Sécheresse extrême au Kenya : la faune en danger

Alors que la sécheresse continue d'accabler la Corne de l'Afrique, des communautés s'unissent pour protéger les animaux sauvages de ce phénomène dramatique, mais aussi des habitants de la région qui les perçoivent comme des menaces.

De Neha Wadekar
Publication 5 mai 2022, 16:17 CEST
Des rangers du Kenya Wildlife Service se préparent à déplacer le corps d’une girafe à Lagboqol, ...

Des rangers du Kenya Wildlife Service se préparent à déplacer le corps d’une girafe à Lagboqol, dans le comté de Wajir, au nord-est du Kenya. La girafe est morte en novembre dernier après s’être enlisée dans la boue alors qu’elle tentait de trouver de l’eau dans ce réservoir presque asséché.

PHOTOGRAPHIE DE Ed Ram

COMTÉ DE WAJIR, KENYA - Les hommes assis dans le camion de safari étaient silencieux et tendus lorsqu’ils se sont arrêtés près de leur cible. Une jeune girafe mâle se tenait à l’ombre sous un grand arbre, cherchant à se protéger du soleil inhabituellement écrasant de ce mois de mars. En entendant les pneus rouler sur des buissons d’épines secs, elle a tendu son long cou et a dressé ses oreilles.

L’homme assis sur le siège passager a pointé son arme et a appuyé sur la gâchette, touchant la girafe en plein dans le flanc. Le groupe a poussé un cri de joie en voyant l’animal tressaillir.

Un homme sur le siège arrière a réglé le minuteur de sa montre. « Sept minutes avant qu’elle ne tombe », a-t-il chuchoté.

La girafe a vacillé puis s’est enfuie à toute vitesse en direction d’une clairière. Un rondin de deux mètres attaché à sa patte arrière par un fil électrique traînait derrière elle. Les hommes, une équipe de vétérinaires du gouvernement et d’une association de protection de la nature, étaient là pour l’endormir et retirer le piège posé par des braconniers. S’ils ne le faisaient pas, des prédateurs humains ou animaux auraient probablement tué la girafe cette nuit-là.

Un marabout se perche sur un arbre près de Lagboqol. Les marabouts sont des charognards et suivent fréquemment les vautours pour trouver de la nourriture. Le nombre de charognards dans la région s’est effondré, conséquence indirecte de la sécheresse. La soif et la faim ont poussé les prédateurs à se rapprocher des villes, et les gens ont réagi en répandant du poison qui tue non seulement les espèces qu’ils visent, mais aussi les oiseaux et autres créatures qui se nourrissent de leurs carcasses.

PHOTOGRAPHIE DE Ed Ram

L’équipe s’est précipitée sur la girafe et a ligoté ses jambes avec un lasso ; elle est tombée sur le côté. Un vétérinaire s’est accroupi près de la tête de la girafe et l’a maintenue au sol, couvrant les grands yeux bruns et les longs cils de l’animal avec une serviette. L’autre vétérinaire s’est chargé de couper le fil électrique à l’aide d’une pince coupante. Pendant qu’ils travaillaient, les hommes d’un village voisin les encerclaient, versant de l’eau fraîche sur le corps de la girafe pour la protéger de la chaleur.

Cela n'a pris que quelques minutes. Les vétérinaires ont administré l’antidote au tranquillisant et ont crié à la foule de se dissiper. Ils ont relevé la tête de la girafe et l’ont aidée à se relever. Elle a regardé autour d’elle, comme si elle était surprise de voir tant de personnes s’agiter. Puis elle s’est dirigée vers un arbre voisin, a levé la tête et a commencé à manger.

Au cours des trente-cinq dernières années, la population de girafes réticulées, une espèce qui vit aujourd’hui presque exclusivement dans le nord du Kenya, est passée de 36 000 à moins de 16 000 individus, soit une baisse de 56 %. En 2018, elle a été classée comme une espèce menacée par l’Union internationale pour la conservation de la nature. Un très grand nombre de girafes ont été tuées, en grande partie à cause de décennies de conflits tribaux pour les terres et les ressources, de la violence de l’organisation terroriste al-Shabaab établie en Somalie, mais aussi, et c’est peut-être la raison la plus urgente, du changement climatique, qui a accéléré la perte des habitats et augmenté le braconnage dans la région.

