Les bonobos, réputés pacifiques, seraient plus agressifs qu'on ne le croit

Ces grands singes réputés doux et pacifiques ont récemment surpris les scientifiques qui les observaient par la fréquence de leurs affrontements.

De Tim Vernimmen
Publication 15 avr. 2024, 11:13 CEST

Les bonobos, l'un de nos plus proches parents, sont endémiques de la République démocratique du Congo.

PHOTOGRAPHIE DE Frans Lanting, Nat Geo Image Collection
Bonobos
  • Nom Commun: Bonobos
  • Nom Scientifique: Pan paniscus
  • Genre: Mammifères
  • Durée de vie moyenne à l'état sauvage: De 20 à 40 ans
  • Taille: De 70 cm à 1,20 m de haut
  • Poids: En moyenne de 33 kg (femelles) à 45 kg (mâles)

Malgré la réputation amicale de leur espèce, les mâles bonobos s'en prennent beaucoup plus souvent à d'autres mâles que les mâles chimpanzés, selon une étude surprenante.

Lors de sa première semaine d'étude des bonobos en République démocratique du Congo, Maud Mouginot se souvient parfaitement d'avoir vu « deux boules de poils se poursuivre comme des fous dans les arbres ».

« Il était cinq heures du matin et les bonobos venaient de se réveiller. Les assistants de terrain ont dit "C'est une agression". Et je me suis dit : "Attendez, on parle bien du bonobo pacifique ?" », raconte Maud Mouginot, aujourd'hui anthropologue à l'université de Boston.

L'image harmonieuse des bonobos s'explique en partie par leur recours fréquent à la copulation pour apaiser les désaccords. Contrairement aux chimpanzés, ils sont également prêts à partager leur nourriture, non seulement avec leurs amis, mais aussi avec des bonobos qu'ils ne connaissent pas.

Maud Mouginot soupçonnait déjà les bonobos d'être plus complexes qu'on ne l'imaginait. Mais lorsqu'elle a commencé à comparer le nombre de comportements agressifs enregistrés chez les bonobos et les chimpanzés sauvages de cinq groupes différents, elle a eu du mal à croire ses résultats. « J'étais tellement troublée que j'ai examiné chaque agression une par une pour m'assurer qu'il n'y avait pas de doublon. »

Comme le rapportent Mouginot et ses collègues dans la revue Current Biology, il a fallu 2 047 heures de suivi de bonobos mâles individuels dans la réserve de bonobos de Kokolopori pour recenser 521 cas d'agression, comme se poursuivre, se frapper, se donner des coups de pied et se mordre. Dans le parc national de Gombe Stream, en Tanzanie, où les chimpanzés sont étudiés depuis plus de 60 ans (avec le soutien partiel de la National Geographic Society), il a fallu plus de 7 300 heures aux chercheurs pour dénombrer 654 actes d'agression.

Les mâles bonobos manifestent leur agressivité en se poursuivant, en se frappant, en se donnant des coups de pied et en se mordant.

PHOTOGRAPHIE DE Frans Lanting, Nat Geo Image Collection

« J'ai été surpris, mais les données sont solides », déclare Richard Wrangham, primatologue à l'université de Harvard, qui n'a pas pris part à la nouvelle étude.

 

TU NE TUERAS POINT

Wrangham est également intrigué depuis longtemps par les différences flagrantes de comportement entre les chimpanzés et les bonobos. « Une explication plausible pourrait être que l'agression chez les mâles bonobos est beaucoup moins dangereuse que chez les chimpanzés, et qu'il y a donc moins de raisons de la limiter. »

Maud Mouginot partage cet avis. « Nous n'avons pas encore de rapports de bonobos s'entretuant, alors qu'il y en a beaucoup chez les chimpanzés. Les mâles chimpanzés forment des coalitions, de sorte qu'un mâle qui s'en prend à un autre mâle risque de subir des représailles de la part de la coalition, ce qui peut s'avérer très dangereux. Je pense donc que le tribut de l'agression est plus imprévisible et souvent plus élevé chez les chimpanzés, ce qui pourrait expliquer pourquoi les bonobos y ont recours plus facilement dans la vie de tous les jours. »

Les bonobos ont également une approche très différente de la défense territoriale, explique Martin Surbeck, coauteur de l'étude, primatologue à Harvard et explorateur National Geographic, qui étudie les bonobos à l'état sauvage depuis vingt ans.

« Les domaines vitaux des bonobos semblent beaucoup plus vastes que ceux des chimpanzés, de sorte qu'ils ne sont peut-être pas en mesure de les défendre en tant que territoires comme le font les chimpanzés. Alors que les coalitions de mâles chimpanzés n'hésitent pas à tuer des individus d'autres groupes, les bonobos de groupes différents peuvent se côtoyer pacifiquement et même se toiletter et partager de la nourriture lorsqu'ils se rencontrent. »

 

LE RÔLE DES MÈRES ?

Mais pourquoi les mâles bonobos sont-ils si prompts à se quereller ? La recherche suggère que ces disputes ont souvent pour enjeu un meilleur accès aux femelles. Dans cette étude, en tout cas, les mâles bonobos les plus agressifs ont engendré beaucoup plus de petits que ceux qui étaient moins belliqueux.

C'est assez surprenant, car contrairement aux mâles chimpanzés, les mâles bonobos s'attireraient toutes sortes d'ennuis s'ils se montraient hostiles envers les femelles.

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    « Les femelles bonobos sont souvent agressives envers les mâles. Elles peuvent être très méchantes avec eux », explique Michael Wilson, primatologue à l'université du Minnesota qui travaille à Gombe depuis des décennies. Les femelles bonobos se regroupent pour dominer les mâles et ont tendance à choisir elles-mêmes leurs partenaires.

    En revanche, « les femelles chimpanzés sont très soumises aux mâles et les craignent beaucoup ». C'est pourquoi, ajoute-t-il, les mâles chimpanzés peuvent parfois contraindre les femelles à s'accoupler.

    Maud Mouginot estime que les femelles bonobos ne sont pas attirées par l'agression elle-même, mais plutôt par les mâles de haut rang qui ont recours à la force pour repousser leurs concurrents lorsqu'elles sont prêtes à s'accoupler. 

    En fait, les femelles pourraient jouer un rôle encore plus actif dans le succès des mâles, selon le primatologue Takeshi Furuichi, de l'université japonaise de Kyoto, qui étudie les bonobos à l'état sauvage depuis de nombreuses années.

    « Les bonobos mâles dont la mère a un rang élevé défient souvent les autres mâles avec le soutien de leur mère, qui peut ainsi augmenter le nombre de ses petits-enfants », explique Furuichi. « Dans une étude récente, nous avons constaté que les interactions les plus agressives se produisaient entre les fils des mères de haut rang. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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