À quel point les feux de forêt affectent-ils la faune sauvage ?

Avec la multiplication des incendies, favorisée par le changement climatique, les scientifiques mettent tout en œuvre pour comprendre les répercussions de ces catastrophes sur les animaux.

De Starre Vartan
Publication 25 oct. 2021, 16:59 CEST
smokey macaques

Des macaques crabiers assis sur une branche d’arbre sont encerclés par la fumée d’un incendie qui s’est déclaré sur l’île de Bornéo, en 2015. Rares sont les études qui se penchent sur les effets de la fumée sur les animaux.

PHOTOGRAPHIE DE Tim Lamán, Nat Geo Image Collection

Le panache de fumée dégagé par Dixie Fire, plus gros incendie de l’histoire de la Californie désormais contrôlé pour l’essentiel, était si vaste qu’il a recouvert cinq États américains. À son paroxysme, les habitants d’une zone de 6 500 km², de la Californie jusqu’au Nebraska, ont respiré une multitude de toxines émanant des matériaux consumés par les flammes, notamment de l’ozone, du monoxyde de carbone et des particules fines. Ils se sont mis à tousser, à frotter leurs yeux irrités et à souffrir de crises d’asthme. À chaque nouvel incendie, le risque d’AVC ou de crise cardiaque augmente pour les personnes qui vivent dans les régions vulnérables aux feux de forêt.

Si les humains équipés de systèmes CVC et de filtres à air peuvent se protéger en restant chez eux, la faune sauvage n’a aucun moyen d’échapper à la fumée. Des années de mauvais entretien des forêts, conjugué au changement climatique, donnent lieu à des incendies d’ampleur et d’intensité accrues. C’est pourquoi il devient urgent de comprendre la manière dont les effets de la fumée affectent les animaux. Ainsi, les scientifiques pourront identifier les espèces les plus vulnérables et décider si celles-ci doivent faire l’objet de projets de conservation ou de gestion. Mais au vu du peu de connaissances sur le sujet, les chercheurs doivent se donner beaucoup de mal pour trouver des réponses.

« Les inconnues sont nombreuses », confie Olivia Sanderfoot, doctorante à l’université de Washington, qui a publié une étude le 19 octobre dernier dans la revue Environmental Research Letters. La chercheuse y examine les différentes études existantes concernant la fumée des incendies et ses effets sur les animaux. Au nombre de 41 et datant pour la plupart des 20 dernières années, celles-ci s’intéressent à moins de 50 espèces.

« C’est peu quand on considère toutes les espèces potentiellement touchées par la fumée des incendies. Il reste beaucoup à faire à ce sujet », remarque Olivia Sanderfoot. À titre d’exemple, seule une poignée d’études portent sur des mammifères et aucune ne s’intéresse aux effets de la fumée des incendies sur les amphibiens, qui respirent pourtant par la peau, ou encore les mollusques.

 

DES ESPÈCES PLUS VULNÉRABLES QUE D’AUTRES

« Tous les animaux qui respirent de l’air sont vulnérables à l’exposition par inhalation à la fumée », explique Olivia Sanderfoot, avant d’ajouter que la physiologie et le métabolisme des espèces entrent également en compte. Les oiseaux, par exemple, disposent de systèmes respiratoires très efficaces grâce à des structures pulmonaires plus fines, ce qui leur permet d’absorber l’oxygène à la fois en inspirant et en expirant. Par conséquent, les toxines présentes dans l’air pénètrent plus facilement dans leur organisme, les rendant ainsi plus vulnérables à l’ensemble des types de pollution atmosphérique, et notamment la fumée.

Les baleines, dauphins et autres cétacés sont également très sensibles à la fumée. Ils échangent jusqu’à 80 % de l’air présent dans leurs poumons à chaque respiration. Chez les humains, ce chiffre avoisine les 20 %. Ces mammifères marins ne possèdent pas de structures protectrices, comme les sinus et le mucus, pour filtrer les particules, précisait l'année dernière Stephen Raverty, pathologiste vétérinaire au ministère de l’Agriculture de la Colombie-Britannique, à National Geographic.

