Et si les chimpanzés sauvages pouvaient nous apprendre à vieillir en bonne santé ?

Des recherches sur la santé d’anciens animaux de laboratoire ont révélé que pour les chimpanzés, et donc probablement pour les humains, l’inactivité est la principale responsable de la fragilité qui s’installe avec l’âge.

De Tim Vernimmen
Publication 5 juil. 2021, 13:57 CEST
Aging Chimps

Octobre 2011 : Yogi, un chimpanzé, a fait partie des soixante animaux sauvages étudiés dans le cadre du Kibale Chimpanzee Project en Ouganda.

PHOTOGRAPHIE DE Ronan Donovan

Lorsque Auntie Rose est morte en 2007, elle était le plus vieux chimpanzé connu. Elle avait 63 ans, un âge très avancé pour son espèce, et ses derniers mois se sont avérés difficiles. « Elle avait perdu tous ses poils et elle se contentait de ramper dans la forêt », témoigne Emily Otali, directrice des opérations pour le Kibale Chimpanzee Project en Ouganda et exploratrice National Geographic. « Elle me faisait de la peine. »

Pourtant, jusqu’à son dernier souffle, Auntie Rose s’est débrouillée toute seule. Les chimpanzés adultes se partagent rarement leur nourriture, pas même avec les anciens. Les animaux âgés doivent donc continuer de faire les efforts nécessaires à la recherche de nourriture. Dans la nature, les aînés sont moins actifs et peuvent s’affaiblir, en perdant leur masse musculaire à mesure qu’ils vieillissent. « Mais ils supportent le vieillissement bien mieux que nous. Ils continuent d’avancer, c’est impressionnant », souligne Emily Otali.

Depuis 1987, des scientifiques étudient les chimpanzés sauvages de la région de Kanyawara, dans le parc national de Kibale. Ils aident ainsi à renforcer notre compréhension du comportement des primates et de leurs relations avec l’Homme moderne.

PHOTOGRAPHIE DE Ronan Donovan

Parallèlement, les chimpanzés détenus dans les centres de recherche biomédicale étaient considérés comme âgés à 35 ans. Plusieurs établissements aux États-Unis détenaient des centaines de chimpanzés pendant des années, pour mener des expérimentations destinées à aider à la recherche de traitement contre certaines maladies humaines. Ces animaux captifs ont commencé à développer des affections similaires à celles associées au vieillissement chez les Hommes, comme des problèmes cardiaques ou du diabète. Les chercheurs ont été étonnés de voir à quel point nos plus proches cousins nous ressemblaient.

Depuis 2010, grâce à une directive du Parlement européen, l’utilisation des chimpanzés et autres grands singes à des fins d’expérimentation est interdite dans l’Union européenne, sauf circonstances exceptionnelles.

Aux États-Unis, ce n’est que depuis 2015 que les Instituts américains de la santé ont décidé de mettre un terme aux recherches invasives sur les chimpanzés. Un rapport a démontré que de nombreux primates de laboratoires, souvent âgés de moins de 60 ans, étaient alors trop fragiles pour bouger. Toutefois les expériences auxquelles ils avaient été soumis pourraient n'expliquer qu’en partie de la cause cette infirmité.

Les recherches menées sur les chimpanzés sauvages et dans les sanctuaires d’Afrique, où ils disposent de beaucoup d’espace pour vagabonder, montrent que ces animaux vieillissent en bien meilleure santé que leurs homologues de laboratoire. Ces conclusions permettent de tirer des enseignements clairs sur la manière de prendre soin des chimpanzés encore en captivité.

En outre, elles suggèrent que l’étude des problèmes de santé des chimpanzés de laboratoire n’a fourni que peu d’informations sur leur vieillissement naturel. Au contraire, le sort de ces chimpanzés captifs et vieillissants pourrait nous en apprendre davantage sur les risques que pose la sédentarité croissante des Hommes d’aujourd’hui.

À mesure que les gens vieillissent, ils deviennent de moins en moins actifs. Généralement, ils se confortent dans la prophétie autoréalisatrice qui stipule que leur corps s’affaiblit naturellement et que leur condition physique se détériore donc inévitablement. Pourtant, même les chimpanzés sauvages comme Auntie Rose, qui devaient parcourir plusieurs kilomètres par jour pour trouver de la nourriture et n’étaient pas soignés lorsqu’ils étaient malades ou blessés, semblent vieillir en meilleure santé, affirme l’anthropologue Melissa Emery Thompson de l’université du Nouveau-Mexique et codirectrice du Kibale Chimpanzee Project.

Les études menées sur les peuples ayant un mode de vie de chasseurs-cueilleurs, dont beaucoup restent très actifs jusqu’à la fin de leur vie, ont également montré qu’ils restaient en meilleure santé bien plus longtemps que ceux qui se laissaient aller en vieillissant. Par exemple, la vitesse de déplacement des membres du peuple Hazda en Tanzanie, qui s’adonnent à la recherche de nourriture toute leur vie, ne semble pas diminuer drastiquement avec l’âge.

« Ce n’est pas l’activité physique, mais bien l’inactivité qui nous fragilise », assure-t-elle.

 

LE MÉLANGE PARFAIT ENTRE CAPTIVITÉ ET VIE SAUVAGE

À la réserve de chimpanzés de l’île de Ngamba en Ouganda, les chimpanzés saisis des braconniers vivent dans de vastes enclos de forêt tropicale où ils sont libres de se déplacer. Ils passent une visite médicale tous les ans, au cours de laquelle les vétérinaires endorment les animaux, l’occasion parfaite pour collecter des données sur le vieillissement.

