Les forêts d'algues, un outil efficace contre le changement climatique

La récolte des algues marines puis le dépôt des plantes arrivées à maturité sur le plancher océanique serait une méthode efficace de lutte contre le réchauffement. Alors pourquoi ne le faisons-nous pas ?

De Todd Woody
Publication 5 sept. 2019, 14:45 CEST
Ce mélange de varech, mousse d'Irlande et laitue de mer a été récolté au large du ...
Ce mélange de varech, mousse d'Irlande et laitue de mer a été récolté au large du Maine, aux États-Unis.
PHOTOGRAPHIE DE Rebecca Hale, Nat Geo Image Collection

À l'heure où l'Amazonie brûle, il devient de plus en plus intéressant de cultiver des forêts capables d'absorber le carbone émis par notre planète en réchauffement qui ne soient pas soumises au danger du feu.

Ce type de forêts ne peut exister que sous l'eau.

De plus en plus d'études documentent les bienfaits de l'algoculture dans la lutte contre le changement climatique à l'heure où la déforestation décime les forêts pluviales et d'autres puits de carbone essentiels. Les jungles océaniques de varech et d'autres microalgues poussent à un rythme effréné et sont très efficaces pour stocker du carbone. Les algues marines contribuent également à limiter l'acidification, la désoxygénation et les autres impacts marins du réchauffement climatique qui menacent la biodiversité des océans et la source de revenus et de nourriture de centaines de millions d'individus.

« Les algues obtiennent enfin l'intérêt qu'elles méritent, » déclare Halley Froehlich, scientifique de la vie marine à l'université de Californie à Santa Barbara.

Elle est l'auteure principale d'une nouvelle étude dans laquelle elle quantifie pour la première fois la capacité globale de l'algoculture à grande échelle pour contrebalancer les émissions terrestres de carbone et cartographie les régions propices au développement de la culture des macroalgues.

D'après les chiffres de l'article publié dans la revue Current Biology, la mise en place de l'algoculture sur seulement 3,8 % des eaux fédérales au large de la Californie pourrait neutraliser les émissions dégagées par l'industrie agricole de l'état évaluée à 50 milliards de dollars. Une aubaine en sachant que cette superficie ne représente que 0,065 % de la surface océanique mondiale exploitable pour l'algoculture.

L'algoculture est déjà pratiquée à une échelle restreinte en vue d'une utilisation dans l'alimentation, les produits pharmaceutiques et les cosmétiques. La proposition des scientifiques concerne cette fois la création de fermes à l'échelle industrielle destinées à cultiver les algues jusqu'à maturité, les récolter puis les enfouir dans les profondeurs de l'océan où le dioxyde de carbone qu'elles ont absorbé sera confiné pour des centaines de milliers d'années.

Ils ont découvert que la culture des macroalgues sur seulement 0,001 % des eaux propices à l'algoculture du monde entier puis leur enfouissement en mer pourrait contrer l'ensemble des émissions de carbone d'un secteur industriel à forte croissance comme l'aquaculture, qui fournit à elle seule la moitié des aliments en provenance de la mer. Dans sa conclusion, l'étude annonce une superficie océanique totale compatible avec l'algoculture de 47,9 millions de km².

 

PAS SI VITE

« Nous ne disposons pas encore de la technologie » qui nous permettra de séquestrer les algues dans les profondeurs de l'océans, révèle Froehlich. « Avec un peu de chance, cet article déclenchera le débat entre les ingénieurs et les économistes autour des moyens nécessaires pour que ce mécanisme devienne réalité. »

Carlos Duarte est un scientifique spécialiste des algues marines pour le Red Sea Research Center d'Arabie Saoudite et il a eu l'occasion de participer à une présentation des résultats de l'étude en avril.

« Cette nouvelle étude vient s'ajouter à de précédentes recherches et estimations mondiales qui attestent du potentiel de l'algoculture dans l'atténuation du changement climatique, » nous informe-t-il par e-mail, en précisant qu'il n'a pas relu le rapport final. « Je pense que ces estimations restent très raisonnables et que le potentiel réel est bien plus élevé, si les cultures sont correctement entretenues. » 

Cependant, Duarte s'oppose à l'enfouissement des algues marines.

« Les algues marines sont un matériau très précieux et il existe d'autres méthodes qui permettraient également de réduire le changement climatique et qui seraient plus utiles que leur séquestration dans les profondeurs océaniques, » explique-t-il.

Et c'est également l'avis de Froelhich et des autres écologistes de la vie marine qui surnomment les algues marines « carbone charismatique » en raison des multiples capacités des macroalgues à résoudre toute une palette de maux environnementaux, sur terre comme en mer.

En plus de leur capacité à compenser l'acidification et la désoxygénation, les algues absorbent l'excédent de nutriments, procurent un habitat à la vie marine dans au moins 77 pays et peuvent être transformées en biocarburant. Des recherches ont par ailleurs montré que l'ajout d'algues à l'alimentation du bétail pouvait réduire de 70 % le volume de méthane émis par les éructations de vaches et d'autres ruminants, une importante source de gaz à effets de serre. Enfin, les algues peuvent être utilisées comme supplément pour les terres agricoles et se substituer aux engrais dérivés du pétrole.

« Si vous faites le calcul, vous vous rendez vite compte que les algues constituent un puissant outil de lutte contre le changement climatique, mais il doit être approuvé par le marché, » indique Scotty Schmidt, directeur de Primary Ocean, une entreprise basée à Los Angeles qui planche sur un projet financé par le gouvernement américain visant à développer les technologies qui permettront de déployer des fermes d'algoculture à grande échelle.

« L'algoculture uniquement dans un but de séquestration du carbone n'est pas une activité rentable à l'heure actuelle étant donné qu'il n'y a pas encore vraiment de marché du carbone enclin à accepter les crédits compensatoires des algues marines, » dit-il.

La stratégie de Primary Ocean consiste à extraire des algues certaines substances qui pourront ensuite être revendues à des fins agricoles. Si l'on parvient à réaliser un profit à partir de ces ventes et que des crédits-carbone sont disponibles, alors l'entreprise pourra séquestrer les résidus des macroalgues, explique Schmidt.

Le plus gros défi à relever est donc de faire valider les algues comme une source légitime de réduction des gaz à effets de serre aux yeux des organismes responsables de cette homologation.

« Les moyens scientifiques et la demande existent déjà ; ce qu'il manque c'est un catalyseur qui puisse faire se rencontrer la demande et la production, » résume Duarte. « Plus précisément, nous avons besoins de protocoles de crédits carbone qui puissent être utilisés pour revendiquer les crédits carbone obtenus grâce à l'algoculture ainsi qu'un paysage législatif qui facilite l'attribution des concessions et des licences nécessaires au développement de l'algoculture. »

Malgré la présence d'un littoral étendu propice à l'algoculture, les États-Unis ne possèdent presque aucune opération d'aquaculture en haute mer. Les plus gros producteurs au monde d'algues cultivées sont la Chine et d'autres pays asiatiques et a priori, ce seront eux qui prendront la tête des activités destinées à faire des macroalgues une source de « carbone bleu. »

« Aux États-Unis, il est probablement plus facile d'obtenir un permis de forage pétrolier qu'une licence d'algoculture, » observe Duarte.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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