Les pékans, campagnols, oiseaux vivant à terre et autres animaux fouisseurs pourraient bénéficier d’un certain degré de protection grâce à leurs modes de vie au sol, qui limite leur exposition à la fumée. Évoluer si près du sol n’est cependant pas toujours sûr, puisque la composition chimique de la fumée, ainsi que la météo et la géographie jouent un rôle dans sa dispersion.

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Comme chez les humains, l’inhalation de fumée se traduit chez les animaux par une respiration difficile, rapide ou sifflante, des halètements, de la toux et des écoulements au niveau des naseaux ou des narines, souligne Olivia Sanderfoot. L’inhalation de monoxyde de carbone peut provoquer confusion, hébétement, et entraîner la mort.

Les particules peuvent aussi pénétrer en profondeur dans les poumons et ainsi déclencher une réaction immunitaire et une inflammation de longue durée, qui nuisent à la santé respiratoire et cardiovasculaire en inhibant le système immunitaire et en empêchant l’autoréparation des cellules.

En Russie, un laboratoire a fait se reproduire des rats mâles juste après les avoir exposés à de la fumée simulant des incendies. La progéniture de ces derniers s’est révélée être plus stressée et présentait des signes de troubles de la fonction cognitive.

À l’été 2008, alors que la Californie était en proie à des incendies, le Centre national de recherche sur les primates de l’État a été assailli par la fumée. Des macaques rhésus juvéniles qui vivaient dans cet établissement ont souffert d’une capacité pulmonaire réduite et de réactions immunitaires affaiblies des années plus tard, à l’adolescence. De grands dauphins élevés en captivité dans un centre de la Navy à San Diego présentaient des taux de pneumonie plus élevés, ainsi que des signes d’une lésion pulmonaire probable à la suite d’un grand incendie.

 

TOUS AUX ABRIS

Ce qui est moins évident, c’est la manière dont le comportement des animaux change en réponse à la fumée. Comme chez les humains, celle-ci est désagréable pour la plupart des animaux. Outre les difficultés respiratoires qu’elle inflige, la fumée complique également la perception à la fois visuelle et olfactive de la nourriture, qu’il s’agisse de proies ou de fleurs.

Anticipant l’arrivée des flammes, la plupart des animaux s’enfuient ou se cachent dès qu’ils sentent de la fumée. Ainsi, le Psammodrome d'Algérie, un lézard fouisseur de la région méditerranéenne, ne semble pas dérangé par les incendies qui balaient la péninsule ibérique. D’après une étude de 2021 menée par la biologiste Lola Alvarez-Ruiz, chercheuse au Centre de recherche sur la désertification de l’université de Valence en Espagne, le reptile se met à l’abri dès qu’il sent de la fumée. Dans son étude, l’Espagnole a exposé deux groupes de lézards, vivant ou non dans des régions propices aux incendies, à de la fumée et à une substance de contrôle sans odeur produisant de la fumée. « Les lézards qui vivent dans les régions propices aux incendies réagissent davantage et détectent mieux la fumée ; ils se cachent lorsque c’est le cas. Cette capacité à reconnaître la fumée et à réagir face à celle-ci permet aux lézards d’accroître leurs chances de survie », souligne Lola Alvarez-Ruiz.

Une vache cherche à échapper aux flammes pendant l'incendie Rim près de la frontière du parc national de Yosemite à Groveland, Californie, le 24 août 2013.

PHOTOGRAPHIE DE Noah Berger, Epa

Et que se passe-t-il s’il y a de la fumée, mais qu’aucun incendie n’est actif à proximité ? « Du point de vue énergétique, adopter des stratégies visant à échapper aux incendies est éprouvant en l’absence de danger », précise Olivia Sanderfoot. Les animaux qui le peuvent, comme certains oiseaux et mammifères, verront la fumée comme un signal de départ, mais ils renonceront alors à se nourrir et à s’accoupler, préférant dépenser de l’énergie pour échapper à un incendie qui n’atteindra peut-être jamais leur habitat.

