Le 7e continent pourrait-il être amené à disparaître ?

L'Intercepteur 007 vient de rejoindre la flotte de l'organisation Ocean Cleanup, un projet non lucratif visant à débarrasser les océans de leurs déchets plastiques : une mission ardue aux subtilités nombreuses et inattendues.

De Lou Chabani
Photographies de Ocean Cleanup
Publication 24 oct. 2022, 12:08 CEST
Modélisation du système 003, encore en phase de test. Il s'agit du plus grand collecteur de ...

Modélisation du système 003, encore en phase de test. Il s'agit du plus grand collecteur de l'organisation Ocean Cleanup, avec une envergure de près de 2 500 mètres de large et opérant à 4 mètres de profondeur. Déployé dans l'océan Pacifique, il pourrait permettre de faire disparaître la plus importante nappe de déchets du globe, d'ici à 2040.

PHOTOGRAPHIE DE Ocean Cleanup

Amarré à la station des gardes-côtes de Longbeach, alors que le soleil n’est pas encore levé, le navire au design futuriste attend patiemment d’être remorqué en direct jusqu’au canal de Ballonna Creek. Là, dans ce canal bétonné de 13 kilomètres donnant sur la mer, le petit dernier de la troisième génération de collecteurs fluviaux du projet Ocean Cleanup va assurer la récupération de tout déchet plastique, petit ou grand, venant de l’intérieur des terres. Portée par l’entrepreneur néerlandais Boyan Slat, l’organisation à but non lucratif Ocean Cleanup vise, depuis près de neuf ans, à réduire la pollution plastique des océans : un objectif ambitieux, complexe, et plus nécessaire que jamais à la lumière de la crise environnementale.

Pour remplir cette mission, l’organisation combat sur plusieurs fronts. Étudiée depuis maintenant plusieurs années, la dérive des déchets plastiques a permis de révéler une dynamique de dispersion complexe dotée de nombreux points d’entrée.

Le 7e continent. Le nom de l’amas de déchets flottant depuis des années au milieu de l’océan Pacifique se suffit à lui-même pour illustrer l’ampleur de la tâche à accomplir. Il s’agit de macrodéchets épars, dispersés sur de grandes distances, mais aussi et surtout d’une multitude de microfragments flottant dans une colonne d’eau. Rassemblés par les courants dans des zones de tourbillons où ils peuvent stagner, ce sont en réalité cinq spots différents qui accueillent la majorité des déchets dans nos océans.

« 80 % des déchets plastiques qui arrivent dans les océans viennent des rivières […] ce sont principalement des objets à usage unique », expose Boyan Slat, fondateur et directeur général d’Ocean Cleanup. « C’est pour cela que nous utilisons des intercepteurs, comme le collecteur 007. »

 

Le collecteur 007 fait partie de la 3e génération de collecteurs fluviaux d'Ocean Cleanup et a été déployé à Los Angeles, à l'embouchure de Ballona Creek, dont on estime que près de 13 000 kg de plastiques sortent chaque année.

PHOTOGRAPHIE DE Ocean Cleanup

QUELLE TACTIQUE POUR COMBATTRE L'HYDRE DE PLASTIQUE ?

Pour faire face à cette tâche dantesque, la première étape a été d’étudier le 7e continent, et ce afin de mieux comprendre son fonctionnement. Ces années d’études ont ainsi permis de dévoiler la fascinante complexité des mécanismes qui ont permis sa formation, ainsi que le cycle de vie des différents déchets.

« Le fait est que la majorité du plastique émis par les rivières ne reste pas dans l’océan, mais va plutôt revenir sur les côtes », décrit M. Slat. « Le plastique retrouvé au large n’est pas représentatif de ce qui est rejeté par les rivières. »

En effet, si l’image des tortues et des oiseaux qui s’étouffent au milieu de sacs plastiques est aussi dramatique que réelle, la majeure partie des macrodéchets retrouvés au large trouvent leurs sources bien loin des terres. « Un lien qui passe souvent inaperçu est celui qu’il y a entre la pêche et la pollution plastique, puisque 80 % des macrodéchets plastiques sont des résidus d’engins de pêche. Ils sont soit abandonnés en mer par les pêcheurs, soit perdus », explique Lamya Essemlali, co-fondatrice et présidente de Sea Shepherd France.

Pour faire face à ce problème, la stratégie d’Ocean Cleanup consiste en la mise en place de plusieurs collecteurs différents, chacun adapté à son environnement. Les déchets fluviaux sont capturés par des collecteurs stationnaires, sous forme de barrières, de clôtures ou de navires spécialisés comme le collecteur 007, qui permettent le libre passage de la faune et de l’eau, tout en retirant les déchets. Actuellement présentes sur sept rivières à travers le monde, et bientôt sur dix, ces technologies ont démontré leur efficacité.

La pollution « ancestrale » reste quant à elle la cible de collecteurs mobiles, plus ambitieux que les collecteurs fluviaux.

