Thaïlande : un baron du braconnage en cavale après avoir été condamné à de la prison

Les recherches se poursuivent pour retrouver Bach « Boonchai » Mai, récemment condamné à cinq ans de prison par un tribunal thaïlandais. Selon certains spécialistes, il serait notamment impliqué dans le trafic d’ivoire et de cornes de rhinocéros.

De Rachel Nuwer
Publication 20 févr. 2023, 19:05 CET
Un policier thaïlandais classe des défenses d’éléphants saisies avant une conférence de presse à Bangkok le ...

Un policier thaïlandais classe des défenses d’éléphants saisies avant une conférence de presse à Bangkok le 19 mars 2015. Quelques heures auparavant, la police avait arrêté le Malaisien Teo Boon Ching et ses associés thaïlandais soupçonnés de trafic d’ivoire. On soupçonnait en outre Teo Boon Ching d’être un des principaux fournisseurs du réseau de contrebande dirigé par Bach « Boonchai » Mai.

PHOTOGRAPHIE DE CHAIWAT SUBPASO, REUTERS / ALAMY, Reuters, Alamy

À cette période il y a quatre ans, le moral des responsables thaïlandais de la lutte contre le trafic d’espèces sauvages était loin d’être au beau fixe. Le dossier monté contre Bach « Boonchai » Mai, soupçonné d’être à la tête d’un important réseau international de trafic d’espèces sauvages et jugé pour son rôle présumé dans la vente clandestine de quatorze cornes de rhinocéros, venait de s’effondrer après la rétractation d’un témoin clé devant le tribunal. Les défenseurs de la cause animale se sont alors plaints de la décision du juge de classer l’affaire. Selon eux, cette décision symbolisait une absence globale de justiciabilité pour les trafiquants d’espèces de haut rang.

Cependant, les magistrats du Bureau du procureur général thaïlandais n’ont eu de cesse de faire appel de la décision. En septembre 2022, leurs efforts ont fini par payer : la Cour suprême thaïlandaise a condamné Bach Mai à cinq ans de prison. « Il y avait toujours cette pointe d’embarras qu’il ait réussi à s’en sortir librement », explique Steven Galster, fondateur de Freeland, groupe d’action de Bangkok agissant contre le trafic à l’origine de l’enquête sur Bach. « C’était pour la Cour suprême une manière de riposter et de dire : ‘Ça suffit.’ ».

« Le tribunal a envoyé un message fort aux trafiquants d’espèces sauvages avec cette décision », ajoute Sylvia Shweder, conseillère juridique pour l’Asie du Sud-Est au Service de lutte contre le trafic d’espèces sauvages du Département de la Justice des États-Unis et habitante de Vientiane, au Laos.

Bach « Boonchai » Mai (à gauche), Vietnamien ayant également la nationalité thaïlandaise et présumé chef d’un important réseau international de trafic d’espèces sauvages, lors de son arrestation à Bangkok le 20 janvier 2018 pour le rôle qu’il aurait joué dans l’expédition clandestine de quatorze cornes de rhinocéros.

PHOTOGRAPHIE DE ROBERTO SCHMIDT, AFP/GETTY IMAGES, AFP, Getty Images

Bach Mai a été jugé par contumace et est désormais considéré fugitif. Un mandat d’arrêt a été émis à son encontre. D’après Jeremy Douglas, représentant régional de l’Asie du Sud-Est à l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime, plusieurs agences thaïlandaises cherchent à le localiser, mais dans l’éventualité où il aurait quitté le pays, leurs capacités pour se lancer sur ses traces sont limitées. « Il a conservé de bons contacts et réseaux, notamment avec d’autres cibles de la région du Mékong et du Laos, explique-t-il. Nous avons bon espoir que la pression s’accumule et que nous puissions nous lancer à la poursuite de Boonchai et mettre le mandat d’arrêt à exécution. »

La Cour de Justice et le Bureau du procureur général de Thaïlande n’ont pas répondu à nos demandes d’entretiens.

Selon Steven Galster, bien que Bach Mai ait été condamné pour les chefs d’inculpation initialement retenus contre lui, c’est-à-dire pour avoir tenter de faire entrer clandestinement quatorze cornes de rhinocéros en Thaïlande, le réseau qu’il dirige, que Freeland et d’autres défenseurs de la cause animale ont nommé Hydra, joue un rôle de premier plan depuis des années dans le trafic d’ivoire, de cornes de rhinocéros, d’écailles de pangolins, d’organes de tigres et de lion, et de bois de palissandre dans au moins sept pays d’Afrique et dans toute l’Asie du Sud-Est. Selon Steven Galster, certaines semaines, Hydra fait transiter près de deux millions d’euros de produits de contrebande.

Steven Galster et ses collègues ont découvert l’existence Bach Mai en enquêtant sur un autre baron présumé du trafic d’espèces, le Laotien Vixay Keosavang. Ce dernier a fait les gros titres en 2014 lorsque le Département d’État des États-Unis a promis une récompense d’un million de dollars pour tout renseignement menant au démantèlement de son organisation criminelle, le réseau « Xaysavang ».

