Voici comment les cafards ont envahi le monde

Une nouvelle étude retrace l'évolution de la blatte germanique à travers l'histoire humaine, des califats islamiques à l'Europe moderne, mettant en exergue les capacités d'adaptation exceptionnelles de l'espèce.

De Jason Bittel
Publication 21 mai 2024, 15:30 CEST
La blatte germanique (Blattella germanica) comme représenté ci-dessus a probablement évolué à partir de la blatte ...

La blatte germanique (Blattella germanica) comme représenté ci-dessus a probablement évolué à partir de la blatte asiatique (Blattella asahinai) il y a environ 2 100 ans dans ce qui est aujourd'hui l'Inde et le Myanmar.

PHOTOGRAPHIE DE Özgür Kerem Bulur, SCIENCE PHOTO LIBRARY

Si vous vous êtes déjà levé en pleine nuit pour grignoter et avez allumé la lumière de votre cuisine pour découvrir une armée d'insectes marron se précipitant sous votre réfrigérateur, alors vous connaissez déjà la blatte germanique (Blattella germanica).

Malgré leur nom, les blattes germaniques peuplent à présent tous les continents, à l'exception de l'Antarctique. Les scientifiques considèrent l'espèce Blattella germanica comme étant la plus répandue des 4 600 espèces de cafards connues à ce jour.

Ce qui est surprenant, puisque ces insectes étaient quasiment inconnus en Europe jusqu'à ce que le biologiste suédois Carl Linnaeus les découvre en 1767. Cela s'ajoute au fait qu'ils n'y ont pas de parents proches et que l'espèce n'existe pas à l'état sauvage.

Dans ce cas, comment l'hôte le moins apprécié de tous est-il devenu un parasite connu dans le monde entier ? D'après une nouvelle étude, la réponse apparaît dans l'ADN de la blatte asiatique.

Grâce à l'analyse pangénomique de 281 cafards provenant de dix-sept pays de six continents différents, ainsi qu'à la mesure des liens de parenté entre ces animaux, des scientifiques ont pour la première fois retracé l'ascension et la propagation rapides de la blatte germanique.

Tous les signes pointent vers les espèces ayant évolué à partir de la blatte asiatique (Blattella asahinai) il y a environ 2 100 ans dans ce qui est aujourd'hui l'Inde et le Myanmar.

Les espèces ont apparemment abandonné la vie sauvage pour une vie passée à l'ombre de l'homme. Les blattes germaniques semblent être arrivées au Moyen-Orient il y a environ 1 200 ans, probablement en raison de l'intensification du commerce et des mouvements militaires dans les califats islamiques omeyyade ou abbasside, empires qui s'étendaient autrefois de l'Afrique du Nord à l'Asie de l'Ouest.

Les blattes germaniques ont fait un autre bond géographique quand, il y a environ 390 ans, des activités coloniales se sont accélérées et les cafards se sont retrouvés en Europe et, plus tard, dans le reste du monde. Tout ceci est la conséquence de l'amélioration des transports, de la portée du commerce européen et de l'avènement du chauffage domestique, qui permet aux insectes de survivre au froid. Pour être précis, tous ces mouvements et ces migrations auraient été involontairement permis par l'Homme.

« La blatte germanique ne peut même pas voler », explique Qian Tang, biologiste évolutionnaire de l'université d'Harvard et auteur principal de l'étude publiée le 20 mai dans Proceedings of the National Academy of Sciences. « Ils font de l'auto-stop dans des véhicules humains à travers le monde. »

Mais l'extension spectaculaire de l'aire de répartition de la blatte germanique n'est pas qu'une affaire de hasard. Il est plutôt question de la capacité inégalée de l'espèce à s'adapter et à évoluer. 

 

LE CAFARD DANS LE MIROIR

Pour se faire une idée de l'évolution de la blatte germanique au cours des deux derniers millénaires, il suffit de la mettre en parallèle avec son plus proche parent vivant, la blatte asiatique. Car, bien que les deux espèces soient presque identiques, elles ne pouvaient pas avoir un comportement plus différent.

Les blattes asiatiques volent vers les sources de lumière, alors que les blattes germaniques s'en éloignent, explique Chow-Yang Lee, entomologiste urbain à l'université de Californie, à Riverside. De même, si vous lancez les spécimens des deux espèces en l'air, les blattes asiatiques s'envolent, tandis que les blattes germaniques retombent par terre et s'enfuient, explique-t-il.

« Nous avons longtemps soupçonné la blatte asiatique d'être l'ancêtre de la blatte germanique, mais cet article l'affirme avec force », déclare Lee, qui n'a pas pris part à la nouvelle étude. « C'est incroyablement excitant. »

L'étude a aussi révélé que la génétique de la blatte germanique reflète les relations humaines.

Par exemple, les blattes germaniques à Singapour et en Australie sont bien plus proches de leurs cousines américaines que d'autres populations de blattes germaniques d'Indonésie. C'est probablement parce que les États-Unis ont effectué plus d'échanges avec Singapour et l'Australie qu'avec l'Indonésie.

« C'est un magnifique exemple du lien entre les activités humaines, le commerce, les guerres, la colonisation et la propagation d'un parasite domestique qui s'adapte rapidement », explique par mail Coby Schal, entomologiste urbain, expert en cafards de l'université d'État de la Caroline du Nord et co-auteur de l'étude.

 

UN PEU DE RESPECT S'IMPOSE

Les blattes germaniques font concurrence aux autres cafards partout où elles vont, dit Tang.

L'une des raisons du succès de cette espèce est son taux de reproduction plus rapide que celui de la plupart des autres espèces de blattes, ce qui lui permet de développer rapidement une résistance aux pesticides.

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    Des travaux antérieurs menés par le laboratoire de Schal ont révélé qu'après des années passées à attirer des cafards pour qu'ils mangent du poison imbibé de glucose, la population qui a survécu aux appâts sucrés a donné naissance à une nouvelle race de cafards qui rejettent complètement les sucreries.

    « C'est impensable », déclare Lee. « Le glucose est un combustible métabolique important pour tous les organismes. »

    Lee explique que ses collègues et lui travailleront sans doute sur un nouveau composé anti-cafards qui n'a pas encore été commercialisé, mais que le temps pour eux de le développer et de le tester sur des cafards en laboratoire, les insectes seront déjà capables d'y résister.

    Et cela, combiné aux merveilles des transports modernes, l'amène à avoir très peu d'espoir que les humains trouvent un moyen de lutter contre les infestations de cafards dans un avenir proche.

    « Si vous me demandez de citer une espèce ou un organisme que je respecte le plus, c'est probablement la blatte germanique », déclare Lee.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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