Comment sensibiliser nos enfants à la conservation des requins ?

Le tourisme maritime responsable peut susciter des vocations chez les enfants et s’avérer bénéfique pour la conservation des espèces. Mais, existe-t-il une manière sûre et durable de plonger avec des requins ?

De Rachel Ng
Publication 28 juil. 2021, 15:25 CEST
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Un plongeur nage avec un requin longimane aux Bahamas. Le tourisme lié aux requins, qui gagne en popularité dans le monde entier, offre aux enfants l’occasion de s’impliquer dans la conservation des squales.

PHOTOGRAPHIE DE National Geographic

La biologiste marine et défenseuse des requins Naomi Clark-Shen était autrefois terrifiée par l’océan. « Dès mon plus jeune âge, j’étais obsédée par les animaux. Mais je ne portais pas un grand intérêt à la vie marine, » raconte-t-elle. « J’avais peur des zones sombres et troubles où l’on ne peut rien voir. J’avais beaucoup d’imagination et je pensais que des prédateurs, des requins et des crocodiles, s’y cachaient pour me dévorer ».

Pendant les vacances, ses parents emmenaient la famille faire de la plongée libre en Malaisie. Naomi restait quant à elle dans les eaux peu profondes. Puis, tout a changé à l’âge de 14 ans, lorsqu’elle a vu un documentaire sur les requins au Costa Rica. La future biologiste était fascinée. « Des centaines de squales nageaient gracieusement. Ils avaient l’air si tranquilles. À partir de ce moment, j’ai su que je voulais travailler avec les requins, » confie-t-elle. « Je n’ai plus eu peur de l’océan. Je suis devenue curieuse ».

Naomi a décroché son diplôme de plongée à 16 ans et prépare actuellement une thèse sur la pêche et la biologie des requins et des raies en Asie du Sud-Est. Jusqu’en 2020, la jeune femme alors Exploratrice National Geographic a mené un projet de recherches sur les squales en partie financé par la National Geographic Society à Singapour.

Un grand requin blanc passe devant un plongeur dans une cage immergée au large de l’Afrique du Sud. Le tourisme lié aux requins génère plusieurs millions de dollars de revenus et offre la possibilité d’observer et de nager avec les squales aux quatre coins de la planète.

PHOTOGRAPHIE DE David Caravias, Alamy Stock Photo

Chaque été, les requins inondent nos écrans télévisés grâce à des programmes tels que le Shark Festival de National Geographic, actuellement disponible en streaming sur Disney+*. Des millions de téléspectateurs s’installent derrière leur écran pour regarder un grand requin blanc bondir hors de l’eau et saisir sa proie en plein air ou frissonnent en voyant des plongeurs encerclés par des requins soyeux. Les requins nous fascinent. Et chez certains, cet intérêt débouche sur l’observation de ces poissons au plus près.

Le tourisme lié aux requins se porte bien et rapporte plusieurs millions de dollars par an. Les passionnés de squales peuvent plonger avec eux, les regarder chasser ou encore partir à la rencontre des grands requins blancs dans une cage immergée. Cette activité, autrefois réservée aux plongeurs professionnels et aux biologistes marins, est désormais accessible à toute la famille. En outre, le tourisme maritime responsable peut susciter des vocations chez les enfants et s’avérer bénéfique à la conservation des espèces.

 

EN FINIR AVEC LES FAUSSES IDÉES

« Lorsque nous emmenons des enfants voir un requin dans son milieu naturel, ils le voient sous un nouveau jour, confie Jillian Morris, biologiste marine. Ils voient que les requins se comportent différemment de ce qu’on leur a toujours dit et c’est la révélation. Un lien se crée entre eux et les requins, un lien qui restera avec eux toute leur vie ».

Selon une étude parue dans PLOS One, la revue scientifique en accès libre et revue par des pairs de la Public Library of Science, ce lien et l’éducation des enfants sont essentiels à la poursuite des efforts de conservation. Après avoir interrogé des élèves âgés de 11 à 12 ans à Hong Kong, les chercheurs ont constaté que ces derniers étaient plus favorables aux efforts de conservation des requins lorsqu’ils avaient conscience de l’importance écologique des squales sur la vie marine et n’avaient pas de fausses idées à leur sujet.

« Tant de fausses informations circulent sur les requins », remarque Jillian Morris. C’est en 2012 que la biologiste a créé Sharks 4 Kids, un programme éducatif mené dans les îles Bimini, après avoir remarqué une différence de comportement flagrante entre les touristes venant aux Bahamas (les îles sont connues comme la capitale mondiale de la plongée avec les requins) et les locaux, qui évitent de se baigner en raison d’une peur culturellement ancrée des requins.

