Floride : ces poissons tournent en rond... jusqu'à en mourir

Depuis un certain temps, différentes espèces de poissons tournent en rond jusqu’à rendre l’âme. Les scientifiques, à la recherche d’indices, n’ont pas encore trouvé la cause de ce comportement étrange.

De Bethany Augliere
Publication 23 mars 2024, 09:13 CET
Un poisson-scie trident (Pristis pectinata), une espèce en danger critique d’extinction, nage dans le parc national ...

Un poisson-scie trident (Pristis pectinata), une espèce en danger critique d’extinction, nage dans le parc national des Everglades, en Floride. Un mal mystérieux a tué au moins vingt-et-un de ces animaux rares.

PHOTOGRAPHIE DE Doug Perrine, SCIENCE PHOTO LIBRARY

Une nuit de novembre 2023, le plongeur Gregg Furstenwerth a braqué sa lampe de poche sur un poisson qui nageait dans une prairie sous-marine de l’archipel des Keys, au large de la Floride. 

Ce qu’il a découvert l’a surpris : un sar salème en détresse tournant et se retournant sur lui-même. Perplexe, il a filmé ce comportement à l’aide de sa caméra sous-marine.  

Lorsque certains de ses amis et des plongeurs lui ont rapporté qu’ils avaient également observé des poissons tournoyant sur eux-mêmes, Gregg Furstenwerth a commencé à documenter d’autres incidents, à la fois depuis son bateau et depuis les quais où il se promenait la nuit. 

Les premiers phénomènes ont principalement été observés le long d’une bande d’eau d’un peu plus de 56 kilomètres dans les Lower Keys, un archipel tropical d’îles au sud de la Floride continentale.  D’après Bonefish & Tarpon Trust, organisme à but non lucratif pour la protection de certaines espèces de poissons, trois cas ont ensuite été signalés à Miami. Puis, plus récemment, un autre a été rapporté dans les Upper Keys.

En mars 2024, les personnes vivant sur ces territoires et les scientifiques ont constaté cet étrange comportement chez au moins quarante-quatre espèces, dont le poisson-scie trident, en danger critique d’extinction. Selon la Commission de conservation de la faune et de la flore en Floride, de nombreux poissons ont été retrouvés morts, bien qu’aucun dénombrement officiel n’ait été effectué.

Le fait que la cause de cette affection touchant les poissons ne soit pas encore connue à l’heure actuelle a incité plusieurs universités, instituts et agences de l’État à collaborer afin de pouvoir identifier celle-ci au plus vite.

« Tout le monde veut maintenant savoir de quoi il s’agit », déclare Alison Robertson, une océanologue qui étudie les efflorescences algales nuisibles à la Stokes School of Marine and Environmental Sciences de la University of South Alabama et au Dauphin Island Sea Lab, le centre d’enseignement et de recherche marine de l’Alabama.

« Nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour collaborer afin d’essayer d’identifier ce problème et d’apporter des solutions », poursuit-elle. « Il est très étrange de voir un événement se prolonger ainsi et affecter autant d’espèces différentes. » 

Parmi les causes possibles figurent : la prolifération d’algues nuisibles, qui peuvent produire des neurotoxines ayant un impact sur le comportement des poissons ; les substances polluantes ; les facteurs environnementaux tels qu’un niveau d’oxygène bas ou des températures élevées ; les maladies ; et les parasites. 

« C’est difficile à gérer », déclare Gregg Furstenwerth au sujet des incidents dont il a été témoin. « Mais je dois continuer, ce n’est pas dans ma nature d’abandonner. »

 

ÉCARTER LES CAUSES POSSIBLES

« Lorsque des poissons sont en détresse ou tués en Floride, la première chose à laquelle les gens pensent est une marée rouge », explique Michael Parsons, écologue marin qui étudie également les efflorescences algales à la Florida Gulf Coast University. 

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    Les marées rouges se produisent lorsque des algues microscopiques, un type de phytoplancton, prolifèrent soudainement le long d’une zone côtière, libérant dans l’eau des toxines naturelles qui peuvent nuire à la faune et à la flore, et même à l’Homme.

    Ce n’est néanmoins pas le cas ici. Selon Kelly Richmond, de la Commission de conservation de la faune et de la flore en Floride, aucune preuve ne corroborait l’existence d’une marée rouge dans l’archipel des Keys, de faibles niveaux d’oxygène, de températures élevées ou encore de parasites sur les poissons morts. 

    Alison Robertson, Michael Parsons et leurs collègues étudient la présence de toxines algales naturelles dans l’eau, les sédiments, les algues et une variété de poissons prélevés dans l’archipel.