La Corne de l’Afrique a connu trois saisons consécutives de faibles précipitations causées par le changement climatique. Une mauvaise saison des pluies supplémentaire fera de cette sécheresse la plus longue que la région ait connue depuis environ quarante ans. Près de 20 millions de personnes ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence, car les récoltes sont mauvaises et le bétail meurt. Selon les experts du climat, même une saison des pluies moyenne ne suffirait pas à réparer les dégâts de ces dernières années.

Yussuf et Abdullahi Ali, biologiste de la conservation, participent à une réunion communautaire dans la banlieue de Garissa, d’où Ali est originaire. Ici, hommes et femmes se sont réunis sous un acacia pour discuter de l’importance de la faune, de la conservation et de la protection des animaux contre le braconnage.

PHOTOGRAPHIE DE Ed Ram

« La sécheresse est une catastrophe qui s’insinue lentement, mais qui a de graves conséquences », explique Jully Ouma, climatologue au centre de prévisions et d’applications climatiques de l’Igad à Nairobi. « Il faut du temps pour s’en remettre. »

Aujourd’hui, les comtés de Garissa, Wajir et Mandera, au nord-est du pays, sont recouverts de poussière rouge. Les buissons et les arbres sont morts, et l’air sent la chair pourrie des carcasses de chèvres, de chameaux et d’ânes qui se sont effondrés le long des routes, affamés et assoiffés.

La sécheresse ne fait pas de distinction entre le bétail et les animaux sauvages. Mais à bien des égards, les animaux sauvages sont beaucoup plus vulnérables à ses effets que leurs cousins domestiqués. « Pour le bétail, les humains peuvent se déplacer avec les animaux et les diriger vers les endroits où ils pensent trouver des pâturages et de l’eau, mais les animaux sauvages doivent survivre par eux-mêmes », explique Ouma.

Le changement climatique frappe les animaux sauvages de la région sur plusieurs fronts. Il exacerbe les conflits entre les humains et la faune, et la destruction des habitats, car les éleveurs qui sont traditionnellement nomades perdent leur bétail et s’installent dans ce qui était autrefois l’habitat de la faune sauvage. Le braconnage s’intensifie, car les habitants et les réfugiés tuent des animaux pour éliminer la concurrence pour des ressources rares, pour se nourrir et nourrir leur famille, ou pour vendre leur viande afin d’en recolter de petits revenus supplémentaires. La faune sauvage est également plus directement touchée, car les animaux meurent tout simplement de la chaleur extrême et impitoyable ainsi que du manque de nourriture et d’eau.

Les défenseurs locaux de la faune créent des conservatoires communautaires dans tout le nord-est du Kenya afin de protéger les espèces uniques de la région, notamment la girafe réticulée, l’hirola qui est en danger critique d’extinction, le zèbre de Grévy en voie d’extinction, et l’autruche de Somalie. Mais sans intervention à grande échelle pour enrayer cette destruction due au changement climatique, les générations futures n’auront peut-être jamais l’occasion de vivre parmi ces animaux rares.

Photographie aérienne montrant des girafes au crépuscule près de Garissa, alors qu’elles se déplacent pour aller chercher de l’eau.

PHOTOGRAPHIE DE Ed Ram

LA NAISSANCE DE LA NECA

En 2011, Sharmake Yussuf, 48 ans, roulait sur l’autoroute M1 entre Londres et Sheffield lorsqu’il a reçu un appel de sa belle-mère dans le comté de Wajir, au Kenya.

Yussuf, un Kenyan-Somalien qui travaillait comme ingénieur système au Royaume-Uni depuis vingt ans, avait acheté quelques chameaux, très appréciés dans la culture somalienne, plusieurs mois auparavant. La belle-mère de Yussuf l’a informé qu’un lion avait tué et mangé l’un de ses précieux animaux. Pas de chance, s’est dit Yussuf avant de chasser l’incident de son esprit.

