Ces jeunes manchots empereurs sautent d’une falaise de 15 mètres... mais pourquoi ?

Ces images inédites, réalisées à l’aide d’un drone, donnent à voir un phénomène rare : des manchots empereurs se jetant d'une falaise de 15 mètres de haut. Un phénomène qui pourrait devenir plus fréquent à mesure que la banquise rétrécit.

De Rene Ebersole
Publication 12 avr. 2024, 14:51 CEST
MM10127 / MM10111 Penguins:

Des manchots empereurs juvéniles, qu’on appelle poussins, sautent d’une falaise de 15 mètres de la baie d’Atka, en Antarctique, pour prendre leur premier bain. Le photographe Bertie Gregory s’est servi du zoom puissant de son drone pour rester à distance de cette scène captivante.

PHOTOGRAPHIE DE Bertie Gregory
Manchot empereur
  • Nom Commun: Manchot empereur
  • Nom Scientifique: Aptenodytes forsteri
  • Genre: Oiseaux
  • Durée de vie moyenne à l'état sauvage: De 15 à 20 ans
  • Taille: 1,15 mètre
  • Poids: 23 kilogrammes
  • Taille comparée à un humain de 1,80 m: Taille comparée à un humain de 1,80 m

Tel un groupe d’adolescents se pressant au sommet d’une falaise, attendant de voir si quelqu’un aura assez de courage pour sauter en premier dans le lac, des centaines de manchots empereurs (Aptenodytes forsteri) âgés de quelques mois seulement se massent au sommet d’une plateforme glaciaire de l’Antarctique culminant à 15 mètres environ au-dessus de la mer.

Poussés par la faim, les poussins se penchent au-dessus du gouffre, comme pour se demander s’ils survivront à un plongeon d’une telle hauteur dans les eaux glaciales de l’Antarctique.

Puis un manchot se lance.

Certains spécimens tendent le cou pour le regarder chuter et heurter l’eau en contrebas avec fracas. Quelques secondes plus tard, le petit manchot refait surface et s’éloigne en nageant pour aller se remplir l’estomac de poissons, de krills et de calamars frais. Petit à petit, d’autres jeunes poussins s’élancent, tombent et agitent des ailes faites pour traverser l’eau, et non les airs.

Les réalisateurs de la série documentaire National Geographic intitulée Les Secrets des pingouins, ont immortalisé cette scène extraordinairement rare à l’aide d’un drone au mois de janvier dans la baie d’Atka, sur les rives de la mer de Weddell, en Antarctique occidental. Selon certains scientifiques, il s’agirait des toutes premières images vidéo de jeunes manchots empereurs sautant d’une falaise aussi haute.

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    Alors que le changement climatique fait fondre la banquise en Antarctique, de plus en plus de poussins de manchots empereurs se reproduisent sur la plateforme de glace permanente, ce qui les force à sauter d’altitudes plus élevées dans l’océan.

    PHOTOGRAPHIE DE Bertie Gregory

    « Je n’arrive pas à croire qu’ils aient réussi à filmer ça », jubile Michelle LaRue, biologiste de la conservation à l’Université de Canterbury à Christchurch, en Nouvelle-Zélande. Michelle LaRue, qui n’a pas été témoin de ces sauts, s’était rendue dans la baie d’Atka pour conseiller l’équipe de tournage qui en était à sa troisième année de documentation du comportement du manchot empereur, de la ponte des œufs à l’envol des petits.

    D’ordinaire, les manchots empereurs nichent sur de la glace de mer flottante qui fond et disparaît chaque année, et non sur une plateforme glaciaire, qui est, elle, fermement attachée à la terre. Mais dernièrement, certaines colonies nichent sur la plateforme. Selon les théories des scientifiques, ce changement pourrait être lié à une fonte saisonnière de la banquise de plus en plus précoce à cause du changement climatique.

    À l’âge de cinq mois environ, les poussins commencent à perdre leur duvet. Poussent alors leurs plumes d’adulte qui les préparent à une vie partiellement maritime.

    PHOTOGRAPHIE DE Bertie Gregory

    Selon la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), le manchot empereur, dont la population mondiale s’élève à 500 000 oiseaux environ, est « quasi menacé » d’extinction, et ce en grande partie à cause des conséquences du changement climatique sur son royaume de glace. 

    Début janvier 2024, à la fin de l’été de l’hémisphère sud, dans les semaines qui ont précédé la rupture de la banquise, les réalisateurs ont repéré un groupe de poussins qui, selon LaRue, ont vraisemblablement grandi sur la plateforme de glace avant de se mettre en route vers la falaise, plus au nord, en se dandinant. Curieux de savoir où ils se rendaient, les réalisateurs ont déployé un drone pour obtenir une vue plongeante. Peu à peu, d’autres poussins ont rejoint le groupe de flâneurs, dont les rangs se sont garnis jusqu’à ce que deux cents jeunes manchots se tiennent au sommet du promontoire.