    Les échantillons d’eau ont par exemple révélé des niveaux plus élevés que la normale d’un type d’algue présent sur les fonds marins, du genre Gambierdiscus. En temps normal, un litre d’eau provenant de l’archipel des Keys comporte trente à quarante cellules de Gambierdiscus, alors que les échantillons récemment prélevés dans les zones touchées en comptaient environ un millier. Certains poissons prélevés contenaient des ciguatoxines, qui proviennent également de Gambierdiscus, et d’autres individus de l’acide okadaïque, produit par un autre type d’algue vivant au fond de l’eau.

    La ciguatera est plus fréquente dans les zones contenant des récifs coralliens, soumises à des contraintes environnementales. L’archipel des Keys est confronté à une myriade de problèmes, notamment le réchauffement des eaux qui entraîne le blanchissement des coraux, la pollution de l’eau et le développement du littoral.

     

    À LA RECHERCHE DE TOXINES

    Les personnes qui consomment des poissons contenant des niveaux élevés de ciguatoxines peuvent contracter la ciguatera, une maladie qui provoque des vomissements, des nausées et des symptômes neurologiques. Lors d’expériences précédentes en laboratoire, les poissons ayant ingéré de la nourriture contenant des ciguatoxines présentaient des déficits neurologiques, notamment une hyperactivité et un comportement agité.

    Pour la prochaine étape, les scientifiques prévoient d’exposer des poissons de laboratoire à de l’eau prélevée dans des zones de Big Pine Key, où d’autres de ces animaux présentant cet étrange comportement ont été observés. Si ces poissons commencent à agir de la même manière dans les six à douze heures, cette eau sera testée pour détecter la présence de toxines. Les résultats seront ensuite comparés à ceux d’une autre expérience au cours de laquelle des poissons seront exposés à des toxines ajoutées à de l’eau de mer artificielle, dont les niveaux seront similaires à ceux observés dans l’eau de l’archipel des Keys. 

    Ces expériences « nous aideront à confirmer ou à infirmer l’impact de ces algues et de leurs toxines sur les comportements des poissons observés dans les Keys », explique Michael Parsons.

    Une équipe de l’Ocean First Institute, organisation à but non lucratif pour la préservation des océans, prévoit également de comparer des échantillons de sang de requins prélevés avant l’apparition de ce phénomène avec ceux extraits plus récemment. L’objectif est de déterminer les effets à long terme sur la santé des espèces de requins ayant manifesté ce comportement étrange et d’étudier de quelle manière celui-ci est induit dans le corps, explique Christopher Malinowski, directeur de recherche et de conservation de l’institut.

    « Malheureusement, la mortalité des poissons est omniprésente », ajoute Michael Parson. « Mais dans ce cas, nous ne pouvons expliquer les morts par les causes habituelles. C’est ce qui fait l’étrangeté de cet événement. »  

     

    DES ESPÈCES MENACÉES

    Le cas du poisson-scie trident est particulièrement préoccupant. Depuis 2003, ce dernier est inscrit sur la liste rouge mondiale des espèces menacées comme étant en danger critique d’extinction, notamment en raison de l’aménagement du littoral et des prises accessoires. Il n’existe que cinq espèces de poissons-scies au monde et celle-ci est la seule présente dans les eaux américaines. 

    Depuis le début du mois de mars, vingt-et-un poissons-scies ont été retrouvés morts et l’on a signalé jusqu’à soixante individus en détresse, indique Dean Grubbs, écologue spécialiste des poissons à l’université d’État de Floride qui étudie cette espèce. Le 13 mars, l’un d’entre eux a été repéré comme étant en détresse à Boynton Beach, à plus de 321 kilomètres au nord, si loin que la découverte en est, selon lui, « inquiétante ».

    « En ce qui concerne le poisson-scie, il est évidemment très préoccupant de voir mourir autant d’animaux de si grande taille », explique Dean Grubbs.

    Alors que le poisson-scie trident, qui peut atteindre près de 3,6 mètres de long, était historiquement présent des deux côtés de l’Atlantique, seules deux populations subsistent aux Bahamas et aux États-Unis, la seconde étant la plus importante. « Cela signifie que le rétablissement de l’espèce dépend en grande partie de la population américaine », poursuit l’écologue.

    « Je ne pense pas que nous soyons encore capables de dire s’il s’agit d’un problème qui sera résolu dans un an, et dont nous ne saurons même pas la cause, ou si la situation est potentiellement catastrophique. J’espère que la diffusion de ces informations sera profitable à l’intelligence collective. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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