Les chauves-souris vampires, dignes héritières de Dracula

Cette espèce de chauves-souris se nourrit du sang des autres animaux, et a développé des capacités étonnantes pour contourner les défenses de ses victimes.

De Carl Zimmer
Publication 25 mai 2022, 15:58 CEST
Photographie d'une chauve-souris vampire.

Photographie d'une chauve-souris vampire.

PHOTOGRAPHIE DE Bruce Dale, National Geographic

Il y a des millions d’années, certaines chauves-souris ont abandonné leurs vieilles habitudes de chasse aux insectes pour essayer quelque chose de nouveau : boire du sang. Ces créatures sont devenues les chauves-souris vampires que nous connaissons aujourd’hui, et il est stupéfiant d’explorer toutes les façons dont elles ont évolué pour tirer le meilleur parti de leurs repas sanguinolents.

Un bon nombre de ces adaptations sont détectables à l’œil nu. Par exemple, ces chauves-souris vampires ont des dents à la Dracula qu’elles utilisent pour percer la dure peau des vaches. Lorsqu’elles ouvrent la peau en une plaie en forme de cratère, elles y plongent leur longue langue qui contient deux conduits en forme de paille, qui leur permettent de recueillir le sang.

Trouver ces proies a conduit à une autre adaptation remarquable et visible, du moins si l’on est un scientifique spécialisé dans l’étude du déplacement des chauves-souris vampires. Comme les autres chauves-souris, elles peuvent voler, mais en plus de cela, elles peuvent également marcher, et même galoper. Sur les près de 1 200 espèces de chauves-souris, les chauves-souris vampires font partie des très rares espèces capables de se déplacer rapidement sur le sol.

Mais les chauves-souris vampires sont dotées de nombreuses autres adaptations invisibles leur permettant de boire du sang. Pour trouver leurs victimes, elles utilisent l’ensemble de leurs sens : la vision à longue portée, l’odorat très développé, l’ouïe fine et l’écholocalisation. Leur nez est même doté de fosses thermosensibles qui détectent la chaleur des animaux à sang chaud. Une fois qu’elles se posent sur un animal, elles déposent ces fosses sur sa peau afin de localiser les capillaires remplis de sang chaud et qui sont près de la surface.

Photographie d'une chauve-souris vampire.

PHOTOGRAPHIE DE Bruce Dale, National Geographic

Lorsque les chauves-souris vampires plongent leur langue dans une plaie, elles ne se contentent pas d’aspirer le sang. Elles y introduisent également leur salive, et ce liquide est composé d’autres adaptations invisibles étonnantes : en effet, les chauves-souris vampires sont venimeuses.

Cette information peut sembler étrange. Nous considérons généralement le venin comme un produit chimique qu’un animal introduit dans le corps de sa victime pour la faire souffrir ou la tuer. Mais la définition que lui donnent les biologistes est plus large : il s’agit d’une sécrétion produite dans une glande spécialisée d’un animal, et qui est transmise à un autre animal par le biais d’une blessure afin de perturber sa physiologie.

Le venin de serpent, celui que nous connaissons le mieux, peut tellement perturber la physiologie qu’il peut provoquer la mort de la victime, et ce de plusieurs façons : par exemple, en bloquant les neurones, ou en faisant pourrir les tissus. Toutefois, d’autres animaux qui n’ont pas pour but de tuer leurs victimes produisent également du venin. Les chauves-souris vampires, par exemple, ne cherchent pas à manger la vache tout entière. Elles veulent juste en prendre une gorgée.

Malheureusement, boire du sang a quelques inconvénients. Les vertébrés sont équipés de nombreuses molécules et cellules destinées à reboucher les plaies. Dès que celles-ci détectent la moindre déchirure dans un vaisseau sanguin, elles commencent à fabriquer des caillots pour endiguer le flux.

Les chauves-souris vampires utilisent donc du venin afin de favoriser la circulation du sang. Dans le cadre d’un article publié en 2013, intitulé Dracula’s Children: Molecular Evolution of Vampire Bat Venom, une équipe internationale de scientifiques a analysé les molécules utilisées par les chauves-souris vampires pour contourner les défenses du sang.