Le lendemain, sur le chemin du retour vers Londres, la belle-mère de Yussuf a rappelé. Elle avait empoisonné la carcasse du chameau, lui a-t-elle dit fièrement, et le lion était mort d’une mort atroce lorsqu’il était revenu pour finir son repas. Yussuf était furieux. Pour lui, le lion était bien plus précieux que le chameau. Mais les abattages par vengeance ont toujours fait partie de la culture pastorale somalienne : un moyen de s’assurer que les prédateurs tels que les lions, les hyènes et les guépards s’en tiennent à manger des animaux sauvages et ne prennent pas goût au bétail.

« J’ai réalisé comment ma communauté percevait la vie sauvage, et j’ai pris la décision d’essayer de faire quelque chose au sein de ma communauté pour changer sa vision de la conservation », explique Yussuf. Il est retourné au Kenya quelques mois plus tard et s’est alors aperçu de la rareté des zones de conservation et des réserves dans le nord-est du pays. Même les vétérinaires qui étaient venus secourir le jeune mâle girafe avaient fait le chemin depuis Nairobi, à plus de 300 kilomètres de là, et Meru, à environ 140 kilomètres.

Un véhicule traîne le corps de la girafe trouvée dans le réservoir asséché du comté de Wajir, suivi de près par les rangers du Wildlife Service. Ceux-ci pensent que la girafe est morte quelques semaines auparavant, déjà affaiblie par la faim et la déshydratation avant de s’enliser dans la boue. Déplacer le corps de la girafe permet d’éviter à la boue d’être contaminée.

PHOTOGRAPHIE DE Ed Ram

Le nord-est du Kenya, longtemps considéré par la capitale Nairobi comme une région rebelle et gênante, a bénéficié de relativement peu d’investissements publics dans les infrastructures et le développement depuis son indépendance du régime colonial britannique en 1963. Cette situation a rendu les communautés de cette région particulièrement vulnérables aux effets de la sécheresse et à une compétition accrue pour des ressources rares, ce qui a nui aux relations autrefois pacifiques entre les humains et la faune sauvage.

En raison de l’instabilité de la région, on pensait généralement que la faune sauvage était peu abondante dans le nord-est du pays. Mais en 2021, lors du tout premier recensement national de la faune sauvage au Kenya, des pilotes d’avion effectuant des relevés dans les comtés de Garissa, Wajir et Mandera ont découvert 6 000 girafes réticulées, soit plus d’un tiers de la population mondiale restante, 302 zèbres de Grévy et 14 lions.

Yussuf était déterminé à trouver un moyen d’aider les gens à vivre en harmonie avec cette faune, plutôt que de les considérer comme une menace. Il s’est tourné vers la conservation communautaire, considérée comme l’une des formes de protection les plus efficaces. Le territoire sous la responsabilité des rangers professionnels est bien trop vaste pour être entièrement surveillé, donc lorsque la communauté décide de s’unir pour protéger la faune, le résultat est particulièrement efficace. Les communautés mettent de côté des terres pour les animaux sauvages et, en retour, des zones de pâturage spécifiques sont désignées pour le bétail. La présence d’une faune abondante est également une promesse de revenus de la part des touristes étrangers.

Cependant, persuader les communautés de partager leurs terres avec les animaux sauvages n’est pas chose aisée. Les éleveurs craignent souvent que la conservation ne se traduise par une augmentation du nombre de prédateurs qui menacent leur bétail, et que la clôture de certaines zones ne les empêche d’y faire paître leurs vaches, leurs chèvres et leurs chameaux. L’accès aux pâturages a toujours fait l’objet de débats animés entre les pasteurs et les défenseurs de l’environnement.

Des chameaux s’abreuvent dans un point d’eau près du conservatoire de Sabuli, une zone de terre de 206 000 hectares fondée en 2018 et désormais gérée par trente rangers. Comme dans d’autres conservatoires communautaires de la région, des terres destinées au pâturage du bétail ont été mises de côté afin de réduire la compétition pour les ressources entre la faune sauvage et les animaux domestiques.

PHOTOGRAPHIE DE Ed Ram

Yussuf, large d’épaules et très élégant même sous la chaleur accablante, affiche un sourire éclatant et une énergie inépuisable pour militer pour la protection de la faune sauvage dans la communauté somalienne. Pendant sept ans, il a sensibilisé les anciens et les imams, les fonctionnaires locaux et les habitants de la communauté à la responsabilité qui leur incombe de prendre soin de ces animaux. Il aurait été inutile de poursuivre son projet sans leur bénédiction.

