Environnement : ce qui va changer sous l'ère Biden

Le président-élu des États-Unis peut par des décrets et l’adoption de nouvelles réglementations changer la politique environnementale du pays. Mais cela sera-t-il suffisant ?

De Laura Parker, Alejandra Borunda
Publication 9 nov. 2020, 17:45 CET
Ici photographié le 14 septembre 2020 à Wilmington dans le Delaware, l’ancien vice-président et désormais prochain président des ...

Ici photographié le 14 septembre 2020 à Wilmington dans le Delaware, l’ancien vice-président et désormais prochain président des États-Unis Joe Biden a abordé les sujets du changement climatique et des feux de forêt dans les États de l’ouest.

PHOTOGRAPHIE DE Patrick Semansky, AP Photo

Au cours de sa campagne pour la présidentielle, le président élu Joe Biden a mis en avant des objectifs ambitieux dans la lutte contre le changement climatique. Les plus ambitieux jamais proposés par un président américain. Il s’est également engagé à rétablir les protections environnementales démantelées par Donald Trump.

Mais si les républicains gardent le contrôle du Sénat, il est peu probable que le projet de Joe Biden visant à dépenser deux mille milliards de dollars pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 soit promulgué.

Il convient alors de poser la question suivante : quel progrès la présidence Biden peut-elle réellement réaliser en matière d’environnement ? Alors que la pandémie et l’économie en berne nécessitent des actions immédiates, Joe Biden sera-t-il en mesure de rétablir les politiques environnementales entrées en vigueur sous Barack Obama ?

Le rétablissement des politiques relatives au climat ne sera pas suffisant, avertit Kate Larsen du Rhodium Group, une société de recherche basée à New York. D’après elle, il faudra aller au-delà des politiques du président Obama et « faire en sorte que [les mesures significatives] prennent en compte ce que nous savons actuellement grâce à la science ».

Bien que les divisions politiques limitent de façon conséquente les mesures pouvant être prises par Joe Biden, ce dernier n’a toutefois pas les mains liées. Le prochain président peut agir dès maintenant dans certains domaines, ou tout du moins, sans qu’une nouvelle législation du Congrès soit nécessaire.

 

USER DU POUVOIR EXÉCUTIF

L’administration Trump a réalisé de nombreux changements relatifs aux politiques de la nation en matière de climat et d’environnement en usant du pouvoir exécutif. Joe Biden peut donc utiliser les mêmes outils que Donald Trump pour annuler les décisions prises par ce dernier, en revenant sur l’un ou la totalité des décrets présidentiels qu’il a signés.

Depuis le premier jour de travail de l’administration Trump, des chercheurs du Sabin Center for Climate Change Law de la Columbia Law School à New York ont suivi les efforts du président à refonder la politique en matière d’environnement et ont dressé une liste de 159 mesures relatives au climat qui diminuent les protections environnementales, encouragent l’utilisation des énergies fossiles ou les deux. En août dernier, le Sabin Center est allé encore plus loin en rédigeant un plan de ré-réglementation de 65 pages, qui expose la manière dont Joe Biden peut rétablir les mesures réduites ou supprimées par Donald Trump.

« Tout est là-dedans », explique Michael Burger, directeur général du Sabin Center. « Joe Biden va revenir sur ces décisions, aller plus loin et le faire plus vite. Il ne fait aucun doute que la préoccupation climatique a été une force mobilisatrice pour au moins une partie des votants ».

Pour commencer, Joe Biden a promis le retour des États-Unis dans l’accord de Paris sur le climat dès son arrivée à la Maison blanche et de révoquer le permis du projet d’oléoduc Keystone XL. Michael Burger estime que le nouveau président peut rapidement prendre des décrets revenant sur une flopée d’autres démantèlements politiques, notamment la stratégie énergétique tant vantée du « America First » de Donald Trump, qui visait à ouvrir les eaux côtières américaines à l’exploitation pétrolière et de gaz, et l’annulation par le président Trump d’une politique instaurée par Barack Obama obligeant les organismes fédéraux à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 40 % en dix ans.

Pour réintégrer l’accord de Paris, les États-Unis devront soumettre de nouveaux engagements en matière de réduction des émissions au niveau national, mais cela pourrait par la suite permettre au pays de redevenir un leader mondial en matière de climat. Joe Biden pourrait également tenir sa promesse de publier des classements visant à « nommer et pointer du doigt » les pays qui ne respectent pas leurs propres engagements en matière de climat.

Il convient de souligner que de nombreuses décisions de Donald Trump ont conduit son administration devant les tribunaux. D’après le traqueur du Washington Post, 17 des 54 décisions de Trump faisant l’objet d’une procédure judiciaire ont été validées.

