Australie : les scientifiques se mobilisent pour sauver les ornithorynques

Très difficile à recenser, la population de ces mammifères venimeux qui pondent des œufs serait en déclin.

De Haley Cohen Gilliland
Photographies de Doug Gimesy
Publication 5 janv. 2021, 16:25 CET
Josh Griffiths, écologue et chercheur spécialisé dans les ornithorynques, tient dans ses bras une femelle qu’il vient ...

Josh Griffiths, écologue et chercheur spécialisé dans les ornithorynques, tient dans ses bras une femelle qu’il vient de capturer. Les chercheurs font pression sur le gouvernement national et les gouvernements fédéraux pour obtenir une protection accrue de cette espèce unique.

PHOTOGRAPHIE DE Doug Gimesy

Au début du 19e siècle, George Shaw, gardien de la collection d’histoire naturelle du British Museum, fut interloqué par ce qu’il avait sous les yeux. La peau d’un animal, qui lui avait été envoyée en Angleterre depuis l’Australie. Celle-ci arborait des pieds palmés et un bec de canard, qui semblaient avoir été collés au torse d’un mammifère duveteux à quatre pattes. Dans un premier temps, le gardien pensa que quelqu’un avait cousu plusieurs créatures ensemble pour plaisanter. Il finit par reconnaître l’existence de l’ornithorynque.

Deux siècles plus tard, ce curieux animal continue de surprendre les scientifiques. Il est le seul mammifère, avec quatre autres espèces d’échidnés, à pondre des œufs, et l’un des rares à être venimeux. La douleur infligée par les éperons toxiques dont sont dotés les ornithorynques mâles équivaut à des centaines de piqûres de frelons. Les scientifiques ont également découvert il y a peu que leur venin contenait une hormone susceptible de soigner le diabète.

Les ornithorynques n’ont pas non plus d’estomac (leur œsophage mène directement à leur intestin) et ils présentent 10 chromosomes sexuels (contre seulement deux chez l’Homme). Comme si cela ne suffisait pas, les scientifiques ont découvert l’année dernière que la fourrure de ce mammifère était biofluorescente. Lorsqu’elle est exposée aux rayons UV, elle émet une lueur bleu-vert.

Tahneal Hawke, de l’université de Nouvelle-Galles du Sud, relâche un ornithorynque dans la rivière Mita Mita dans l’État de Victoria. Les chercheurs les capturent pour évaluer leur état de santé, effectuer des prélèvements génétiques et implanter des puces électroniques sous leur peau.

PHOTOGRAPHIE DE Doug Gimesy

Alors que la lumière du jour commence à poindre dans la forêt, Josh Griffiths et la doctorante Tamielle Brunt rangent les filets qu’ils utilisent pour capturer les ornithorynques. Ces mammifères étant nocturnes, la plupart des travaux de recherche menés sur ces curieux animaux se déroulent entre le crépuscule et l’aube.

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Cependant, l’émerveillement qu’éprouvaient les chercheurs envers les ornithorynques a dernièrement laissé place à l’inquiétude. Les cours d’eau de l’est de l’Australie, dont dépendent les ornithorynques pour se nourrir et se reproduire, subissent de plein fouet le changement climatique, le développement urbain, les sécheresses et les feux de brousse.

Les scientifiques exhortent désormais le gouvernement et plusieurs États australiens à considérer ce mammifère comme une espèce menacée d’extinction, pour qu’il puisse bénéficier d’efforts de conservation et de protection supplémentaires.

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    Tahneal Hawke effectue un prélèvement sanguin dans le bec d’un ornithorynque anesthésié, là où se trouve le sinus veineux de l’animal, juste sous la peau. L’échantillon permettra aux chercheurs d’étudier l’ADN et l’ARN du mammifère.

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    Ce jeune ornithorynque vient tout juste d’être relâché à McMahons Creek, dans l’État de Victoria. Pour que leurs sujets d’étude ne restent pas plus de 30 minutes hors de l’eau, les chercheurs travaillent rapidement.

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    LA MENACE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

    Le caractère peureux et le mode de vie nocturne des ornithorynques rendent difficile le recensement de leur population. Cependant, tout indique que l’espèce est en déclin. Selon un rapport récemment publié par des chercheurs de l’université de Nouvelle-Galles du Sud, l’Australian Conservation Foundation et d’autres entités, elle aurait disparu de plus de 22 % de son habitat au cours des 30 dernières années.

    Le déclin de la population d’ornithorynques serait même plus important selon les documents historiques. « Certains faisaient état de centaines de milliers d’ornithorynques tués pour leur fourrure », confie Tahneal Hawke, écologue à l’université de Nouvelle-Galles du Sud qui étudie la dynamique des populations de l’espèce. « D’autres documents mentionnaient des observations de 20 ornithorynques dans une seule rivière. J’ai pu observer maximum quatre animaux en même temps ».

    Josh Griffiths et le chercheur Farley Connelly installent des filets pour la capture d’ornithorynques. Une fois la nuit tombée, ils contrôlent les filets toutes les trois ou quatre heures et les enlèvent à l’aube.

