Cet animal est doté d’un taser intégré pour neutraliser les requins
Les raies électriques parviennent à ne pas tomber dans les estomacs des requins en les électrocutant, avec des décharges allant jusqu’à 200 volts.

Les chercheurs ont observé des torpilles du golfe (Torpedo sinuspersici) électrocutant des requins pour les dissuader d’approcher.
Les grands requins, avec leurs mâchoires puissantes et leur grande résistance aux toxines, comme les grands requins blancs ou les requins tigres, dévorent tout ce qu’ils trouvent. Des serpents de mer assez venimeux pour tuer un humain en une morsure et des raies aux pics dorsaux de 15 centimètres ne sont que de petits en-cas pour les super-prédateurs des océans.
Les scientifiques ont longtemps cru qu’aucune créature marine n’était à l’abri face à un énorme requin affamé mais au moins un groupe animal est parvenu à développer un moyen efficace d’échapper à la digestion des dents de la mer : les torpilles.
Au cours d’une étude publiée le mois dernier dans la revue scientifique Ethology, les chercheurs ont découvert que les raies électriques, aussi appelées torpilles, pouvaient tenir à distance à la fois les requins tigres et les grands requins blancs, en leur envoyant de puissantes décharges électriques. Les torpilles sont connues pour avoir une sorte de taser intégré qu’elles utilisent pour chasser. Il s’agit de la première étude à montrer qu’elles les utilisent également pour se défendre.
« Je n’aurais jamais cru que les décharges électriques de ces animaux auraient un effet aussi dissuasif sur les prédateurs. Mais à présent, je suis convaincue qu’elles pourraient être un très bon moyen de défense », explique Yannis Papstamatiou, écologiste de l’université internationale de Floride, qui étudie les requins et les autres prédateurs marins. Le scientifique a dirigé cette nouvelle analyse.
UN POUVOIR DE CHOC
Les torpilles habitent les océans tempérés et tropicaux du monde, et la plupart ne mesurent pas plus de 90 centimètres. Mais certaines, comme la torpille noire, qui habite l’Atlantique, peuvent atteindre 1,80 mètre de long et peser plus de 90 kilogrammes.
Parmi ces raies, les plus grandes peuvent délivrer des chocs de plus de 200 volts, plus que suffisant pour qu’un humain tombe à la renverse. Les organes en forme de haricot qui se trouvent sur les deux côtés de la tête des torpilles, lorsqu'ils sont stimulés par le système nerveux de la raie, relâchent des ions chargés habituellement pour étourdir un plus petit animal avant de le manger.
Les torpilles sont également connues pour ne pas craindre les humains et les grands requins, remarque Yannis Papastamatiou, Explorateur National Geographic. « En général, pour ne pas avoir froid aux yeux comme cela, c’est que l’on est assez confiant dans ses capacités défensives. »
LE COMPORTEMENT AUDACIEUX DES TORPILLES
Yannis Papastamatiou a pu observer toute l’audace des torpilles pour la première fois alors qu’il étudiait le comportement alimentaire du grand requin blanc au large des côtes de l’Île Guadalupe, au Mexique, en 2018. Ses collègues et lui avaient attaché des caméras aux nageoires dorsales de six requins.
Sur l’une des vidéos, un grand requin blanc s’approchait d’une torpille du Pacifique dans une colonne d’eau. Alors que le requin se trouvait à distance de frappe, la torpille a eu l’air de recourber ses nageoires pectorales, une position qu’elle adopte habituellement avant de choquer ses proies.
« Le requin est soudain devenu comme fou, et s’est précipité vers le haut », se souvient l’écologiste. « Quelque chose semblait l’avoir perturbé. » Deux minutes plus tard, le requin est revenu mais il a cette fois ignoré la raie ; il avait retenu la leçon.
Tous les requins ont un système sensoriel unique qui leur permet de détecter les faibles champs électriques générés par les organismes vivants. Cela les rend très sensibles à l’électricité. Leur tendance à se nourrir de tout ce qu’ils trouvent, malgré le danger, a rendu les scientifiques sceptiques. Ils ne semblaient pas croire que ce qu’ils avaient vu était une coïncidence.
Ensuite, en 2024, un moniteur de plongée du nom d’Ali Ansaar a filmé une scène similaire à Fuvahmulah, dans les Maldives, entre une torpille du Golfe et un requin tigre. Cette vidéo, dit Yannis Papastamatiou, l’a convaincu que ce qu’il avait vu n’était pas qu’un tour que lui avaient joué ses yeux.
Dans le cadre de cette étude, Yannis Papastamatio et ses collègues ont réexaminé d’anciennes vidéos, dont une expérience qu’ils avaient menée à la fin des années 1990 sur les raies électriques du Pacifique au large de Palos Verdes, en Californie, et ont découvert plus d’exemples de ce comportement. Afin d’observer les différences entre les chocs délivrés aux prédateurs et aux proies, l’équipe a présenté aux raies des poissons qui venaient d’être pêchés au harpon ou leur donnait un petit coup sur le dos à l’aide d’une tige. Dans les deux cas, les raies ont émis des décharges électriques de force similaire en réponse. Mais les décharges provoquées par les coups donnés aux raies étaient plus courtes et plus rapides.
« Si elles le font pour se défendre, il semble logique d’émettre un choc très rapide », remarque Yannis Papastamatiou. « Ces animaux ont comme qui dirait une batterie et, comme toute batterie, il faut un certain temps pour la recharger. »
COMMENT DONNER UNE BONNE LEÇON AUX REQUINS
La présente étude ne concernait que les raies électriques du Pacifique et les torpilles du Golfe, il est nécessaire de mener plus de recherches afin de déterminer si toutes les raies électriques sont en mesure de faire fuir de grands requins. La capacité qu’a une torpille à effrayer les dents de la mer repose probablement sur sa taille, intervient Dave Ebert, scientifique spécialisé en requin de l’université publique de San Jose, qui n’a pas pris part à la présente étude.
Dave Ebert a découvert d’autres espèces de torpilles dans les estomacs de grands requins. « Je pense que, si elles sont [suffisamment petites], les requins peuvent probablement les manger », dit-il. Les petites raies ou les juvéniles pourraient ne pas produire assez d’électricité pour repousser les requins, tandis qu’une décharge envoyée par une raie plus grande pourrait suffire à échapper aux dents de la mer, littéralement. Dave Ebert a également observé des raies qui présentaient des marques de morsures de requins. « Les marques montrent que le requin les a lâchées. »
Les auteurs de l’étude pensent que leurs découvertes changent non seulement ce que l’on pense des capacités défensives des torpilles, mais étoffent aussi l’idée selon laquelle choquer les grands requins avec des courants électriques est un moyen efficace de les repousser. Une leçon qui pourrait aider les humains à concevoir de meilleures méthodes pour éloigner les requins.
Mais ce comportement suggère surtout que les torpilles ne doivent pas être sous-estimées. « Les raies électriques ont une grande force de frappe », continue Dave Ebert. « Elles ne sont généralement pas agressives mais si vous les embêtez, elles vous choqueront. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com