« Le nombre des changements de réglementations qui ne sont pas sujets à une contestation judiciaire est très faible et l’administration a perdu la plupart de procédures », explique Andrew Wetzler, conseiller principal au Natural Resources Defense Council, l’une des principales organisations environnementales défiant l’administration Trump devant les tribunaux.

Les formations rocheuses de la Valley of the Gods (vallée des Dieux) du Bears Ears National Monument.

PHOTOGRAPHIE DE Aaron Huey, Nat Geo Image Collection

De nombreuses procédures sont toujours en attente et les décrets pris par Joe Biden pourraient les rendre nulles. C’est notamment le cas des procès contestant la décision du président Trump de diminuer la superficie de deux monuments nationaux dans la région des roches rouges de l’Utah.

Au cours du plus important revirement en matière de protections dont bénéficient les terres publiques de l’histoire des États-Unis, Donald Trump a réduit la superficie du Bears Ears de 85 % et celle du Grand Staircase Escalante de moitié. Cette décision a conduit à une bataille juridique visant à déterminer si l’Antiquities Act (Loi sur les antiquités) de 1906, qui confère aux présidents le pouvoir de créer des monuments nationaux, leur donnait aussi le pouvoir de revenir sur ou de limiter les décisions prises par leurs prédécesseurs. (La loi composée de quatre paragraphes n’a apporté aucune réponse à cette question).

Si Joe Biden prenait un décret à ce sujet, les monuments pourraient immédiatement retrouver leur superficie d’origine et être protégés de l’extraction minière et de toute autre ressource. La question juridique resterait toutefois sans réponse.

 

REVENIR SUR LES DÉCISIONS DE DONALD TRUMP

Joe Biden n’a également pas besoin de l’accord du Congrès pour revenir sur les décisions prises par le président Trump visant à modifier les réglementations fédérales en matière d’environnement. Toutes les nouvelles réglementations non finalisées avant la fin du mandat de Donald Trump seront tout simplement abandonnées. Par contre, les réglementations déjà entrées en vigueur le resteront. Pour les modifier, Joe Biden devra élaborer une nouvelle réglementation, un processus complexe et à étapes qui inclut un engagement public important et nécessite généralement plusieurs années de travail.

Donald Trump a révisé plus de 100 réglementations, aux conséquences plus ou moins importantes. Il a notamment démantelé les normes d’efficacité des lave-vaisselles et a ouvert à l’exploitation forestière plus de la moitié de la forêt nationale de Tongass en Alaska, l’une des plus vastes forêts tropicales tempérées au monde.

L’été dernier, l’administration Trump a pris ce que les défenseurs de l’environnement considèrent comme l’une de ses mesures réglementaires les plus dommageables en promulguant de nouvelles réglementations en vertu de la loi fondamentale du pays en matière d’environnement, la National Environmental Policy Act. La NEPA exige des organismes fédéraux qu’ils déterminent si leurs décisions, comme le financement ou la délivrance d’un permis de construction d’une autoroute ou d’un oléoduc par exemple, auront un impact important sur l’environnement. Les nouvelles réglementations imposent désormais la réalisation plus rapide de ces examens environnementaux, sous moins de deux ans, et permettent aux organismes de ne plus évaluer les impacts à long terme ou dans des lieux éloignés, par exemple, les conséquences de la construction d’un nouvel oléoduc sur le changement climatique mondial.

Comme l’interdiction de prendre en compte ces impacts n’est pas explicitement indiquée dans les nouvelles réglementations de la NEPA, le Sabin Center estime que le président Biden pourrait immédiatement ordonner aux organismes fédéraux de continuer à procéder aux examens, tandis que son administration se livre au long processus de réécriture des réglementations décidées par Donald Trump.

Joe Biden pourrait également revenir sur le démantèlement de plusieurs réglementations relatives au méthane, un gaz à effet de serre très puissant, qui incluait notamment la suppression des exigences fédérales relatives au contrôle et à la réparation des fuites de méthane dans les puits, les oléoducs et les sites de stockage par les sociétés pétrolières et gazières.

L’un des démantèlements phares de Donald Trump fut la suppression du Clean Power Plan (Plan en matière d’énergie propre), l’une des politiques les plus importantes du président Obama pour lutter contre le changement climatique. Ce plan, qui avait pour objectif de réduire de 30 % les émissions de dioxyde de carbone des centrales électriques d’ici 2030, n’est jamais entré en vigueur, en raison de sa contestation devant les tribunaux par des membres du secteur et des gouvernements étatiques républicains. L’Agence de protection de l’environnement de Donald Trump a remplacé ce plan par la « Affordable Clean Energy Rule » (réglementation en matière d’énergie propre abordable) visant une réduction des émissions de carbone de seulement 0,7 % d’ici 2030, qui fait aussi l’objet de contestations judiciaires par les États démocrates.