Vixay Keosavang n’a jamais été arrêté, mais après l’annonce faite par le Département d’État des États-Unis, d’autres membres de son gang ont pris la relève, raconte Steven Galster. En 2014, l’équipe de ce dernier est tombée par hasard sur cinq personnes qui semblaient baigner dans le trafic d’espèces sauvages, qu’ils acheminaient clandestinement du nord-est de la Thaïlande au Laos en traversant la frontière. Mais peu après, ils se sont aperçus que ces cinq noms étaient autant de pseudonymes pour un seul et même individu : Bach Mai.

Selon Steven Galster, en 2016, les autorités thaïlandaises ont bien failli l’arrêter, mais au dernier moment lui et d’autres cadres d’Hydra ont disparu. « Il y a eu une fuite. » L’enquête est restée au point mort jusqu’en décembre 2017, date à laquelle des agents de douane et des policiers de l’aéroport Suvarnabhumi de Bangkok ont découvert quatorze cornes de rhinocéros dans les bagages d’un citoyen chinois avant que Freeland ne les aide à faire le rapprochement entre les cornes et Bach Mai grâce à des données extraites du téléphone du suspect. Pour parvenir à remonter jusqu’à Bach Mai, policiers et douaniers ont ensuite employé une méthode dite de la « livraison contrôlée » qui consiste à autoriser le suspect à poursuivre sa route en possession de la marchandise de contrebande et à le filer.

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    Les autorités malaisiennes montrent une saisie d’ivoire plus tard incinérée lors d’un événement organisé pour lutter contre le trafic illégal d’espèces sauvages à Seremban en avril 2019. Quelques mois auparavant, en Thaïlande, le dossier monté contre Bach Mai était tombé à l’eau après la rétractation d’un témoin clé dans l’affaire. En septembre dernier, la Cour suprême du pays a condamné Bach Mai à cinq ans de prison, mais ce dernier est toujours en cavale.

    PHOTOGRAPHIE DE CHONG VOON CHUNG, XINHUA NEWS AGENCY/ALAMY, Xinhua News Agency, Alamy

    Après le classement de l’affaire début 2019, les procureurs publics ont fait appel de la décision, en vain. Ils ont donc effectué un recours devant la Cour suprême thaïlandaise, dont les juges avaient un avis différent sur l’affaire : selon eux, le comportement du témoin principal qui s’était rétracté trahissait le fait qu’« il connai[ssait] bien l’accusé ». De plus, cette décision indiquait qu’il « avait clairement l’intention de disculper l’accusé et rend[ait] donc [son témoignage] peu fiable ».

     

     

    « DIEU EXISTE »

    Lorsque la Cour suprême a rendu son verdict le 22 septembre, l’année fiscale thaïlandaise s’achevait et la nouvelle de la condamnation de Bach Mai a curieusement échappé à l’attention des médias mais aussi à celle de Freeland. Steven Galster ne l’a apprise que plus de quatre mois plus tard, le 30 janvier. Il n’arrivait pas à y croire. « Mon premier réflexe a été de penser : ‘Dieu existe !’ »

    Les magistrats du Bureau du procureur général intentent en ce moment même une nouvelle action en justice contre Bach Mai pour blanchiment d’argent. En collaboration avec Freeland, les autorités du Bureau de lutte contre le blanchiment d’argent thaïlandais ont saisi les véhicules du trafiquant ainsi que 10,3 millions d’euros d’actifs et ont gelé son compte bancaire.

    « Il est important que les trafiquants d’espèces sauvages de premier plan soient punis et que leurs actifs soient saisis afin de les empêcher de commettre de nouveaux crimes », fait observer Sylvia Shweder. C’est ainsi que nous pourrons démanteler les organisations criminelles du trafic d’espèces sauvages. »

    Selon Steven Galster, certains signes montrent que l’affaire Bach Mai n’est pas unique en son genre. En juin, les autorités américaines et thaïlandaises ont arrêté à Bangkok le Malaisien Teo Boon Ching, suspecté d’être l’un des principaux fournisseurs d’Hydra, dans le cadre d’une saisie de près de 140 kilogrammes d’ivoire. Le Libérien Moazu Kromah, également soupçonné d’être un fournisseur d’Hydra, a été extradé aux États-Unis depuis l’Ouganda en 2019. Il était poursuivi pour association de malfaiteurs en vue de la vente de cornes de rhinocéros et d’ivoire ainsi que pour blanchiment d’argent. En août, une cour fédérale de Manhattan a condamné Moazu Kromah à cinq ans de prison.

    De nouvelles arrestations liées à Hydra pourraient suivre. En août, Freeland, avec le soutien du Département de la Justice des États-Unis, a réuni des policiers, des procureurs et des spécialistes gouvernementaux de la criminalité financière venus de Thaïlande, du Vietnam et de Malaisie pour examiner les données issues des actifs confisqués à Bach Mai et évaluer la possibilité de constituer un dossier plus important impliquant plusieurs pays.

    Selon Steven Galster, si Bach Mai poursuit sa cavale, les autorités thaïlandaises avertiront les responsables vietnamiens, laotiens et malaisiens afin qu’ils restent sur le qui-vive et qu’une chasse à l’homme internationale puisse débuter. Il existe en outre de minces espoirs que Bach Mai se rende. En effet, ce dernier rend des comptes à des supérieurs qui « pourraient le sacrifier et lui dire : ‘Va en prison pour que nous ne perdions pas nos actifs comme toi’ », explique Steven Galster. « Il pourrait bien tout simplement resurgir. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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