Comprendre les enjeux climatiques grâce à une station météorologique de haute altitude

La toute nouvelle station, installée sur un sommet de la cordillère des Andes, permettra aux scientifiques de comprendre comment le changement climatique impacte la région chilienne, frappée par un épisode de sécheresse historique.

De Sarah Gibbens
Photographies de Armando Vega
Publication 3 mai 2021, 14:05 CEST, Mise à jour 20 mai 2021, 13:06 CEST
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Tupungato est l’une des montagnes les plus hautes du Chili. Aujourd’hui, elle abrite la plus haute station météorologique du monde. Ce nouvel outil permettra aux scientifiques de comprendre comment le changement climatique impacte la région.

PHOTOGRAPHIE DE Armando Vega, National Geographic Society

La montagne Tupungato au Chili s’élève à plus de 5 700 mètres au-dessus du niveau de la mer. Au petit matin, Baker Perry et ses collègues grimpeurs se sont fait surprendre par un blizzard imprévu. Le phénomène les a obligés à se cloîtrer dans leurs tentes pour échapper aux vents violents et aux bourrasques de neige. M. Perry, climatologue à la Appalachian State University, en garde un souvenir tourmenté.

« Nous mettre au défi, c’est ce qui fait la beauté des montagnes. C’est l’une des raisons pour lesquelles il y a peu de stations dans ces endroits. On veut assister aux moments les plus fougueux et les plus difficiles aussi. Ça fait partie du climat. Il faut le prendre en compte. »

M. Perry est le codirecteur d’une équipe qui a bravé la pandémie en février. Ils se sont lancés dans un trek de deux semaines, traversant de fortes chutes de neige, pour installer une station météorologique au pied du sommet du Tupungato. Il s’agit d’un volcan éteint, situé au sud de la cordillère des Andes, là où le Chili rencontre l’Argentine. Cette station est maintenant la plus haute du monde. Elle permettra aux scientifiques de prendre conscience de la vitesse du changement climatique dans la région. Leur expédition a été organisée par la National Geographic Society et a été sponsorisée par Rolex.

Tupungato est l’une des montagnes les plus hautes du Chili. Aujourd’hui, elle abrite la plus haute station météorologique du monde. Ce nouvel outil permettra aux scientifiques de comprendre comment le changement climatique impacte la région.

PHOTOGRAPHIE DE Armando Vega, National Geographic Society

Grâce aux données relatives à la température, à la vitesse du vent et aux précipitations de neige, les scientifiques seront plus à même de comprendre les conséquences de la sécheresse à venir sur le centre du Chili ainsi que sur sa capitale, Santiago. Actuellement, le pays fait face à un épisode de sécheresse historique qui entraîne la fonte des glaciers et du manteau neigeux qui servent de château d’eau naturel au pays.

« Les enjeux sont vraiment importants aujourd’hui », prévient Tom Matthews, membre de l’équipe et climatologue à l’université de Loughborough au Royaume-Uni. « Des millions de personnes dépendent de ces châteaux d’eau naturels dont on ignore la réaction au réchauffement climatique. »

 

CE QUE L’ON SAIT DU CHANGEMENT CLIMATIQUE AU CHILI

Tupungato est le troisième sommet le plus haut du Chili mais également la plus haute montagne du bassin du fleuve Maipo. Il s’agit du bassin versant qui approvisionne les sept millions d’habitants de Santiago et sa banlieue. Avec des données plus précises quant aux précipitations qui tombent sur les sommets comme celui de Tupungato, les autorités pourront déterminer la quantité d’eau à allouer chaque année à la région.

« J’étudie les glaciers depuis 1982. Au cours de ma vie, j’ai assisté à des changements considérables sur les glaciers et sur la couche de neige », déclare Gino Casassa, explorateur pour National Geographic et directeur du département gouvernemental responsable des glaciers au Chili.

Lors d’une année de sécheresse, à la fin de l’été, les deux-tiers de l’eau approvisionnant le fleuve Maipo viennent de la fonte des glaciers, explique M. Casassa.

