2021, année catastrophique pour le miel français

Les apiculteurs poussent un énième cri d’alerte avant qu’il ne soit trop tard. Ils déplorent un texte de loi « obsolète » et « insuffisant » pour protéger les polinisateurs et les abeilles.

De Margot Hinry
Publication 4 nov. 2021, 16:33 CET
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Larves d'abeilles (nom scientifique : Apis mellifera). Photographié à Harry Laidlaw Honeybee Research Facility, Davis, Californie.

PHOTOGRAPHIE DE Anand Varma, Nat Geo Image Collection

La sonnette d’alarme a été tirée à plusieurs reprises ces dernières années. En 2021 plus que jamais, les professionnels de l’apiculture déplorent un manque de considération de la crise climatique par les autorités.

2021 est l’année la plus mauvaise de l’histoire en termes de rendements selon les chiffres de l’Union nationale de l’apiculture française. Le changement climatique et l'usage de pesticides sont les grands coupables de cette baisse de production. À moins d’une semaine de la COP26, les apiculteurs siciliens avaient déploré une saison désastreuse à cause d’un été caniculaire. Les abeilles ont étouffé dans des ruches transformées en four.

Mais dans certains départements français, ce sont des gelées tardives arrivées au printemps qui ont perturbé le développement des colonies d’abeilles. « L'été a également été très perturbé, par le froid, un temps pluvieux, venteux, avec parfois de la sécheresse et/ou des orages localisés qui réduisaient les périodes de floraisons attractives pour les abeilles » confirme la présidente et fondatrice de l’association terres d’Abeilles, Béatrice Robrolle.

En fait, pour que les fleurs sécrètent du nectar, il faut un sol relativement humide, une température chaude et très peu de vent pour éviter le temps sec, comme l’explique Frank Aletru, le Président du Syndicat National d'Apiculture (SNA) et Président de l'Association européenne des apiculteurs professionnels (EPBA). Les mauvaises conditions météorologiques coïncident selon lui avec les périodes de floraisons « […] ceci quasiment dans toute l'Europe, à l'exception des pays nordiques qui ont profité de ces périodes de réchauffement climatiques et donc de miellée ».

Concrètement cette année en France, la récolte de miel est estimée entre 7 000 et 9 000 tonnes, « ce qui représente la plus basse récolte de l’histoire de l’apiculture [française] », témoigne le directeur général de l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF), Henri Clément. Il compare ces chiffres avec ceux de 1995, « on produisait entre 32 000 et 33 000 tonnes. À l’époque de l’Europe des douze, la France était leader en production de miel devant l’Italie et l’Espagne ».

Cette année, certains apiculteurs sont allés jusqu’à nourrir leurs colonies pour éviter qu’elles ne périssent. « Les apiculteurs apportent […] à leurs abeilles un mélange liquide composé d'eau, de sucre et de miel permettant de leur éviter une mort certaine », explique Béatrice Robrolle, également apicultrice professionnelle depuis quatre générations.

 

LES PESTICIDES EN CAUSE 

Le texte qui réglemente l’usage agricole des pesticides vis-à-vis des insectes et notamment des abeilles est le même depuis 2003, rédigé initialement en 1975. L’UNAF, l’association terre d’Abeille et le SNA se battent depuis près de dix ans pour une évolution du texte considéré comme « totalement obsolète » par ces professionnels. Un nouveau projet d’arrêté « abeilles » est en cours, mais ne prendrait pas en compte l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) pourtant mandaté par le gouvernement.

Une abeille maçonne rouge (Osmia bicornis) en vol vers un hôtel à insectes.

PHOTOGRAPHIE DE Nutmeg66, Flickr

Les pesticides modernes sont désormais extrêmement efficaces et donc nocifs pour les insectes et les abeilles. « Les pesticides (insecticides, fongicides, acaricides, herbicides) ont des effets délétères sur les œufs, les larves, les nymphes et les abeilles adultes. Mais également sur la qualité de la fécondité des reines et la fertilité des faux-bourdons (mâles des abeilles) » explique le porte-parole du SNA.

Dans ses recommandations de 2019, l’Anses avait notamment insisté sur le fait d’utiliser les pesticides exclusivement à partir du coucher du soleil, mais ces conditions ne sont pas mentionnées dans le nouveau projet d’arrêté. « Les chiffres sont irréfutables, plus contestables. Tout est dit, écrit, démontré, on assiste à un réel déni scientifique de la part de ceux qui prennent des décisions » affirme la présidente de Terre d’Abeilles.

 

QUELLE RÉPONSE À L’INACTION ?

Les professionnels de l’apiculture sont dans l’attente d’une évolution des textes de loi pour l'usage de pesticides et appellent le Premier ministre Jean Castex à ne pas signer ce nouveau décret sans avoir intégré les recommandations de l’Anses. Frank Alétru insiste sur le fait que « les traitements après le coucher du soleil permettent de réduire de 30 % les quantités de pesticides pulvérisés dans l'environnement », il ajoute qu’à ce moment-là, leur action est plus efficace puisque « les stomates des feuilles s'ouvrent la nuit ».

Le combat des apiculteurs ne concerne pas que leurs propres intérêts, « en pulvérisant les cultures la nuit, on protège aussi les populations humaines comme les enfants dans les cours des écoles, les stades, les promeneurs, des expositions aux produits toxiques » confirme l’expert.

« Je crains que si on ne décide pas d’un mouvement qui va réellement paralyser le pays et faire peur à ceux qui nous gouvernent, comme l’avaient fait les agriculteurs, on n’avance pas. Si on organise un mouvement de masse, on souhaite que les consommateurs soient avec nous, qu’ils nous soutiennent. Notre combat est d’utilité publique » explique avec émotion Béatrice Robrolle. Sans réaction urgente du gouvernement,  ce serait « la fin de la biodiversité » assure-t-elle.

L’effondrement des colonies d’abeilles serait en effet un drame « pour les amateurs de miel comme moi » ironise Henri Clément, mais l’effet le plus important concerne surtout la pollinisation. « C’est un tiers de nos ressources alimentaires... si demain il n’y a plus d’abeilles ni de pollinisateurs sauvages sur le territoire, on peut dire adieu aux fruits par exemple. C’est catastrophique ».

« 80 % des plantes à fleurs sauvages ou cultivées dépendent des pollinisateurs sauvages ou d'élevage pour se reproduire. Une fourchette sur trois de ce que nous consommons dans notre assiette dépend des pollinisateurs » affirme Frank Aletru. Selon un rapport du PNUE publié en 2011, sur 100 espèces végétales fournissant 90 % de notre alimentation, 70 % dépendent en effet des abeilles.

Les professionnels de l’apiculture prônent les mérites de l’agro-écologie comme unique option durable pour un avenir conciliant l’apiculture à une agriculture durable.

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