     

    « J’IMAGINE QU’IL VA BIEN FALLOIR QUE J’Y AILLE »

    Gerald Kooyman, physiologiste qui étudie les manchots empereurs en Antarctique depuis plus de cinq décennies, raconte qu’il n’a assisté qu’une seule fois à un événement de ce type… il y a plus de trente ans.

    « La neige à la dérive avait formé une rampe en pente douce de glace de mer jusqu’à un iceberg et un troupeau de poussins sur le départ avait grimpé la rampe jusqu’à l’iceberg », écrit-il dans son livre intitulé Journeys with Emperors, publié au mois de novembre 2023.

    « On les a repérés au niveau d’une falaise de 20 mètres surplombant une mer qui était parfois désencombrée et parfois parsemée de fragments de glace. » En l’espace de deux jours, près de 2 000 poussins se sont rassemblés sur le rebord.

    « Puis ils ont commencé à se laisser tomber dans le vide », écrit Gerald Kooyman, professeur émérite au Centre de biotechnologie marine et de biomédecine de l’Institut Scripps d’océanographie, en Californie.

    La plupart des poussins ont survécu à leur saut dans les eaux glaciales. À gauche, celui qui est tombé dans une crevasse s’est servi de son bec pour s’en extraire latéralement et a ensuite sauté. 

    PHOTOGRAPHIE DE Bertie Gregory

    « Ils ne sautaient pas, ne faisaient pas de bond, il se contentaient d’avancer et de tomber tête la première, parfois en effectuant deux vrilles avant de frapper l’eau dans un plouf sonore ». 

    D’après les scientifiques qui surveillent les manchots à l’aide de satellites en orbite, ce phénomène est rare. Peter Fretwell, scientifique du British Antarctic Survey (BAS) ayant étudié la colonie d’empereurs de la baie d’Atka pendant plusieurs années à l’aide d’images satellites, voit occasionnellement des empreintes de manchots tracer un chemin vers le nord, vers cette falaise. Selon lui, il se pourrait qu’en janvier les poussins aient suivi un ou deux adultes vagabonds qui « sont, en somme, allés dans le mauvais en sens ».

    Les manchots empereurs juvéniles se jettent généralement depuis la glace de mer et sautent d’une hauteur de moins d’un mètre dans l’océan. Mais selon les scientifiques, ces poussins se sont retrouvés à un endroit permettant mal d’entrer dans l’eau, et ils étaient en plus affamés. Leurs parents étaient déjà partis en mer. Ils leur avaient envoyé par ce départ le message que le temps était venu pour eux de pêcher par eux-mêmes, et les poussins étaient restés assis sagement en attendant que poussent leurs plumes lisses, soyeuses et imperméables pour remplacer leur duvet.

    « Quand ils arrivent sur cette paroi de falaise, ils se disent : "Bon, je vois l’océan et je dois aller là-dedans, explique Michelle LaRue. Cela n’a pas l’air d’être un saut très amusant, mais j’imagine qu’il va bien falloir que j’y aille." »

     

    DES OISEAUX RÉSILIENTS

    Si les scientifiques ne pensent pas que l’incident du saut de la falaise soit directement lié au réchauffement de l’Antarctique par l’effet du changement climatique, Peter Fretwell souligne toutefois que le déclin continu de la banquise du continent contraint peut-être davantage de manchots empereurs à se reproduire sur les plateformes glaciaires ; ainsi ce comportement pourrait être plus fréquent à l’avenir.

    Le déclin soudain de la glace de la banquise en Antarctique depuis 2016 et ses conséquences probablement sinistres pour la survie à long terme des manchots empereurs préoccupent les scientifiques.

    « Selon nos estimations, nous pourrions perdre l’ensemble de la population d’ici à la fin du siècle, prévient Peter Fretwell. Il est déchirant de penser que l’espèce dans son entièreté pourrait disparaître si le changement climatique continue sur la trajectoire actuelle. »

    Michelle LaRue demeure optimiste quant à la capacité des empereurs à s’adapter. Pour elle, leurs récents sauts de l’ange témoignent de leur robustesse.

    « Ils sont extraordinairement résilients, souligne-t-elle. Ils sont là depuis des millions d’années ; ils ont assisté à beaucoup de changements différents au sein de leur environnement. La question est la rapidité avec laquelle ils seront capables de faire face aux changements qui sont en train de se produire ; et jusqu'à quels retranchements ils pourront être poussés. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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