Le centre du Chili est reconnu comme étant une éco-région méditerranéenne. Le climat y est similaire aux Caraïbes par exemple. La région se situe juste au-dessous du désert d’Atacama, le désert le plus aride de la planète et s’étend entre la cordillère des Andes et l’océan Pacifique.

Les Chiliens sont habitués à subir des années de sécheresse consécutives. L’année 2010 a été l’une d’entre elles. Puis, celle de 2011 aussi, et encore celle de 2012. Les années passant, très peu de précipitations se sont abattues sur le pays.

« Puis 2014 est arrivé », une année sèche aussi, « et ça a commencé à devenir inquiétant », déclare René Garreaud, climatologue à l’université du Chili qui n’a pas pris part à l’expédition.

En 2015, M. Garreaud et ses collègues chiliens ont réussi à déterminer que la région subissait une période qu’ils appellent de « méga-sécheresse ». Après une décennie de sécheresse, les conditions ne se sont toujours pas améliorées. Depuis que cette période a commencé, les précipitations ont diminué d’un tiers en moyenne par rapport à d’habitude. En 2019, l’année la plus aride jusqu’à présent, elles ont diminué de 90 %.

Même si M. Garreaud affirme qu’il existe des variations naturelles qui influencent les précipitations, il est également certain que la méga-sécheresse qui frappe le pays est provoquée par le changement climatique. En général, il accentue l’aridité des régions sèches et l’humidité des régions humides.

Ces conclusions ne présagent rien de bon pour la région du centre du Chili qui dépend des châteaux d’eau naturels du bassin du fleuve Maipo pour son approvisionnement en eau douce. Selon une étude publiée en 2019 dans la revue Nature, les châteaux d’eau naturels du monde entier, qu’il s’agisse de ceux des Andes ou de l’Himalaya, sont menacés par le changement climatique.

Il y a deux ans, Baker Perry et Tom Matthews ont installé une station météorologique sur le sommet du mont Everest. Il s’agissait alors de la plus haute station du monde. Le trek du Chili est la toute dernière expédition Perpetual Planet de la National Geographic Society. Ces campagnes visent à financer des explorations et des études sur les écosystèmes impactés par le changement climatique.

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    Marcelino Ortega Martinez équipe les chevaux et les mules afin de transporter l’équipement jusqu’au camp de Aguas Blancas suspendu à plus de 3 100 mètres. C’est à cet endroit que les chercheurs ont pu apercevoir pour la première fois le volcan Tupungato à l’est. Au cours de cette étape de l’expédition, les rafales de vent ont atteint les 128 km/h.

    PHOTOGRAPHIE DE Armando Vega, National Geographic Society

     

    ESCALADER UN CHÂTEAU D’EAU NATUREL

    L’équipe a mis environ une semaine pour atteindre le sommet du Tupungato, culminant à plus de 6 500 mètres, et une autre pour le redescendre. Les membres de l’expédition ont suivi un entraînement intensif les mois précédant leur voyage. M. Perry, originaire de la Caroline du Nord, a passé des heures à escalader des sentiers escarpés équipé d’un gros sac à dos.

    Bien que la station météorologique installée au sommet du Tupungato soit composée d’un tripode en aluminium relativement léger, elle pèse tout de même 54 kilos et mesure plus de 1,80 m. Elle a été conçue pour être assez légère de manière à être transportée dans un sac à dos mais également assez solide pour résister aux vents les plus forts de la planète.

    Pour assurer sa stabilité au sommet, il a fallu près de deux heures de boulonnage et d’agrafage au moyen de câbles d’ancrage. La station est alimentée par des panneaux solaires et dispose d’une antenne satellite pour communiquer.

    Elle a déjà enregistré des vents atteignant les 180 km/h selon M. Perry.

