Les animaux ont-ils conscience de la mort ?

De la fourmi à l'éléphant, la vie animale recèle bien des mystères. Depuis peu, des chercheurs s’intéressent aux comportements que les animaux adoptent face à la mort.

De Romane Rubion
Publication 21 oct. 2025, 10:41 CEST
Une éléphante se tient près du corps sans vie d'un membre de son clan et le ...

Une éléphante se tient près du corps sans vie d'un membre de son clan et le pleure dans le parc national du Serengeti, en Tanzanie.

PHOTOGRAPHIE DE Stu Porter, Alamy banque d'images

L’histoire d’Hachiko, le chien fidèle, est connue dans tout le Japon. Hachido est né en 1923 à Odate à environ 600 kilomètres au nord de Tokyo. Quelques jours après sa naissance, il est adopté par un certain Hidesaburo Ueno, professeur à l’Université impériale de Tokyo, qui vit non loin de la gare de Shibuya. Chaque matin, Hachiko accompagne son maître jusqu’à la gare puis l’y attend chaque soir pour rentrer avec lui.

En 1925, le professeur Ueno meurt subitement à l’âge de cinquante-trois ans. Dès lors et jusqu’à sa propre mort en 1935, Hachiko a continué de se rendre quotidiennement à la gare attendant en vain le retour de son maître disparu. Assis, immobile, il guettait les allées et venues des trains qui n'ont jamais ramené celui qu’il attendait encore.

Hachiko avait-il conscience que son maître ne reviendrait jamais ? Quel rapport les animaux ont-ils avec la mort ? Depuis quelques années, des chercheurs se penchent sur cette question à travers la thanatologie animale, une science encore peu explorée qui étudie les différents aspects biologiques, sociologiques et comportementaux de la mort animale.

Dans son dernier essai Les oiseaux se cachent-ils pour mourir ?, Emmanuelle Pouydebat s’intéresse à la relation que les animaux entretiennent avec la mort à travers de multiples observations. Des corneilles aux chimpanzés, en passant par les éléphants, la directrice de recherche au CNRS et au Muséum national d’histoire naturelle montre que de nombreux animaux témoignent d’une véritable conscience de la perte et réagissent à la mort de leurs congénères.

 

LA CONSCIENCE DE LA PERTE

« Quand l’on voit toutes les réactions complexes que certains individus de nombreuses espèces ont face à la mort d’un congénère, on est en droit de poser l’hypothèse que certains ont conscience de la mort de l’autre », estime la biologiste. En 2008, en Écosse, la mort d’une chimpanzée nommée Pansy a été observée et filmée par le parc où elle vivait. Ses trois congénères sont restés à ses côtés jusqu’à son dernier souffle, la toilettant et examinant son corps comme pour s’assurer qu’elle vivait encore, puis ont évité par la suite l’endroit où elle était morte.

De tels comportements évoquant une certaine forme de deuil ont aussi été rapportés chez d’autres espèces. Certains éléphants ont été vus caressant les os ou les dépouilles de leurs morts, des orques ont été observées soutenant à la surface de l'eau le corps d’un petit décédé. Quant aux corneilles, elles se rassemblent autour d’un individu mort et poussent de longs cris. Bien que ces comportements puissent sembeler anecdotiques, ils soulèvent de grandes questions scientifiques, notamment sur les émotions des animaux.

« La disparition de l’autre conduit à des réactions très fortes et aussi très diversifiées ; diversifiées selon les espèces mais aussi selon les individus », explique Emmanuelle Pouydebat. « À la mort d’un congénère, certains peuvent être excités, voire agressifs, d’autres curieux, ou encore apathiques. […] Ces observations nous montrent que la mort induit assurément des émotions complexes ».

Pourquoi observe-t-on autant de réactions et d’émotions différentes ? « Est-ce lié au lien entre l’individu et le mort ? À la personnalité de cet individu, à son histoire, à sa place dans le groupe social ? ». Autant de questions qui restent encore en suspens. Si les animaux sauvages, domestiques ou d’élevage réagissent différemment face à la mort, « il y a fort à parier qu'au moins la peur et la tristesse leur sont communes », reconnaît toutefois la chercheuse.