« Sur la base des études des populations captives, les scientifiques pensaient que les chimpanzés avaient un haut taux de cholestérol », explique Alexandra Rosati, anthropologue à l’université du Michigan. Mais dans une récente étude, Mme Rosati est ses collègues ont constaté que les chimpanzés de la réserve avaient des taux de cholestérol bien moins élevés que ceux de laboratoire.

D’autres indicateurs de risques cardiovasculaires, notamment le poids, étaient plus faibles chez les chimpanzés de l’île de Ngamba. Mme Rosati indique que l’explication pourrait venir du fait que les chimpanzés sauvages peuvent davantage se déplacer. Ils mangent également davantage de fruits et légumes, dont certains poussent naturellement dans les enclos, et moins de la bouillie riche en nutriments qui constituait l’aliment de base du régime alimentaire des animaux en laboratoire.

Les chimpanzés sauvages ne montrent pas pour autant aucun signe de vieillissement, assure Joshua Rukundo, ancien vétérinaire principal, désormais directeur, de la réserve de l’île de Ngamba. L’inflammation des articulations est une affection courante chez les chimpanzés vieillissants. « Souvent, ils présentent aussi des problèmes aux dents, ce qui les empêche de digérer les fibres. Ce manque de nourriture affecte leur immunité et ils deviennent donc vulnérables face aux maladies. »

Néanmoins, il précise que la plupart de ces symptômes peuvent être traités. Ainsi, en ce qui concerne le vieillissement en bonne santé, les chimpanzés de l’île de Ngamba vivent peut-être dans le meilleur des deux mondes. Ils disposent de grands espaces pour vagabonder, comme ils le feraient dans la nature, et profitent de certains avantages de la captivité, comme des suppléments en nourriture et des soins.

Cette situation pourrait servir d’exemple pour assurer de bons soins aux anciens chimpanzés de laboratoire en captivité, mais aussi pour les autres singes et les animaux des zoos.

 

RESTER ACTIF

Des observations similaires ont été obtenues de l’une des populations de singes les plus connues au monde. Les gorilles des montagnes (Gorilla beringei beringei) du parc national des volcans au Rwanda sont étudiés depuis 54 ans, lorsque Dian Fossey a lancé ses recherches là-bas en 1967. Depuis, les chercheurs ont enterré les corps des gorilles sauvages morts naturellement dans des cages spéciales afin de les protéger des charognards. Cette technique leur permet de les garder en sécurité pour de prochaines études. Depuis 2008, la National Geographic Society soutient la collecte et l’étude de ces restes.

« C’est une collection vraiment unique, comptant plus d’une centaine de squelettes », indique Christopher Ruff, anatomiste à l’université Johns Hopkins. Elle a permis aux chercheurs de découvrir si les os des gorilles vieillissaient comme les nôtres. Une récente étude menée par M. Ruff et ses collègues a cherché à déterminer si les os des gorilles présentaient des signes d’ostéoporose, une affection qui affaiblit les os à mesure que les Hommes vieillissent. Ils ont remarqué que même si les cavités osseuses des primates s’étendaient comme celles des humains, la solidité de leurs os ne diminuait pas avec le temps et les fractures étaient rares.

Contrairement à leurs homologues détenus en captivité, les chimpanzés observés dans les sanctuaires ou dans la nature semblent vieillir en meilleure santé car ils restent actifs tout au long de leur vie.

PHOTOGRAPHIE DE Ronan Donovan

Ce phénomène peut s’expliquer en partie par la consommation des nombreuses plantes riches en calcium contenues dans le régime alimentaire des gorilles. Le facteur le plus important reste tout de même l’activité physique. Même si les gorilles des montagnes passent de nombreuses heures assis à manger, ils font beaucoup d’exercice en montant et descendant les pentes abruptes de la région.

C’est une activité cruciale, assure M. Ruff, puisque les os sont ainsi sans cesse remodelés en réponse aux forces qu’ils subissent. Contrairement aux pièces d’une machine, nos os et nos muscles contiennent des tissus vivants qui leur permettent de se réorganiser et de se réparer activement lorsque nous nous en servons. Si nous restons inactifs, ils se dégradent. « Soit vous les utilisez, soit vous les perdez », conclut M. Ruff.

 

UNE RETRAITE RAJEUNISSANTE

La bonne nouvelle pour celles et ceux qui sortent de l’inactivité imposée par les confinements de la pandémie, c’est qu’une augmentation de l’exercice physique peut aider les corps affaiblis à se rétablir.

Heureusement, de nombreux anciens chimpanzés de laboratoire ont eux aussi l’occasion de remettre leurs muscles vieillissants en route. Des centaines de chimpanzés de laboratoire aux États-Unis ont été transférés à Chimp Haven. Ce sanctuaire fondé en 2005 en Louisiane offre aux primates à la retraite de grands espaces pour se déplacer.

Les animaux y sont totalement protégés de la recherche invasive et les conditions imposées aux scientifiques pour les étudier sont strictes. Dans une déclaration, des gestionnaires du sanctuaire ont affirmé à National Geographic qu’ils ont approuvé de multiples études, essentiellement d’observation, portant sur la cognition, la mobilité et le microbiome des chimpanzés vieillissants dont ils ont la charge.

Certaines de ces recherches pourraient un jour s’avérer bénéfiques pour la santé humaine mais la priorité du Chimp Haven reste désormais focalisée sur le bien-être de ses pensionnaires.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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