« Nous voulons que les élèves découvrent pourquoi les touristes, les équipes de tournage et les scientifiques du monde entier viennent ici, ajoute la biologiste. Les enfants vont grandir et s’occuperont du sanctuaire pour les requins. Ils travailleront dans le tourisme et ils pourront voter. C’est lorsque la population est impliquée dans les efforts de conservation que ces derniers portent leurs fruits ».

Après en avoir appris davantage sur les requins à l’aquarium, en classe ou à la télévision, certains enfants deviennent de fervents défenseurs des squales, racontant de petites anecdotes à leur sujet et militant pour leur protection. « Les enfants peuvent influencer leurs parents et les adultes dans leur entourage, souligne Jillian Morris. Ils ont bien plus d’influence qu’ils le pensent ou que les gens le croient ».

Alors que la question de la conservation des requins continue de prendre de l’ampleur, il existe de nombreuses façons pour les parents de développer la curiosité de leurs enfants à l’égard de ces poissons.

 

ENTRE FASCINATION ET PEUR

Tous les requins ne sont pas d’ultimes prédateurs. Sur les presque 500 espèces de squales, seule une dizaine sont considérées comme dangereuses pour l’Homme. Les grands requins blancs, les requins-tigres et les requins-bouledogue sont responsables de la majorité des attaques. Si 2020 a été l’année la plus meurtrière en 10 ans en matière d’attaques de requins, seules 10 personnes ont été tuées par des squales dans le monde. À titre de comparaison, vous avez 100 000 fois plus de chance de mourir d’une piqûre de moustique que d’une morsure de requin.

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    Des enfants admirent les mâchoires de plusieurs espèces de requin exposées au Musée Océanographique de Monaco.

    PHOTOGRAPHIE DE Rebecca Marshall, Laif, Redux

    « Nous ne figurons pas au menu des requins, » indique Evans Baudin, propriétaire d’une société de plongée basée à Cabo San Lucas, au Mexique. « Ils peuvent parfois se montrer curieux et s’approcher, mais dès qu’ils réalisent que nous ne sommes pas de la nourriture, ils s’éloignent ».

    Les requins sont des animaux résilients, qui ont survécu à au moins quatre extinctions de masse au cours des 400 derniers millions d’années. Et pourtant, ils risquent aujourd’hui de disparaître à cause de l’activité humaine. Chaque année, des millions de squales sont tués après avoir été accidentellement remontés dans les filets de pêche ou massacrés pour leurs ailerons très prisés, considérés comme un mets délicat dans certains pays asiatiques. 71 % des espèces de requins dans le monde sont aujourd’hui menacées d’extinction.

    Le biologiste marin Caine Delacy est l’un des nombreux scientifiques dont les efforts de protection des requins commencent à gagner du terrain. Ces derniers consistent à combiner conservation et tourisme. « Il faut du temps pour que les gens commencent à apprécier les requins », reconnaît-il. Dans le cadre de ses efforts de conservation, le biologiste organise des plongées avec des requins aux quatre coins du monde, notamment en Polynésie française, en Australie et en Basse-Californie. Son objectif : montrer que les requins ne sont pas des mangeurs d’hommes sans cervelle, mais bien des créatures anciennes magnifiques dont dépendent les écosystèmes fragiles des océans.

     

    LE TOURISME AU SECOURS DE LA CONSERVATION

    C’est dans la Shark Ray Alley, au Bélize, à 6 km au sud de San Pedro, que les touristes peuvent nager dans les eaux chaudes de la mer des Caraïbes en compagnie de requins-nourrices mesurant 2 m de long. Seules espèces protégées au Bélize, les requins-nourrices et les requins-baleines sont nombreux dans la région. À l’inverse, les autres requins ont disparu à cause de la pêche. « Les touristes venaient voir les requins-nourrices et ils ont découvert que les locaux les tuaient en nombre, raconte Carlee Jackson, biologiste marine. Le gouvernement a fini par les protéger pour le tourisme. Les habitants étaient terrifiés par les requins. Maintenant, ils tolèrent les requins-nourrices parce qu’ils rapportent de l’argent ».

    Les défenseurs des requins espèrent que les retombées financières liées au tourisme encourageront les pays à protéger les squales. En passant à une économie basée sur le tourisme, les habitants seraient en mesure de diversifier leurs sources de revenus. « En dépensant votre argent sur place, les habitants pourront subvenir aux besoins de leur famille grâce aux revenus issus du tourisme et non plus de la pêche », souligne Caine Delacy.

    Le tourisme peut également aider à la protection des requins en sensibilisant le public à ce sujet. « Lorsque les clients plongent avec des requins, ils réalisent à quel point ils sont beaux sous l’eau et qu’ils ne nous voient pas comme de la nourriture », explique Mickey Smith, vidéaste sous-marin et propriétaire d’une société de plongée avec les requins en Floride. « Les clients commencent alors à se soucier des squales, signent des pétitions ou militent pour l’adoption de lois visant à les protéger ».

