Arctique : les États-Unis ouvrent une réserve naturelle à l’exploration pétrolière

Le 20 décembre dernier, le congrès américain a adopté une loi autorisant le développement pétrolier et gazier de l’Arctic National Wildlife refuge, l’une des plus vastes réserves naturelles d’Alaska.

De Rédaction National Geographic
Deux bœufs musqués baguenaudent dans un paysage vierge de toute trace humaine. Les monts Sadlerochit se ...
Deux bœufs musqués baguenaudent dans un paysage vierge de toute trace humaine. Les monts Sadlerochit se dressent au loin. L'Arctic National Wildlife Refuge est l'une des plus vastes aires protégées des États-Unis, et l'un des endroits les plus sauvages de la Terre... jusqu'à présent.
PHOTOGRAPHIE DE Florian Schulz

Le petit avion à hélice a tangué en quittant la piste de graviers, a survolé le village de Kaktovik, et s’est bientôt réduit à un point jaune au-dessus de la mer brune de la toundra – un recoin d’Alaska qui est peut-être le terrain le plus controversé des États-Unis.

Pendant des millénaires, la plaine côtière de ce qui est devenu l’Arctic National Wildlife Refuge (réserve naturelle nationale de l’Arctique) a vu transhumer des hardes de rennes, estiver des nuées d’oiseaux migrateurs, hiverner des ours blancs et chasser les autochtones alaskans.

Mais son sous-sol recèlerait environ 7,7 milliards de barils de pétrole, et c’est là tout le problème. Le Congrès américain a voté la création de la réserve de 78 000 km2 en 1980. Le monde affrontait alors son second choc pétrolier en moins de dix ans.

Les législateurs se sont donc laissé la possibilité de trancher plus tard sur le sort d’une zone de 6 070 km2 de la plaine côtière, potentiellement riche en pétrole. Depuis, le débat sur son utilisation n’a jamais cessé. « Lors de ma première visite ici, au début des années 1970, c’était un pays sans limites, m’a dit le pilote Pat Valkenburg, biologiste en retraite du Département de la chasse et de la pêche de l’Alaska. Maintenant, dès que la presse évoque la réserve, ça fait débarquer des flopées de gens. »

Le vol avec Valkenburg remonte à 2005 mais, récemment, les médias ont beaucoup parlé de la réserve de l’Arctique. En près de quarante ans, les républicains ont tenté une douzaine de fois de l’ouvrir à l’exploration pétrolière. Puis, l’an passé, Lisa Murkowski, sénatrice de l’Alaska, a glissé un amendement autorisant les forages dans le projet de loi fiscale voté par son parti.

Les forages n’interviendront pas avant de nombreuses années, affirment les experts. Mais l’actuel gouvernement des États-Unis souhaite ardemment procéder à la vente de deux concessions prévue par la nouvelle loi. Une fois levés les divers obstacles réglementaires et légaux, l’Alaska et le gouvernement fédéral envisagent de se partager la recette, soit 2,2 milliards selon le bureau du Budget du Congrès des Etats-Unis – une estimation plus qu’optimiste si l’on se fonde sur les prix récents des concessions.

Or l’Alaska court après l’argent, car cet État ne prélève ni TVA ni impôt sur le revenu. L’industrie pétrolière et gazière finance 90 % de son budget (et verse un dividende de 1 000 dollars par an à chaque Alaskan), notamment grâce à une taxe sur l’acheminement du pétrole du North Slope via le pipeline trans-Alaska.

Mais, depuis la chute des cours du pétrole, en 2014, le déficit budgétaire de l’État se chiffre en milliards de dollars. Plus inquiétant, malgré un rebond récent, la quantité de pétrole qui transite par le pipeline diminue régulièrement depuis 1988. En 2012, un rapport de l’Agence d’information sur l’énergie des Etats-Unis (USEIA) estimait que, si les prix restent bas, le pipeline fermera d’ici à 2026. Plus d’un tiers des 300 000 emplois du secteur privé en Alaska dépendent du pétrole et du gaz.

À l’ouest de l’Arctic National Wildlife Refuge, la réserve nationale de pétrole de l’Alaska (NPR-A) et des terres publiques limitrophes sont déjà ouvertes à l’exploration. De nouvelles découvertes portent les capacités estimées de la zone à 8,7 milliards de barils de pétrole récupérable – 1 milliard de plus que dans la réserve naturelle de l’Arctique. Les politiciens de l’Alaska ont peut-être terriblement besoin du pétrole. Mais, dans le reste du pays, aujourd’hui inondé de pétrole et de gaz de schiste, le rapport coût-bénéfice des forages dans ce territoire reculé est perçu différemment.

« C’est la question qui tue, analyse Mouhcine Guettabi, économiste à l’université de l’Alaska, à Anchorage. Quel bien-être faut-il optimiser ? Faut-il considérer la valeur que chaque citoyen américain accorde à la nature sauvage ? Ou bien le seul intérêt des Alaskans ? » « Il n’existe rien de comparable en Europe, même de loin, s’extasie le photographe allemand Florian Schulz. C’est l’un des derniers paysages authentiquement vierges. » Il a consacré une bonne partie des quatre dernières années à explorer la réserve de l’Arctique : 78 000 km2 d’un écosystème intact, depuis la taïga du Sud, en passant par les escarpements et prairies alpines de la chaîne de Brooks, et jusqu’aux vallonnements de la toundra qui plonge en mer de Beaufort.

Seules quelques cabanes éparses révèlent la main de l’homme. La rivière Canning marque la frontière de la réserve naturelle. Le contraste est frappant : sur l’autre rive s’étend Point Thomson, le champ gazier d’ExxonMobil, avec ses 120 ha de lits de graviers, ses bâtiments et réservoirs en acier, ses quais, sa piste d’atterrissage et ses 18 km de routes. Un pipeline file vers l’ouest et le brouillard marron suspendu à l’horizon au-dessus de Prudhoe Bay, le centre industriel du North Slope.

Alors que notre avion virait au-dessus de la Canning, en 2005, Pat Valkenburg m’a désigné des taches brunes qui, bien vite, sont devenues des troupeaux de rennes épars. Nous avons survolé les contreforts des monts Sadlerochit. D’un coup, des dizaines de milliers de rennes sont apparus devant une étroite vallée, baignés par la lumière dorée du soleil arctique. Aujourd’hui, cette harde dite « de la rivière Porcupine » compte 218 000 têtes – un record. Plus de la moitié de ses femelles mettent bas dans la réserve.

Cet article a été publié dans le numéro de juin 2018 du magazine National Geographic.

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