir cristallin qui reflétait particulièrement les tons rouges du spectre lumineux. Mais dans les yeux prélevés l’hiver, ces fibres étaient disposées de manière bien plus compacte, ce qui avait pour effet de modifier la forme du cristal et de lui faire refléter principalement la lumière bleue ainsi qu’une petite partie du spectre ultraviolet.

    Dans l’obscurité, les pupilles des rennes se dilateraient et, ce faisant, elles bloqueraient un petit trou permettant au fluide de l’œil de s’évacuer. Cela ferait augmenter la pression interne de l’œil, compresserait le collagène du tapetum et modifierait la forme des cristaux. Les pupilles reprennent vraisemblablement leur forme normale l’été venu.

    « Vous additionnez tout ça et la sensibilité de leurs yeux est au moins mille fois plus élevée l’hiver que l’été », affirme Nicholas Tyler.

    Mais cette adaptation unique est peut-être source de maux pour eux. De nos jours, des lignes à haute tension quadrillent les territoires où vivent les troupeaux des Samis et émettent des salves de lumière ultraviolette qui, pour les rennes, ressemblent « à des feux d’artifices dont ils ne s’approchent pas », explique Glen Jeffery, qui encourage les Samis à intenter des procès afin de protéger leurs troupeaux.

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