Plutôt que de prendre la fuite, d’autres animaux réagissent en s’économisant. Des chercheurs australiens ont ainsi démontré qu’après des incendies, les petits marsupiaux et certaines chauves-souris ralentissent leur métabolisme et entrent dans un état de torpeur pour survivre à l’absence de nourriture. Les scientifiques pensent également que d’autres espèces, en particulier les animaux fouisseurs plus petits qui ne se déplacent pas assez vite pour échapper aux flammes, se glissent profondément dans les crevasses et se servent de la fumée pour savoir si l’incendie fait toujours rage au-dessus de leurs têtes. Cette torpeur pourrait toutefois empêcher la faune sauvage de se nourrir et de s’accoupler s’il y a de la fumée, mais pas d’incendie. C’est ce qu’affirme Clare Stawski, qui a étudié les effets de la fumée sur l’état de torpeur des opossums pygmées, des souris marsupiales et des chauves-souris à l’université de Nouvelle-Angleterre en Australie.

« La fumée provoquerait également une augmentation du stress chez ces animaux, qui produit ses propres mauvais effets », affirme la chercheuse. Lorsqu’un animal est stressé, il détourne son attention de la reproduction. Les mâles cessent de produire du sperme et les femelles n’entrent plus en chaleur. « Ils allouent également moins de ressources à leur système immunitaire. Donc, s’ils sont malades ou blessés, ils se rétabliront ou guériront moins bien », ajoute Clare Stawski.

Les animaux de grande taille lèvent aussi le pied. À Bornéo, des chercheurs se sont intéressés aux effets de la fumée générée par les feux de tourbe sur les orangs-outans après avoir remarqué que leurs cris semblaient rauques. En présence de fumée, les primates se sont plus reposés et moins déplacés, même si les échantillons d’urine ont démontré que les animaux dépensaient autant d’énergie qu’en temps normal. Selon Wendy Erb, chercheuse postdoctorale au Centre K. Lisa Yang de bioacoustique à des fins de conservation du laboratoire d’ornithologie de l’université de Cornell, c’est probablement pour assurer le bon fonctionnement de leur système immunitaire en situation de stress. « Les orangs-outans modifient leurs budgets “énergie” ; ils essaient de compenser [en bougeant moins], mais ils sont toujours confrontés à ce déficit énergétique », explique-t-elle.

En limitant leurs déplacements, les orangs-outans mâles étudiés par la chercheuse ont également eu moins d’occasions de s’accoupler. L’espèce étant connue pour ses cycles de reproduction lents, la fumée pourrait finir par porter préjudice à la population déjà menacée de ce primate.

 

LA DIFFICILE COLLECTE DE DONNÉES

Que peuvent donc bien faire les scientifiques spécialistes de la faune pour rattraper leur retard de connaissances quant aux effets de la fumée des incendies ? Olivia Sanderfoot estime que la meilleure façon de le faire rapidement, et en sécurité, consiste à associer les données existantes des écologues sur le comportement animal, comme les catalogues d’enregistrements audios et les clichés des pièges photographiques, aux données de suivi de la qualité de l’air des atmosphéristes.

Les scientifiques citoyens peuvent aussi prêter main-forte. « Des observations de la faune en présence de fumée seraient sans nul doute très utiles » tant que cela ne pose aucun danger, ajoute la doctorante. Les plateformes comme iNaturalist, eBird et Breeding Bird Survey permettent à tout un chacun de charger des photos et des données relatives aux observations d’animaux sauvages, que les scientifiques utilisent ensuite pour une multitude de projets de recherche.

La collecte de données sur le terrain reste toutefois un défi. En 2015, Wendy Erb a ainsi dû interrompre son étude sur les orangs-outans lorsque le feu de tourbe a progressé de manière significative vers la zone où se trouvaient la chercheuse et le reste de l’équipe. La situation était telle qu’ils ont dû créer des bouches d’incendie de fortune dans la tourbe et constituer des équipes de lutte contre l’incendie au lieu de collecter des données. « Nous n’avons aucune donnée du mois où la qualité de l’air était la pire, car nous tentions d’éteindre les flammes. Ce mois-là, nous avons rangé nos jumelles et sorti les tuyaux d’incendie », se souvient-elle.

« Et il s’est ensuite produit un miracle. Le ciel [s’est assombri] et il a commencé à pleuvoir à verse. Je pense que je n’ai jamais été aussi heureuse qu’en cet instant… On dansait de joie ! C’était formidable », raconte-t-elle.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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