Le plus frappant dans le venin des chauve-souris vampire, c’est qu’il s’attaque au corps de la victime de nombreuses manières distinctes. Les caillots sanguins se forment par une série de réactions impliquant une chaîne d’enzymes. Les chauves-souris vampires produisent différentes protéines pour s’attaquer aux différentes enzymes de cette chaîne. Les plaquettes sanguines, qui sont des fragments de cellules, s’agglutinent également autour des plaies pour aider à les soigner. Les chauves-souris vampires fabriquent des composés distincts qui s’attaquent alors aux plaquettes.

Pour fabriquer leur venin, les chauves-souris vampires réutilisent d’anciennes molécules et leur donnent de nouveaux rôles. Lorsqu’un vertébré forme un caillot de sang pour refermer une blessure, il doit décomposer ce caillot une fois la blessure guérie. Une enzyme appelée activateur tissulaire du plasminogène crée une réserve de molécules appelées plasminogènes, qui dissolvent les caillots. Les chauves-souris vampires produisent des activateurs pour réaliser ce processus dans leur propre sang, mais elles en produisent également une quantité supplémentaire dans leurs glandes buccales. Ainsi, lorsque ces activateurs tissulaires du plasminogène pénètrent dans une plaie lors de l’attaque, ces derniers permettent d’utiliser directement le plasminogène de la victime pour favoriser la circulation du sang.

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    Lorsque les chauves-souris ont commencé à utiliser ces activateurs dans leur venin, les molécules ont évolué pour mieux s’adapter à ce nouveau rôle. D’habitude, les activateurs tissulaires du plasminogène sont éliminés du flux sanguin par d’autres enzymes : cette étape est importante pour la survie car, dans le cas contraire, ils resteraient dans l’organisme et rendraient difficile la formation de nouveaux caillots. Les activateurs des chauves-souris vampires ont une forme légèrement différente qui permet de les protéger des enzymes de leurs victimes.

    Ensemble, ces molécules sont si efficaces qu’une vache continue de saigner longtemps après le départ du vampire. Les scientifiques étudient le venin de ces créatures depuis des décennies, et continuent de découvrir de nouvelles molécules dans le liquide. Les auteurs de l’étude citée précédemment ont appliqué une nouvelle méthode dans cette recherche : ils ont capturé deux chauves-souris vampires et ont catalogué tous les gènes très actifs de leurs glandes buccales. Les scientifiques ont ensuite identifié les gènes et étudié les propriétés des protéines qu’ils codaient. Ils ont ainsi découvert des dizaines de nouvelles protéines : certaines tuaient les microbes, permettant d’assurer la propreté de la nourriture de l’animal, tandis que d’autres dilataient les vaisseaux sanguins, augmentant le flux dans la plaie.

    Quand une vache est attaquée par une chauve-souris vampire, elle n’est pas totalement impuissante. Les éleveurs ont remarqué que lorsque les chauves-souris se nourrissent à plusieurs reprises dans les mêmes troupeaux, les vaches saignent moins longtemps. Selon les scientifiques, ce phénomène se produit parce que le système immunitaire des animaux apprend à reconnaître certaines des molécules du venin et à les attaquer. Dans l’étude de Dracula’s Children, les chercheurs ont trouvé des molécules de venin capables de contrer le système immunitaire. Le venin lui-même évolue pour échapper à la reconnaissance du système immunitaire, prenant de nouvelles formes qui pourraient lui permettre de passer inaperçu.

    La lecture de Dracula’s Children me donne une forte impression de déjà-vu. J’ai écrit un article sur les tiques pour Outside et, au cours de mes recherches, j’ai appris que les tiques produisent une salive chargée de protéines qui, entre autres, ouvrent les vaisseaux sanguins, utilisent nos propres molécules pour dissoudre les caillots et font beaucoup de choses que fait également le venin des chauves-souris vampires.

    Lorsque l’on transforme un mammifère en tique, on obtient donc une chauve-souris vampire. Et ce n’est pas une insulte de ma part, loin de là.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise en 2013.

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