« Je suis allé d’un village à l’autre, d’une tribu à l’autre, d’un sous-clan à l’autre », dit-il. 

Sa persévérance a payé et, en 2018, il a formé l’organisation Sabuli Wildlife Conservancy, et plus de 206 000 hectares sont désormais protégés par une équipe de trente rangers. L’année dernière, Yussuf a fondé l’Association des conservatoires du nord-est (NECA) qui réunit Sabuli et sept autres conservatoires qui couvrent près de 800 000 hectares. Dix-huit autres conservatoires ont été proposés, ce qui porterait la superficie totale des terres protégées à plus de deux millions d’hectares.

 

UNE COHABITATION DIFFICILE 

Tout près de la ville de Garissa, des maisons apparaissent de part et d’autre de la route principale. La population kenyane a été multipliée par presque sept depuis les années 1960 et, alors que les sécheresses frappent avec une fréquence et une intensité de plus en plus élevées, les éleveurs nomades abandonnent leur mode de vie traditionnel pour s’installer dans des villages.

Des femmes ramènent des barils d’eau en ville après l’avoir recueillie dans un réservoir du conservatoire de Sabuli. Une mauvaise saison des pluies supplémentaire fera de cette sécheresse la plus longue que la région ait connue depuis quarante ans.

PHOTOGRAPHIE DE Ed Ram

Chaque soir, quand le soleil se couche sur le fleuve Tana, les girafes quittent leurs pâturages à l’est pour traverser la route principale afin de s’abreuver. Ce qui était autrefois un couloir de migration traditionnel est désormais bloqué par de hauts murs de béton, et les girafes marchent de parcelle en parcelle à la recherche d’une ouverture. Lorsqu’elles en trouvent une, elles se précipitent en groupe sur la route, se méfiant des voitures et des motos qui roulent à toute allure.

« Pendant la journée, elles donnent une chance aux humains d’utiliser la rivière, et elles s’éloignent », explique Abdullahi Ali, explorateur National Geographic et biologiste de la conservation né à Garissa et spécialisé dans les girafes réticulées et les hirolas. « Le soir, elles doivent revenir. » (Ali a remporté le prix National Geographic/Buffett pour son leadership en matière de conservation en 2021.)

Ali craint que, un jour, toute cette zone soit clôturée et que les girafes soient complètement chassées de leur habitat ancestral. « Ce serait une catastrophe immense. Pouvez-vous imaginer un monde sans girafes ? » demande-t-il.

Des rangers du Kenya Wildlife Service attrapent et endorment une girafe aux environs de Garissa, durant le mois de mars. La girafe avait été prise dans un piège tendu par des braconniers et, sans aide, elle aurait sans doute été tuée rapidement par des humains ou des prédateurs. Les braconniers tendent des pièges aux girafes afin d’éliminer la concurrence pour des ressources rares et de vendre leur viande pour obtenir un revenu supplémentaire.

PHOTOGRAPHIE DE Ed Ram

Le fleuve Tana permet d’irriguer quelques fermes près de Garissa où sont cultivés des haricots, des mangues et d’autres cultures qui sont essentiels pour la survie de la population locale. Avec l’intensification de la sécheresse, les girafes ont commencé à s’aventurer dans ces fermes durant la nuit, bravant ainsi la possibilité d’une interaction avec un humain pour trouver de l’eau. Elles piétinent ainsi les cultures, ce qui a incité les agriculteurs à commencer à patrouiller dans leurs champs avec des machettes et des bouteilles cassées. Lorsqu’ils rencontrent une girafe assoiffée et sans méfiance, ils lui tailladent les pattes.

« Soit vous vous occupez des girafes, soit nous le ferons », a déclaré Habiba Bilow, 45 ans, pour mettre en garde les défenseurs de l’environnement. Elle envisage d’abandonner sa ferme à cause des destructions causées par les girafes.

Le Kenya Wildlife Service indemnise les éleveurs lorsqu’ils perdent leurs animaux à cause des prédateurs, mais certains attendent des années avant de recevoir cet argent. Ils trouvent donc d’autres moyens de se venger. L’année dernière, à Sabuli, un lion a tué deux vaches en lactation, ce qui a incité les habitants furieux à empoisonner l’une des carcasses. Lorsque le lion est revenu finir son repas le lendemain, il est devenu aveugle, et les habitants l’ont lapidé à mort.