Tendu entre deux bateaux, le collecteur marin est un immense filet permettant de rassembler les déchets à la dérive sans perturber la faune marine. « La seule chose qui compte pour nous c’est de résoudre [le problème du plastique] sans en créer un en retour. Nous avons collaboré avec des biologistes marins à chaque étape du projet, notamment pour monitorer l’impact écologique sur les bateaux », s’engage M. Slat. « 99,9 % de ce que nous repêchons sont des déchets plastiques. Les filets sont beaucoup plus lents que les poissons, ils peuvent donc entrer et sortir librement. » Le plastique est ensuite ramené au continent, puis réintroduit dans les circuits de recyclage classiques pour empêcher son retour à l’océan.

Le système, constitué d’un large ruban plat, est attaché par chacune de ses extrémités à un bateau, et agit comme un entonnoir. Il pousse les déchets vers un fourreau où ces derniers s’accumulent, et est trainé pendant plusieurs jours à une vitesse très réduite (environ deux nœuds). La faune marine peut donc facilement éviter le ruban par le haut ou par le bas et sortir de l’entonnoir final.

« Hormis 0,1 % de poissons malchanceux présents au fond du filet lorsqu’il est remonté, le système a été étudié pour réduire au maximum son impact écologique », affirme le directeur d’Ocean Cleanup.

L’objectif est de sortir les déchets déjà présents depuis des années de l’océan et de couper les vivres d’une source importante de production de microplastiques. En effet, perdu au large et dégradé par le courant et les microorganismes, ces macrodéchets sont peu à peu dissous en fragments de plus en plus petits, qui finissent par former les redoutés microplastiques.

« Il devient très difficile de retirer le plastique quand il est sous forme de microparticules ; tout cela devient une sorte de bouillon de culture avec le vivant », alerte la présidente de Sea Sheperd.

Une fois réduits à l’état de microparticules, les déchets plastiques deviennent une arme redoutable contre toute forme de vie dans l’océan. En se mélangeant aux microorganismes, ils s’accumulent un peu plus à chaque échelon de la chaîne alimentaire jusqu’à rendre les eaux invivables et le poisson impossible à consommer, aussi bien par les prédateurs que par l’être humain.

« Nous pouvons collecter des déchets allant jusqu’au demi-centimètre, juste à la limite du microplastique », affirme Boyan Slat. « Pour le moment, en termes de masse, environ 92 % de la nappe de plastique est encore sous forme de macroplastiques, majoritairement des cordes et des filets. Il est donc important de le retirer maintenant afin de prévenir leur dégradation. »

Tracté pendant plusieurs jours à vitesse réduite à travers les nappes de plastique, le filet du système 003 accumule peu à peu les déchets, sans causer de dommages à la faune marine.

PHOTOGRAPHIE DE Ocean Cleanup

 

UN BON DÉCHET EST UN DÉCHET QUI N'EXISTE PAS

Si le retrait du plastique déjà présent dans l’océan est une priorité absolue pour l’avenir de la biodiversité marine, l’opération est d’autant plus difficile que le plastique continue d’être déversé en permanence dans les rivières. Bien que les efforts se multiplient pour limiter ces apports et que des initiatives comme les collecteurs fluviaux commencent à être mises en place, la route est encore longue.

« Le meilleur déchet est celui qui n’arrive jamais dans la mer », déclare la présidente de Sea Shepherd France. « Ces démarches [Ndlr : telles que celles d’Ocean Cleanup] sont très importantes, mais la priorité doit être donnée à ce que le plastique n’entre pas dans l’océan. »

L’idée de la disparition du 7e continent est plus que séduisante, mais d’après l’experte, elle ne se fera pas par la seule collecte des déchets.

Conscient des conditions à remplir pour garantir la réussite de son projet, Boyan Slat est très clair sur les mesures qui restent à prendre par les gouvernements et les industriels. « À court terme, il est important que les gouvernements reconnaissent l’importance de la collecte fluviale. C’est la solution la plus rapide et la moins coûteuse pour désengorger les océans », affirme-t-il.

« À long terme, il faudra ensuite assurer de meilleures structures de gestion des déchets à l’échelle globale. [La collecte] permet aux gouvernements de gagner du temps. Améliorer leurs structures de gestion des déchets, c’est la clé du problème. »

Quant aux déchets de l’industrie de la pêche, plusieurs pistes sont encore en cours d’exploration afin d’éviter l’arrivée de nouveaux macrodéchets. « On a suggéré la mise en place de systèmes de financement assurant un revenu aux pêcheurs qui ramènent leur matériel, ou qui équipent leur matériel de systèmes GPS », ajoute le directeur d’Ocean Cleanup. « Les choses s’améliorent [...] mais il reste encore beaucoup à faire. »

Interrogé sur l’avenir d’Ocean Cleanup lors du live de lancement du collecteur fluvial 007, Boyan Slat a également fait le point sur la situation de l’organisation : « Nos technologies fonctionnent, mais nous ne sommes pas encore prêts à les adapter sur un millier de rivières [Ndlr : environ 1 000 rivières à travers le monde sont considérées comme responsables de 80 % de la pollution plastique des océans] et dans toutes les nappes de déchets de l’océan [...]. L’année à venir sera dédiée à gagner en maturité, à trouver plus de financements et à créer de nouveaux types de collecteurs fluviaux [pour s’adapter à plusieurs types d’environnements]. »

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