Certains coraux résisteraient mieux au changement climatique que ce que l’on pensait

D’après une nouvelle étude, deux espèces communes de coraux constructeurs de récifs seraient capables de s’adapter à un réchauffement de 2°C par rapport à l’ère préindustrielle.

De Sarah Gibbens
Publication 11 mars 2022, 17:14 CET
Coral 01

Un écologue étudie un vieux corail de l’espèce Porites lobata découvert à mi-chemin entre Hawaï et les Samoa américaines. Selon une étude qui vient de paraître, Porites lobata pourrait survivre au changement climatique, si toutefois nous limitons celui-ci.

PHOTOGRAPHIE DE Brian Skerry, National Geographic Image Collection

Une étude qui vient de paraître l’affirme, deux des espèces de coraux constructeurs de récifs les plus répandues dans le monde semblent, contre toute attente, capables de survivre au changement climatique et même de s’y adapter correctement. Du moins tant que le réchauffement de la planète ne dépasse pas 2°C par rapport à l’ère préindustrielle, soit l’objectif fixé par l’accord de Paris.

« Nous avons trouvé de quoi espérer », déclare Rowan McLachlan, spécialiste des coraux de l’Université d’État de l’Oregon et autrice principale de l’étude parue hier dans la revue Nature Scientific Reports.

Ces derniers temps, l’espoir était chose menue en ce qui concerne les récifs coralliens. À cause des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine, ceux-ci doivent faire avec une eau qui se réchauffe de manière chronique, avec des vagues de chaleur océaniques intenses et avec un océan de plus en plus acide. Sans compter les stress régionaux dus à la pollution et à la surpêche.

À ce jour, la planète s’est réchauffée de 1,1°C par rapport à l’ère préindustrielle et les récifs coralliens ont déjà subi des dégâts massifs. Comme le rappelle un récent rapport des Nations unies, la Grande Barrière de corail, plus grand récif corallien du monde, traverse actuellement une « crise ». Ce rapport produit par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) met en garde face à une détérioration irréversible des écosystèmes récifaux si la planète venait à se réchauffer de plus de 1,5°C. En 2018, un autre rapport du GIEC concluait qu’à 2°C ou plus, 99 % de l’ensemble des coraux constructeurs de récifs pourraient disparaître pour de bon.

Pourtant, ce n’est pas ce que Rowan McLachlan et ses collègues ont constaté en soumettant artificiellement des coraux hawaïens à une température planétaire de 2°C supplémentaires pendant près de deux ans. Ils ont même constaté une résilience particulière de la part de deux espèces communes de coraux (deux tiers d’entre eux ont survécu à cet avenir simulé par les chercheurs).

« Nous nous attendions à une mortalité supérieure à celle que nous avons observée, à voir que les coraux s’accrochaient à peine à la vie, commente Rowan McLachlan. Nous étions vraiment choqués. Leur taux de survie était vraiment élevé. »

Il semble qu’en ne franchissant pas certaines limites, certains types de coraux pourraient s’acclimater à un réchauffement planétaire.

 

IMAGINER LES OCÉANS DE DEMAIN

Les océans absorbent une partie de la chaleur s’accumulant dans l’atmosphère. Les vagues de chaleur, amplifiées par le changement climatique, poussent les coraux à expulser les algues symbiotiques dont ils se nourrissent, un phénomène connu sous le nom de blanchiment des coraux qui peut entraîner leur mort. En outre, les océans absorbent également une partie du dioxyde de carbone contenu en excès dans l’atmosphère, ce qui acidifie l’eau de mer et fragilise les squelettes des coraux.

En 2014 et 2015, les vagues de chaleur océaniques ont tué plus d’un tiers des coraux des récifs hawaïens. Fin 2015, pour en savoir plus sur la façon dont le réchauffement et l’acidification pourraient mettre les récifs en péril dans les années qui viennent, Rowan McLachlan s’est rendue avec ses collègues dans quatre récifs évoluant en contextes différents sur l’île d’Oahu. À l’aide d’un marteau et d’un burin ils ont prélevé des échantillons de trois espèces communes : Montipora capitata, Porites porites et Porites lobata.

Les chercheurs ont ensuite placé les coraux dans des réservoirs de 70 litres. Non dans un laboratoire comme on avait vu faire dans le cadre d’autres études sur la résilience des coraux, mais en extérieur, à Coconut Island, où ils bénéficié de la même météo que s’ils étaient au large. Au total, ils ont rempli 40 réservoirs avec du sable, des gravats, des poissons récifaux, du plancton et d’autres composantes présentes dans les récifs. L’idée était de simuler les conditions de l’océan de manière aussi réaliste que possible.

« C’est pour cela que notre expérience est différente, affirme Rowan McLachlan. Elle comporte plus d’informations sur la façon dont les récifs hawaïens sont susceptibles de vraiment réagir [au changement climatique]. »

D’après elle, il s’agit également de la plus longue expérience corallienne de ce type jamais réalisée.

Pendant 22 mois, les chercheurs ont soumis certains coraux à une hausse de température de 2°C, certains à une acidification de l’eau, et d’autres à ces deux changements à la fois. Une quatrième série de réservoirs laissés tels quels a servi de groupe témoin.