Des incidents de ce type causent également la mort de vautours et d’oiseaux charognards, qui débarassent les restes des animaux tués. Aujourd’hui, la plupart de ces oiseaux ont été tués par ces empoisonnements accessoires. Le ciel est vide au-dessus de la région.

 

LE BRACONNAGE

Yussuf est à Garissa lorsqu’il apprend que des braconniers sont apparus dans le conservatoire de Sabuli au mois de mars. C’est à environ une heure de route du camp de Dadaab, qui abrite plus de 218 000 réfugiés, principalement somaliens et qui ont fui les conflits, la sécheresse et la famine dans leur pays. Ici, les jeunes réfugiés n’ont guère d’autres moyens que la chasse et la collecte de bois à brûler pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles.

Yussuf estime que, en 2021, soixante-trois girafes ont été tuées par des braconniers dans le nord-est du pays. En mars 2022, sur une période de cinq jours, des réfugiés ont tué trois girafes à Sabuli et dans ses environs, probablement pour vendre leur viande dans les étals des bouchers du camp et de l’autre côté de la frontière, en Somalie.

Certains réfugiés apportent également des charrettes d’ânes dans les zones protégées pour y chercher du bois à brûler à vendre. Le voyage à pied prend près d’une semaine, et ils chassent souvent le dik-dik et d’autres petits gibiers pour se nourrir pendant leur voyage.

Un ranger verse de l’eau fraîche sur le corps de la girafe tandis qu’un autre l’aide à se relever. Pour aider l’animal, l'équipe l’a endormie avec une fléchette tranquillisante, puis a retiré le piège métallique de sa patte à l’aide d’une pince coupante.

PHOTOGRAPHIE DE Ed Ram

Yussuf a organisé une patrouille anti-braconnage avec des rangers du Kenya Wildlife Service de Wajir, la police locale et les rangers de la communauté de Sabuli. Une fois armés et prêts, la caravane de véhicules se met en route, empruntant des routes poussiéreuses et accidentées qui se transforment progressivement en chemins étroits et sinueux. Ils finissent par tomber sur un groupe de sept jeunes hommes qui se détendent sous un arbre, cherchant un répit de la chaleur qui s’élève à 38 °C. Chacun d’entre eux a une charrette à âne remplie de bois à brûler sur trois mètres de hauteur.

Les rangers sautent de la voiture et rassemblent les jeunes hommes en les menaçant. Ils les fouillent et découvrent plusieurs couteaux de chasse aiguisés et dentelés, ainsi qu’un sac de nourriture couvert de sang. Plus bas, sur la route, ils trouvent les pattes frêles et fragiles d’un dik-dik presque entièrement dévoré.

Les rangers envisagent de brûler tout le bois pour donner une leçon aux jeunes hommes, mais ne passent pas à l’acte. Les conditions de sécheresse pourraient provoquer des feux de forêt incontrôlables. Au lieu de cela, ils renversent les charrettes, déversant sur le sol le résultat de cinq jours de travail. Lorsque les rangers seront partis, les réfugiés ramasseront chaque rondin et les remettront dans les charrettes. Ils ont loué ces véhicules à des hommes d’affaires de Dadaab et ne peuvent pas risquer de se présenter les mains vides.

 

LES MORTS S’ACCUMULENT

Ali Gedi, 50 ans, éleveur de chèvres et père de dix enfants, se souvient de l’époque où le changement climatique ne ravageait pas cette terre.

« Quand j’étais enfant, je voyais des éléphants », se souvient-il.

Mais les éléphants ont quitté le nord-est du Kenya il y a longtemps, chassés par le braconnage et la destruction des habitats, et les habitants de la région ont souffert de leur perte. Les éléphants piétinaient les broussailles avec leurs pieds plats et massifs, créant ainsi des prairies où les chèvres et les antilopes pouvaient paître côte à côte.