    Les scientifiques ont installé des sondes de température à près de 1 m dans le permafrost afin de surveiller les variations de température au sein de ce sol, gelé en permanence. La station prendra également des mesures du rayonnement, de la profondeur de la neige et de l’albédo ou de la réflectivité. Puisque les précipitations de neige se font plus rares et que la glace fond, des roches sombres vont faire surface. Ainsi, le sol absorbera davantage d’énergie solaire, ce qui pourrait accélérer la fonte.

    Survoler les glaciers chiliens
    Le volcan Tupungatito, au Chili, s’élève à plus de 5 660 m mètres au-dessus du niveau de la mer. C’est l’un des quatre volcans les plus actifs aux abords de Santiago. C’est une sorte de version réduite du Tupungato, où la station météo a été installée. En survolant le glacier Tupungatito, on peut observer l’une des deux langues de glace du volcan.

    La nuit, le camp Los Penitentes s’illumine à plus de 4 400 mètres au-dessus du niveau de la mer. En arrière-plan, au nord, s’élève la montagne Sierra Bella à plus de 5 200 mètres. Au nord-est, on retrouve les Polleras, qui atteignent presque les 6 000 mètres d’altitude. Les deux montagnes font partie des plus édifiantes des Andes centrales.

    PHOTOGRAPHIE DE Armando Vega, National Geographic Society

    Hernán Puga Plaza et Manuel Mira, deux guides de montagne du groupe de grimpeurs Asesores Andinos, transportent de la nourriture, des équipements et du matériel médical jusqu’à une station située à près de 5 200 mètres.

    PHOTOGRAPHIE DE Armando Vega, National Geographic Society

     

    SE PRÉPARER POUR UNE HAUSSE DU NIVEAU DE L’EAU

    « À mesure que les températures grimpent, les glaciers vont fondre plutôt rapidement », prévient M. Matthews. « À quelle vitesse ? On ne sait pas. La plupart des observations ont été menées sur des montagnes d’altitude moyenne. On manque de données concernant les évènements qui surviennent dans le tiers supérieur. »

    Il est compliqué de prédire quelle quantité d’eau douce renferment les montagnes du Chili ou de savoir quand leur niveau atteindra une limite critique, déclare le chercheur. À court terme, la hausse des températures induira une montée des eaux qui pourra, à son tour, provoquer des inondations. Toutefois, à mesure que la fonte des glaces s’accélère, les glaciers « deviendront si petits que même s’ils fondent rapidement, il n’y aura plus beaucoup de matière à fondre », prévient M. Matthews.

    Les scientifiques ont surnommé ce tournant le « pic hydrique », à savoir le moment où un afflux d’eau à court terme se transforme en une pénurie à long terme.

    Vue du Tupungato depuis sa base. Les vues aériennes permettent aux alpinistes de se préparer à la quantité de neige qui les attend lors de leur voyage. On peut apercevoir ci-dessus le chemin que les membres de l’expédition ont emprunté jusqu’au sommet.

    PHOTOGRAPHIE DE Armando Vega, National Geographic Society

    Alors que de nombreux pays du monde s’engagent à réduire les émissions de gaz à effet de serre, le centre du Chili doit tout de même se préparer au pire.

    M. Garreaud fait preuve de prudence lorsqu’il affirme que Santiago pourrait un jour atteindre le « jour zéro » d’une pénurie d’eau. En 2018, les habitants du Cap en Afrique du Sud craignaient déjà d'atteindre ce point de non-retour. Il a foi en la capacité d’adaptation de la région. Il pense que les autorités seront à même d’utiliser l’eau de manière plus efficace en réduisant sa consommation. La ville a également entrepris la construction de sa première usine de dessalement.

    Le bassin du fleuve Maipo n’abrite que trois autres stations météorologiques de haute altitude. M. Casassa espère que bien d’autres y seront implantées. Il prévoit d’en installer d’autres dans tout le Chili avec son équipe.

     

    L’expédition jusqu’au volcan Tupungato a été organisée par la National Geographic Society et sponsorisée par Rolex dans le cadre des campagnes de Perpetual Planet.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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