Selon Andréa Grottoli, biogéochimiste du corail de l’Université d’État de l’Ohio à l’origine de ces recherches, les réservoirs dans lesquels on a testé à la fois le réchauffement et l’acidification ont donné les simulations les plus réalistes. Dans l’ensemble des réservoirs, elle et ses collègues ont surveillé une série de métriques physiologiques pour voir comment les coraux réagissaient à leur environnement avec le temps ; et les résultats sont encourageants.

« Nous avons assisté à un type d’arc à long terme dans lequel on a observé des réactions dues au stress, mais après un certain temps il y a eu une acclimatation », explique-t-elle. Pourvu qu’on leur laisse le temps de s’adapter à leur environnement, certains coraux peuvent donc survivre au stress induit par le changement climatique.

Au total, sur les coraux exposés aux deux conditions, 46 % des Montipora capitata, 56 % des Porites porites et 71 % des Porites lobata ont survécu. Et beaucoup se sont même épanouis.

« Ils n’ont pas fait que lutter. Deux des trois espèces s’en sortaient particulièrement bien », indique-t-elle. Elle ajoute d’ailleurs que son équipe a peut-être sous-estimé la résilience de la troisième espèce, Montipora capitata. En effet, en plus de son algue symbiotique celle-ci se nourrit d’ordinaire aussi de zooplancton, aliment dont elle a moins bénéficié lors de l’expérience.

Si la plupart des coraux utilisés pour l’expérience ont survécu, la chaleur extrême continue de pousser les récifs dans leurs retranchements. Ici, des branches saines de Porites lobata entourées de coraux de l’espèce Montipora capitata blanchis par une vague de chaleur océanique.

PHOTOGRAPHIE DE Doug Perrine, Alamy Stock Photo

« L’article corrobore ce qu’on a observé à Hawaï », affirme Ku’ulei Rodgers, spécialiste des coraux de l’Université d’Hawaï à Mānoa en charge de la surveillance des récifs de l’État qui n’a pas pris part à ces recherches.

« Cependant, il y a une limite au taux de protection procuré par l’acclimatation vis-à-vis du blanchiment à mesure que les températures continuent de grimper », nous écrit-elle par e-mail. Elle attire également l’attention sur le fait que les vagues de chaleur océaniques de 2014 et 2015 à Hawaï ont entraîné la mort d’un grand nombre de coraux des espèces Porites lobata et Porites porites.

« Bien que nous ayons bon espoir que certaines espèces survivent au siècle, à moins qu’on assiste à des réductions drastiques des émissions, les coraux finiront inéluctablement par succomber dans leur lutte pour survivre », assure Ku’ulei Rodgers. Pour le moment, les mesures prises pour réduire les émissions devraient mener à une augmentation de 2,7°C d’ici à la fin du siècle, selon Climate Action Tracker. C’est bien supérieur aux 2°C simulés par Rowan McLachlan et ses collègues.

 

QUE SIGNIFIENT CES DÉCOUVERTES POUR LES RÉCIFS ?

Montipora capitata est une espèce commune à Hawaï et dans les eaux du Pacifique nord et central. Mais Porites porites et Porites lobata sont présents dans l’ensemble du Pacifique et de l’océan Indien et, selon l’étude, cette démonstration de leur capacité à survivre pourrait être le signe que les récifs coralliens sauront rebondir lorsqu’ils seront au bord de l’effondrement. Porites lobata est un constructeur de récifs particulièrement important dans l’océan Pacifique.

Selon Alan Friedlander, écologue des récifs coralliens de l’Université d’Hawaï n’ayant pas pris part aux recherches, il faut davantage de réserves marines pour faire en sorte que ces coraux résilients ne soient pas mis en péril par la pollution et les dégradations locales. Alan Friedlander est par ailleurs directeur scientifique de l’initiative National Geographic Pristine Seas qui promeut la création de réserves marines à travers le monde.

« Ce travail montre que les récifs coralliens peuvent survivre et même bien se porter à l’avenir si nous parvenons à infléchir les émissions de dioxyde de carbone et à juguler les sources de stress local comme la surpêche, la sédimentation et la pollution », nous écrit-il par e-mail.

« Sans les facteurs de stress local, il y a de l’espoir pour aller de l’avant, abonde Rowan MacLachlan. Si nous ne parvenons pas à les atténuer, les conséquences pour le corail seront pires. »

De plus, les découvertes de son équipe vont peut-être permettre de soutenir des formes plus préventives de gestion des récifs.

Étant donné l’état désespéré des coraux aujourd’hui, certains défenseurs de l’environnement avancent qu’il ne suffit plus de les protéger de la pollution et de la pêche et de les laisser tranquilles mais qu’un travail de rétablissement actif est nécessaire. Pour Andréa Grottoli, le fait qu’une espèce comme Porites lobata puisse survivre au changement climatique en fait une candidate pour les projets de rétablissement de la faune qui ont besoin de coraux robustes pour repeupler les récifs dégradés.

« L’introduction d’un corail allochtone est désormais un moindre mal, concède-t-elle. Ce type d’écologie est désormais d’actualité. Certains défenseurs de l’environnement ne l’auraient même pas envisagé il y a dix ans. »

Tandis que l’humanité peine à réduire des émissions de gaz à effets mortelles pour les récifs du monde entier, ces petits coraux sont peut-être une planche de salut.

« Nous avons une occasion de maintenir les récifs coralliens assez longtemps pour que lorsque le réchauffement ralentira, les récifs puissent rattraper leur retard, déclare Andréa Grottoli. Nous avons une fenêtre pour travailler. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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