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    Dans une étude parue en février 2020, son collègue Gilad Bino annonce la disparition de presque trois quarts des ornithorynques d’ici 50 ans si le changement climatique continue de s’aggraver conformément aux prévisions.

    Ce fléau devrait augmenter la fréquence et l’intensité des sécheresses, et décupler le risque de feux de brousse, comme ceux qui ont embrasé l’Australie en 2019 et au début de l’année 2020. À l’issue de ces incendies, les ornithorynques ont disparu de 14 % des zones où ils avaient précédemment été observés. C’est ce qu’affirme un rapport publié il y a peu par Josh Griffiths, écologue pour le cabinet de conseil en environnement Cesar Australia, et plusieurs collègues.

    L’écologue, qui étudie les ornithorynques depuis 13 ans, estime que les cinq menaces principales pesant sur l’espèce sont « le manque d’eau, le manque d’eau, le manque d’eau, le manque d’eau et encore le manque d’eau ».

    Griffiths travaille près de Melbourne et l’urbanisation est sa plus grande source d’inquiétude. La construction accrue de routes, de trottoirs et d’autres surfaces dures a engendré un ruissellement rapide et anormal des eaux pluviales dans les ruisseaux urbains. Conséquence : les berges s’érodent et les proies aquatiques des ornithorynques quittent les lieux à cause de la sédimentation.

    Les barrages constituent également une menace. Ils modifient le débit des cours d’eau et empêchent le déplacement des ornithorynques. Richard Kingsford, qui est à la tête du Centre de sciences écosystémiques de l’université Nouvelle-Galles du Sud, est particulièrement inquiet concernant trois projets de construction de barrages dans son État.

    L’Australie a été frappée par de nombreux feux de brousse en 2019 et au début de l’année 2020. Si les ornithorynques, créatures aquatiques, semblent s’en être mieux sortis que d’autres espèces iconiques telles les kangourous et les koalas, leurs habitats le long des rivières ont tout de même souffert.

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    La fourrure imperméable et bien fournie des ornithorynques les protège du froid dans les rivières et ruisseaux où ces mammifères se nourrissent et se reproduisent. Selon les documents historiques, les marchands européens auraient tué des centaines de milliers de ces animaux pour leur peau.

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    « Le gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud pense que cela évitera les sécheresses dans le pays. En réalité, les barrages vont porter le coup de grâce à ces rivières, ainsi qu’à celles où évoluent les ornithorynques », explique-t-il. « Si [les dirigeants reconnaissent que] les cours d’eau abritent une espèce menacée, il sera plus difficile d’obtenir une autorisation pour ces projets ».

     

    AGIR POUR ÉVITER L’EXTINCTION

    L’ornithorynque est une icône de l’Australie appréciée dans le monde entier. Et, comme le souligne James Trezise, analyste en politique environnementale pour l’Australian Conservation Foundation, il revêt une signification particulière pour certains peuples aborigènes. L’espèce est l’un des animaux totem, ou emblèmes spirituels, du peuple Wadi Wadi, mais aucun spécimen n’a été observé sur leur territoire depuis des années.

    Pour sauver ces créatures iconiques de l’extinction, chercheurs et défenseurs de l’environnement, comme le photographe Doug Gimesy, demandent au gouvernement australien et à plusieurs États du pays de reconnaître l’ornithorynque comme une « espèce menacée ». En novembre dernier, le comité consultatif scientifique de l’État de Victoria a préconisé l’acceptation de cette demande. L’espèce figure déjà sur la liste des espèces menacées en Australie-Méridionale.

    Le classement des ornithorynques comme espèce menacée à l’échelle du pays exigerait du gouvernement australien d’accroître les efforts de surveillance de ce mammifère discret. Il obligerait également les fonctionnaires à tenir compte de ces animaux lors de l’examen d’importants projets de développement, comme la construction de barrages.

    Les scientifiques aimeraient en outre l’adoption de réglementations plus réfléchies relatives aux cours d’eau, la diminution du défrichement à des fins agricoles (qui contribue à l’érosion des rivières) et l’interdiction des pièges à écrevisses de Muray (censés attraper des crustacés, ils piègent souvent les ornithorynques).

    Gilad Bino et Tahneal Hawke fixent un transpondeur radio temporaire à la queue d’un ornithorynque femelle. Il leur permettra de recueillir des informations sur les mouvements de l’animal et les effets des lâchers d’eau d’un barrage situé en amont.

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    Ils espèrent également que l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), l’autorité mondiale de référence en matière de statut de protection des espèces, finira par réviser la catégorie à laquelle appartiennent les ornithorynques. Ceux-ci sont considérés comme une espèce quasi menacée depuis 2016. Pourtant, si leur statut passait à « espèce menacée » (catégorie avant « espèce menacée d’extinction »), le gouvernement australien serait soumis à une pression accrue et n’aurait d’autre choix que d’agir.

    « Nous avons la possibilité d’agir ici avant qu’il ne soit trop tard », confie Richard Kingsford. « Si les ornithorynques n’obtiennent pas le statut d’espèce menacée aujourd’hui ou l’année prochaine, ce sera le cas d’ici deux ou cinq ans, mais nous aurons alors manqué à notre devoir [de protection]. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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