« Les animaux comprennent la mort bien plus qu’on ne le pense », poursuit la spécialiste. « Leurs comportements face à la mort est une preuve de plus de leur complexité tant cognitive qu’émotionnelle. Constater leur détresse est bouleversant. Il est urgent de changer nos attitudes à leur égard. […] Je suis convaincue que d’avoir sous-estimé leurs émotions, leurs capacités à souffrir physiquement et psychiquement, a favorisé les actes de maltraitance voire de cruauté ».

 

QUID DE LEUR PROPRE MORT ?

« S’ils ont conscience de la mort de l’autre, pourquoi n’auraient-ils pas les moyens cognitifs de comprendre que cela peut s’appliquer à eux ? », interroge Emmanuelle Pouydebat. « Pour ce dernier point, impossible d’en être sûr… Il est difficile de savoir s’ils savent qu’ils sont vivants et donc mortels. C’est une question à la fois biologique et philosophique ».

La scientifique évoque les observations de la primatologue Jane Goodall. Dans la réserve de Gombe, en Tanzanie, elle a décrit dans les années 1970 le comportement bouleversant de Flint, un jeune chimpanzé très proche de sa mère Flo. À la mort de celle-ci, Flint s’est isolé, a cessé de s’alimenter et a fini par mourir quelques semaines plus tard. « Quand le chimpanzé Flint a arrêté, probablement de chagrin, de se nourrir après la mort de sa mère Flo, savait-il qu’il allait mourir et donc arrêter de vivre ? On ne le saura jamais mais pourquoi ne pas supposer que oui ? Qu’il ne voulait plus vivre sans elle et qu’il en avait conscience ? Pourquoi pas ? », se questionne-t-elle.

les plus populaires

    voir plus
    Jane Goodall observe le jeune chimpanzé Flint, à la fenêtre, jouer dans son campement à Gombe. ...

    Jane Goodall observe le jeune chimpanzé Flint, à la fenêtre, jouer dans son campement à Gombe. Il fut le premier chimpanzé qu'elle étudia de la petite enfance à l'âge adulte. Attaché de manière inhabituelle à sa mère, Flo, tout au long de son enfance, il mourut en 1972 à l'âge de huit ans, un mois seulement après sa mère.

    PHOTOGRAPHIE DE Hugo Van Lawick, Nat Geo Image Collection

    Si le cas de Flint illustre une forme de détresse émotionnelle face à la perte, d’autres comportements laissent penser que certains animaux perçoivent aussi l’approche de leur propre mort. « Un animal se sentant très faible s’isole, pour ne pas se faire attraper par un prédateur. Sent-il qu’il va mourir ? Je pense que c’est possible, même si on ne le saura sans doute jamais », souligne Emmanuelle Pouydebat. « Pour la petite anecdote, notre rate Savonnette n’avait jamais eu le comportement qu’elle a eu le jour où je l’ai emmenée se faire piquer chez le vétérinaire pour abréger ses souffrances. Jamais elle ne s’était blottie à ce point contre moi comme elle l’a fait. Je pense que beaucoup de personnes ayant eu des animaux domestiques ont vécu plein de choses dans ce genre. Et ce n’est pas la spécificité des animaux domestiques », confie-t-elle.

    Enfin, parmi les comportements les plus étonnants observés chez les animaux figure la thanatose, ou le simulacre de la mort, cette capacité qu’ont certaines espèces à simuler leur propre mort pour échapper à un prédateur. « La thanatose varie selon l’individu, s’il est seul ou en groupe, s’il est en forme ou pas, s’il peut se cacher ou pas, fuir ou pas, etc. C’est un comportement fascinant bien plus complexe qu’on ne le pensait avant. Cela nous rappelle aussi que la peur est une émotion fondamentale qui permet de réagir pour survivre et tenter d’éviter le danger », souligne la biologiste.

    les plus populaires

      voir plus
      loading

      Découvrez National Geographic

      • Histoire
      • Santé
      • Animaux
      • Sciences
      • Environnement
      • Voyage® & Adventure
      • Photographie
      • Espace

      À propos de National Geographic

      S'Abonner

      • Magazines
      • Livres
      • Disney+

      Nous suivre

      Copyright © 1996-2015 National Geographic Society. Copyright © 2015-2025 National Geographic Partners, LLC. Tous droits réservés.