« Nous avons perdu beaucoup d’avantages quand les éléphants sont partis », confie Gedi. « Nous ne laisserons pas la même chose arriver aux girafes. »

Gedi est originaire d’Eyrib, une ville à l’extérieur de Wajir qui dépend de plusieurs grands réservoirs construits par le gouvernement dans les années 1980. Mais durant les derniers mois de 2021, la majorité d’entre eux se sont quasiment asséchés à cause de la sécheresse extrême actuelle. Depuis, les girafes, qui ne parviennent pas à trouver d’autres sources d’eau, se déplacent pour boire dans les petites flaques boueuses qui demeurent au centre des énormes réservoirs.

Le bois à brûler récolté et coupé dans les arbres est empilé sur des charrettes tirées par des ânes dans le conservatoire de Sabuli. Les réfugiés du camp voisin de Dadaab apportent souvent des charrettes d’ânes dans les zones protégées pour y chercher du bois à brûler qu’ils peuvent vendre. Le voyage à pied prend près d’une semaine, et ils chassent souvent le dik-dik et d’autres petits gibiers pour se nourrir pendant leur trajet. Dadaab accueille plus de 218 000 réfugiés, principalement somaliens, qui ont fui les conflits, la sécheresse et la famine dans leur pays.

PHOTOGRAPHIE DE Ed Ram

En novembre de l’année dernière, les rangers du Kenya Wildlife Service ont reçu un appel. Sept girafes étaient coincées dans la boue du réservoir. Certaines étaient déjà mortes, et d’autres étaient trop faibles pour réussir à en sortir seules. Les rangers se sont précipités sur les lieux, mais les animaux restants, effrayés et agonisants, sont morts avant leur arrivée.

Les rangers ont attaché les girafes mortes à des camions et ont sorti leurs corps de la boue pour éviter à l’eau d’être contaminée. Ils ont disposé leurs corps en cercle : une déclaration publique sur les conséquences que le changement climatique aura sur les animaux sauvages du monde, à moins que les humains n’agissent rapidement.

Au total, plus de 215 girafes de la région sont mortes de la sécheresse entre août 2021 et janvier de cette année, estime Yussuf.

Deux girafes attendent pour traverser la route principale à la périphérie de Garissa, à la recherche d’eau de l’autre côté. Il s’agissait autrefois d’un couloir de migration très fréquenté mais, aujourd’hui, des maisons s’élèvent de part et d’autre de la route principale, car la sécheresse oblige les gens à quitter les zones rurales pour se rapprocher de la ville. De hauts murs de béton entourent la route sur de longs tronçons, obligeant les girafes à s’écarter de leurs sentiers habituels pour trouver des passages.

PHOTOGRAPHIE DE Ed Ram

Une trentaine d’hirolas ont également été tués pendant cette sécheresse. Il ne reste qu’environ 500 de ces créatures timides et sensibles dans le monde, de sorte que ces décès représentent près de 6 % de la population totale.

« Personne ne connaît la situation critique à laquelle fait face l’hirola », déclare Ali, le plus grand spécialiste mondial de ce bovidé. « S’ils ne sont pas charismatiques, ils ne rapportent pas d’argent au gouvernement grâce au tourisme, alors personne ne s’en soucie. »

Les défenseurs de l'environnement et le gouvernement ont déployé des efforts pour atténuer les dégâts causés par le changement climatique, et ceux-ci ont porté leurs fruits. En septembre dernier, trois braconniers ont été arrêtés avec deux voitures remplies de viande de girafe alors qu’ils se dirigeaient vers le passage frontalier avec la Somalie. S’en est suivi un procès accéléré à Wajir, et deux d’entre eux ont été condamnés à six ans de prison, soit trois ans de plus que la peine requise. Pour Yussuf, qui continue à se battre au nom des animaux sauvages qui ne peuvent pas se battre pour eux-mêmes, le verdict était le bienvenu.

La veille de son retour à Nairobi, Yussuf a rencontré trois hommes originaires d’autres régions du comté de Wajir qui souhaitaient créer de nouveaux conservatoires. La Jima Conservancy a été créée en tant qu’organisation communautaire à l’est du comté, et les hommes travaillent pour l’inclure dans le cadre de la NECA. Yussuf s’est assis avec eux pendant près de deux heures pour leur expliquer chaque étape qu’ils doivent effectuer s’ils veulent parvenir à protéger leurs terres et les animaux qui s’y trouvent.

« Si vous faites cela pour l’argent… il n’y en a pas », leur dit Yussuf. « Nous faisons cela pour les générations futures. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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