La peur des mouffettes est-elle innée chez les prédateurs ?

De nouvelles recherches remettent en cause une hypothèse de longue date selon laquelle le pelage noir et blanc des moufettes avertit les coyotes et les autres animaux de les laisser tranquilles.

De Jason Bittel
Publication 17 mai 2024, 14:12 CEST
Les mouffettes rayées (photographie prise au Texas) vaporisent une puissante substance odorante lorsqu'elles sont dérangées.

Les mouffettes rayées (photographie prise au Texas) vaporisent une puissante substance odorante lorsqu'elles sont dérangées.

PHOTOGRAPHIE DE Rolf Nussbaumer, Nature Picture Library

Si vous croisez le chemin d'une mouffette rayée (Mephitis mephitis), sachez qu'il faut lui laisser de l'espace, sous peine de se retrouver le visage aspergé par une substance nauséabonde. L'idée selon laquelle ces mammifères d'Amérique du Nord savent user de l'odeur quand ils se sentent menacés est connue et mentionnée un peu partout, des guides de voyage aux cartoons.

Mais comment les animaux sauvages savent-ils que les mouffettes possèdent une telle force de frappe ? Après tout, même de redoutables prédateurs tels que les ours, les loups et les pumas attaquent rarement ces animaux noirs et blancs.

Croyez-le ou non, les scientifiques n'ont jamais vraiment vérifié si les rayures noires et blanches de la mouffette étaient des symboles d'aposématisme, sorte de signal d'avertissement.

La majorité des études concernant les interactions prédateurs-proies et l'aposématisme sont menées sur des dendrobates (Dendrobatidae) et sur des papillons de nuit et diurnes toxiques, explique Ted Stankowich, écologiste comportementaliste et évolutionniste, directeur du Laboratoire consacrés aux mammifères de l'université d'État de Californie à Long Beach.

Dans la première étude du genre, Stankowitch et ses co-auteurs ont fait une première découverte. La majorité des prédateurs n'ont pas nécessairement montré de peur innée des mouffettes, mais apprennent, après des tentatives infructueuses, à les éviter. « Du moins c'est ce que l'on présumait », explique Stankowich, dont l'étude vient d'être publiée dans le journal Animal Behavior. « Nous pensions savoir, mais nous étions dans l'erreur. »

 

UNE AFFAIRE NAUSÉABONDE

Pour l'expérience, les scientifiques se sont tournés vers une population de coyotes de l'Utah qui sont nés en captivité ou qui ont été éloignés de la vie sauvage avant d'avoir pu quitter leurs terriers.

Tout est mis en œuvre pour que les animaux restent dans la Predator Research Facility, qui s'étend sur soixante-sept hectares. Ce centre de recherche est géré dans le cadre d'un partenariat entre le Centre national de recherche sur la faune sauvage de l'USDA et l'université d'État de l'Utah, explique Julie Young, co-autrice de l'étude et spécialiste du comportement animal au sein de Département des ressources naturelles à l'université d'État de l'Utah. « C'est un bon endroit pour faire des recherches. »

Lors de la première étape de l'expérience, les quarante-neuf coyotes de l'étude ont appris qu'ils pouvaient obtenir de la nourriture gratuite s'ils s'approchaient d'une maquette de la taille d'une mouffette et recouverte de fourrure brune.

Les prédateurs assez courageux pour manger la nourriture placée sur la maquette sont passés à la deuxième étape, dans laquelle la fourrure brune a été remplacée par une fourrure noire et blanche. Mais, contrairement aux modèles bruns inoffensifs, les modèles noirs et blancs dissimulent un petit pistolet télécommandé qui peut pulvériser du liquide produit par des mouffettes sur le visage des coyotes. Pour assurer le bien-être des coyotes, les scientifiques ont utilisé une solution en spray qui ne contenait que 0,9 % de liquide de mouffette.

Même si tout ceci semble tout droit sorti d'un épisode des Looney Tunes, l'installation permettait aux scientifiques de voir des coyotes n'ayant jamais rencontré de mouffettes apprendre qu'elles pouvaient être dangereuses.