Joe Biden pourrait recommencer à zéro en proposant une nouvelle réglementation relative aux émissions des centrales électriques, mais cela pourrait prendre du temps et également faire l’objet d’une contestation devant les tribunaux, souligne Michael Burger.

 

UNE TRANSITION ÉNERGIQUE IMMINENTE ?

Même si les ambitions de Joe Biden en matière de climat sont susceptibles d’être limitées à Capitol Hill, il aura l’attention de Wall Street, alors que les entreprises intègrent de plus en plus le changement climatique dans leurs décisions d’investissement. La Southern Company en est l’exemple : l’entreprise, qui gère des centrales électriques dans l’ensemble du Sud-Est des États-Unis et faisait partie des entités contestant le Clean Power Plan, a annoncé au printemps dernier qu’elle se fixait pour objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. D’autres sociétés de services publics ont pris des engagements similaires.

Dans les heures qui ont suivi l’annonce de la victoire de Joe Biden, Wood Mackenzie, une société de conseil internationale spécialisée dans le secteur de l’énergie, a publié un rapport sur ce à quoi s’attendre dans ce domaine. La société prévoit peu d’actions politiques à Washington et pense que « les principales influences qui façonnent le secteur de l’énergie américain seront certainement les forces du marché ».

Joe Biden peut encourager ces forces. Ed Crooks, qui supervise l’analyse de Wood Mackenzie dans les Amériques, prévoit des restrictions en matière de développement pétrolier et du gaz, notamment des interdictions sur les nouveaux crédits-bails et la mise en place de « nouveaux obstacles » à l’octroi de permis pour les oléoducs et les installations d’exportation. Il pense également que Joe Biden agira rapidement pour développer le secteur éolien en mer et revenir sur les décisions de l’administration Trump visant à empêcher le développement de cette source d’énergie renouvelable le long de la côte Atlantique, de la Floride jusqu’à la Virginie.

Les normes en matière d’émissions des véhicules constituent un autre domaine dans lequel Donald Trump est revenu sur les réglementations prises par Barack Obama, notamment la possibilité pour la Californie d’imposer ses propres normes. Joe Biden prévoit leur rétablissement. Ed Crooks souligne que cette décision pourrait susciter une augmentation des ventes de voitures électriques.

« D’ici 2030, il pourrait y avoir quatre millions de véhicules électriques sur les routes américaines en raison de ces normes. C’est presque 60 % de plus que si la réglementation de l’administration Trump était entrée en vigueur », écrit-il.

Pour finir, Joe Biden peut changer de façon radicale le cap du gouvernement grâce aux membres qu’il choisira pour constituer son cabinet. Andrew Wheeler, ancien lobbyiste pour l’industrie du charbon, est l’administrateur de l’EPA de Donald Trump, un poste qui lui a permis de superviser le démantèlement du Clean Power Plant auquel s’étaient farouchement opposés les entreprises d’extraction du charbon ainsi que les sociétés de services publics fonctionnant au charbon. David Bernhardt, ancien lobbyiste pour le secteur pétrolier et du gaz et secrétaire à l’Intérieur des États-Unis, supervise l’utilisation des terres publiques, et par conséquent la décision de les ouvrir à davantage d’exploitation pétrolière et de gaz.

Le mois dernier, Donald Trump avait quant à lui surpris les scientifiques du gouvernement en signant un décret créant une nouvelle catégorie d’emplois gouvernementaux qui facilite le licenciement des fonctionnaires rédigeant les politiques. Les scientifiques, notamment ceux travaillant sur les politiques en matière de climat ou d’environnement, craignent d’être ciblés par cette nouvelle réglementation. Joe Biden pourrait facilement annuler ce décret et ainsi les rassurer.

 

UNE BOMBE À RETARDEMENT

Pour les scientifiques, il y a une chose que Joe Biden ne peut pas faire : récupérer le temps perdu dans la lutte mondiale contre le changement climatique. Au cours du mandat de Donald Trump, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a publié des avertissements de plus en plus pressants, déclarant que l’opportunité de repousser le pire scénario du changement climatique était en train de nous passer sous le nez. De nombreux chercheurs estiment que le manque d’actions de la part de Donald Trump pour répondre à ce problème est le plus grand préjudice qu’il a causé à l’environnement. Il s’agit donc du plus important des défis qui attend l’administration Biden.

« Le temps est l’un des éléments les plus importants de la crise climatique », explique Andrew Wetzler. « Chaque mois passé sans avoir pris d’importantes mesures est un autre mois de réchauffement intense. »

« Nous savons qu’il nous reste moins d’une dizaine d’années pour remettre notre économie et l’économie sur le droit chemin concernant les émissions zéro. Il a gâché quatre années de ce temps précieux », ajoute Michael Burger de Columbia.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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