    Les efforts destinés à redorer le blason des requins semblent porter leurs fruits dans l’État de Mickey Smith et dans le reste du monde. Hawaï a promulgué la Shark Protect Act (Loi de protection des requins), qui fait de l’État un sanctuaire marin pour la quarantaine d’espèces de squales qui évoluent dans ses eaux. La Floride a quant à elle récemment interdit l’importation, l’exportation et la vente d’ailerons de requins. Enfin, en juin dernier, le Sénat des États-Unis a approuvé un projet de loi similaire, une rare mesure bipartite.

     

    LA PLONGÉE AVEC DES REQUINS, UNE ACTIVITÉ SÛRE ?

    Le tourisme lié aux requins n’est pas sans controverse. Une pratique particulièrement décriée est le recours aux appâts pour attirer les squales. « Je ne pense pas que cela soit sûr. L’écotourisme, c’est avoir un impact minimal sur l’environnement. Lorsque vous nourrissez un animal, vous avez un impact direct sur lui, ce qui a un impact indirect sur l’environnement », explique Carlee Jackson.

    Des touristes participant à une plongée en cage regardent un grand requin blanc remonter à la surface.

    PHOTOGRAPHIE DE Michael Hutchinson, Nature Picture Library, Alamy

    Selon certaines études, les requins nourris par l’Homme passent plus de temps dans les zones fréquentées par des touristes plutôt qu’à la recherche de leurs proies naturelles. La population des poissons dont se nourrissent normalement les squales augmente alors, ce qui peut avoir un effet domino sur la chaîne alimentaire.

    Certains scientifiques jugent également la plongée en cage problématique. Cette pratique consiste à immerger des plongeurs enfermés dans des cages tandis que les organisateurs de la sortie jettent des appâts à l’eau pour attirer des requins, et notamment des grands requins blancs. Les opposants à cette pratique estiment qu’elle encourage un comportement contre nature chez les requins et peut les inciter à nager trop près des humains ou à les attaquer.

    Le surtourisme est un autre problème urgent. Les requins lents, comme les requins-baleines et les requins-nourrices, risquent d’être percutés par les bateaux plus nombreux. Les plongeurs inexpérimentés peuvent aussi frapper les coraux avec leurs palmes, causant ainsi des dommages irréparables aux récifs.

    Les raisons pour lesquelles les touristes souhaitent nager avec les requins sont multiples. « Certaines personnes tentent d’affronter leur peur et veulent sortir de leur zone de confort. D’autres sont simplement passionnées par les requins et veulent en voir autant que possible ; cela s’apparente pour eux à l’observation d’oiseaux », explique Caine Delacy.

    Des sociétés du monde entier autorisent les familles à plonger avec des requins. Les enfants âgés de 10 ans peuvent obtenir leur certification pour la plongée sous-marine. « Renseignez-vous et choisissez toujours l’option la plus adaptée à l’âge de votre enfant et à son expérience dans l’eau », indique Jillian Morris. Si votre enfant n’est pas très bon nageur, vous pouvez par exemple l’emmener dans les eaux peu profondes de la marina de Compass Cay aux Bahamas, où il pourra nager avec des requins-nourrices inoffensifs. Vous pouvez aussi prendre place dans une capsule en verre immergée non loin de Port Lincoln, en Australie méridionale, pour observer les grands requins blancs qui ondulent dans l’océan.

    Afin d’immortaliser cette expérience sous-marine, de nombreux guides proposent de photographier et de filmer leurs clients. Les clichés de requins, qu’il s’agisse d’un groupe de requins-marteaux ou de requins mako aux dents acérées, sont légion sur les réseaux sociaux. En quête de « likes », certaines personnes agissent de manière discutable, en touchant les squales par exemple.

    Pour la biologiste marine Carlee Jackson, les enfants peuvent nager avec des requins s’ils sont encadrés par un adulte expérimenté. « Votre sécurité avec des requins dépend de votre comportement sous l’eau ; cela est valable pour les enfants, mais aussi les adultes, explique-t-elle. C’est une activité sûre si l’enfant est suffisamment grand pour savoir comment respecter les requins en se tenant à l’écart ».

    Pour que l’expérience ait un impact le moins négatif possible pour les requins, mais aussi les plongeurs, Caine Delacy souligne qu’il est essentiel de laisser les squales tranquilles et de les observer calmement. « Je veux que les gens se coupent de notre monde fou et soient émerveillés par ce qui est plus grand et plus imposant qu’eux, dit-il. C’est formidable lorsqu’une personne crée un lien émotionnel profond avec l’environnement et les animaux ».

    *Abonnement requis. Voir conditions sur DisneyPlus.com

    Basée à Hawaï, Rachel Ng est rédactrice de contenu voyage. Suivez-la sur Instagram.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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