Sur les trente-six coyotes qui ont participé à cette partie de l'expérience, 71,9 % ont appris à éviter complètement les mouffettes. De plus, il n'a fallu que 2,4 pulvérisations pour que cette leçon soit acquise. Stankowich soupçonne que ce chiffre aurait pu tomber à une seule pulvérisation s'ils avaient utilisé du liquide de mouffette non dilué.

Curieusement, les scientifiques ont aussi repéré que quatre coyotes ne s'approchaient pas du tout des modèles noirs et blancs, même s'ils n'avaient eu aucun problème à approcher les modèles bruns. Stankowich a alors déduit que c'est sûrement parce que le contraste entre le blanc et le noir est suffisant pour leur faire peur.

Autrement dit, l'éducation et la nature aident les coyotes à apprendre à éviter les mouffettes rayées.

Et, bien que ça n'ait pas été spécifiquement testé, la même combinaison de facteurs est susceptible de fonctionner pour les autres espèces de mouffettes, comme les spilogales ou les mouffettes à capuchon, explique Stankowich.

« Il y a à la fois une prédisposition à se méfier de ce signal noir et blanc et une forte composante d'apprentissage. »

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    Lors d'une expérience récente, la plupart des coyotes captifs (photographie prise en Floride) ne savaient pas qu'il fallait se méfier des moufettes.

    PHOTOGRAPHIE DE Carlton Ward, National Geographic Image Collection

     

    DES PERSONNALITÉS DIFFÉRENTES

    En plus d'enquêter sur l'aposématisme, la nouvelle étude renforce l'idée que les personnalités des animaux varient en fonction de la population.

    Par exemple, un coyote mâle particulièrement téméraire s'est fait asperger neuf fois, la quantité maximale possible, si l'on en croit le plan d'expérience.

    Conformément aux recherches antérieures, la nouvelle étude a également confirmé que les coyotes mâles étaient plus enclins à s'approcher des objets inconnus que les femelles. De même, les jeunes animaux avaient tendance à s'adapter plus rapidement que les plus âgés.

    « Certains animaux sont très, très audacieux et prêts à s'attaquer à des antagonistes, même s'ils ne savent pas de quoi il s'agit », explique Stankowich. « D'autres animaux sont beaucoup plus méfiants. »

    Certains coyotes vivant dans des zones urbaines sont plus audacieux que leurs congénères ruraux et la sélection naturelle mènera sûrement à des générations futures d'animaux citadins encore plus aventureux.

     

    DES MOUFFETTES AUX ARAIGNÉES 

    « Ma première réaction a été de penser qu'il s'agissait d'une façon très élégante de démontrer ce concept », déclare Andy Davis, chercheur à l'Odum School of Ecology de l'université de Géorgie, qui n'a pas participé à ladite recherche.

    Andy Davis a récemment publié une étude sur l'aposématisme qui a révélé que les araignées jorō (Triconephila clavata) exotiques qui débarquent en masse en Amérique du Sud, semblent reconnaître les monarques (Danaus plexippus), dont les ailes sont orange et noires, comme étant toxiques.

    Tout comme les coyotes évitent les modèles de mouffettes noirs et blancs sans interagir avec eux, les araignées jorō n'attaquent qu'un petit pourcentage de monarques pris dans leurs toiles. Cependant, elles s'attaquent à d'autres papillons orange dans des conditions normales. Sans toucher ni goûter aux monarques, ces araignées sauvages semblent savoir que ces insectes sont indigestes.

    Les résultats sont compliqués à expliquer. Il est peu probable que les araignées évitent les motifs des monarques de manière innée, puisque les deux espèces n'évoluent pas ensemble, explique Davis.

    Mais c'est ce que la majorité des études sur l'aposématisme démontrent, admet-il. Il y a souvent différentes manières d'interpréter les données. Cependant, il assure que l'étude sur les mouffettes et les coyotes ne connaît pas ce problème.

    « Je veux dire, il n'y a aucune ambiguïté en ce qui concerne les résultats », déclare Davis.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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