Les récifs coralliens, joyaux sous-marins sous pression

Certains des plus beaux récifs coralliens du monde sont protégés aux Philippines. Mais d'autres y sont victimes du changement climatique et d'une pêche destructrice.

De Kennedy Warne, National Geographic
Publication 10 juin 2022, 18:59 CEST
Des touristes nagent avec les requins-baleines près d’Oslob, sur l’île de Cebu. Les guides lancent des ...

Des touristes nagent avec les requins-baleines près d’Oslob, sur l’île de Cebu. Les guides lancent des crevettes pour les attirer. Les scientifiques craignent que le comportement des animaux soit modifié. Mais, le tourisme pouvant remplacer la pêche dans l’économie, cela aiderait à préserver les récifs coralliens.

PHOTOGRAPHIE DE David Doubilet, Jennifer Hayes

Je traverse un désert, mais pas fait de sable. Je nage au milieu d'un amoncellement de débris, les restes pulvérisés d'un récif de corail.

Ailleurs aux Philippines, j’ai été émerveillé par la splendeur des jardins coralliens. Cette zone de la région indo-pacifique appelée le « Triangle de corail », est le plus riche réservoir de biodiversité marine de la planète.

Plus de 500 espèces de coraux vivent ici – ce qui représente les trois quarts de toutes les espèces connues. Les récifs qu’ils ont construits pourraient couvrir une surface grande comme l’Irlande. Et les Philippines, sommet du Triangle de corail, regroupent près de 1 800 espèces de poissons de récif.

Le cimetière de corail que je suis en train d’explorer ne contient pourtant que des réfugiés. En voyant un labre nettoyeur, j’ai un pincement au coeur. Le rôle de ce poisson dans l’écosystème corallien consiste à nettoyer les autres poissons, se nourrissant des parasites qu’ils ont sur le corps. Mais il n’a personne à nettoyer.

Les coraux qui l’entourent gisent, tels des arbres après un ouragan. Parmi les souches mortes, je ramasse le fond d’une bouteille en verre cassée. J’ai vu des bouteilles comme celle-là, remplies de nitrate d’ammonium et surmontées d’un détonateur et d’une mèche. Allumez  la mèche, puis jetez la bouteille à la mer. L’explosion étourdit ou tue les poissons, les laissant flotter à la surface. Les pêcheurs n’ont plus qu’à les récupérer.

Une tortue imbriquée du parc naturel du récif de Tubbataha, dans la mer de Sulu, s’arrête de manger des éponges dissimulées sous les coraux pour faire face à son reflet. Ce site est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco.

PHOTOGRAPHIE DE David Doubilet, Jennifer Hays

La pêche à l’explosif est mortelle pour les poissons et dangereuse pour les pêcheurs. Une bouteille qui explose trop tôt peut vous faire perdre une main, un bras – ou la vie. C’est comme ça qu’un pêcheur est mort, deux jours avant mon arrivée, au banc Danajon, à 30 km à l’est de l’île de Cebu, dans une région des Philippines au long passé de pêche destructeur. Bien qu’illégales, ces méthodes sont encore en usage. Elles constituent une accumulation de désastres pour les récifs coralliens, un appauvrissement plus instantané de la vie marine que les catastrophes à long terme du déclin des stocks de poissons, de la pollution et du changement climatique.

Distinguant une silhouette au loin, en train de fouiller les vestiges dynamités, je nage vers elle. De vieilles lunettes de plongée lui couvrent les yeux. À ses pieds, des morceaux de contreplaqué font office de palmes.

Afin de trouver de quoi nourrir sa famille, me dit le glaneur, il lui arrive souvent de rester dehors une demi-journée dans la chaleur brûlante, à ratisser les récifs. Il traîne derrière lui une boîte en polystyrène où il glisse ce qu’il attrape : buccins, ormeaux, oursins, crabes, poissons – s’il a de la chance. Il tient un crochet d’une main et une lance de l’autre. Il fouille, pousse, soulève, entaille le corail. Un nuage d’encre noire s’échappe alors qu’il transperce une seiche.

On assiste aujourd’hui à ces quêtes laborieuses de nourriture un peu partout dans les Philippines et le Triangle de corail, alors qu’un nombre toujours croissant d’habitants chasse des quantités de poisson de plus en plus limitées. La mer est essentielle à la survie de millions de Philippins. Dans la région du Danajon, les trois quarts des ménages dépendent de la pêche pour se nourrir et gagner leur vie. Mais, en l’espace d’une génération, les taux de capture ont été divisés par dix.

Au Danajon, un quart des poissons sont pêchés via des pratiques illégales et destructrices. Les pêcheurs de subsistance, vivant au niveau ou au-dessous du seuil de pauvreté, sont poussés par le désespoir à utiliser ces méthodes. Les Philippins ont d’ailleurs une expression : kapit sa patalim, qui signifie « prendre le couteau par la lame ». Un individu désespéré ira jusqu’à serrer le tranchant d’un couteau – enfreignant  la loi, risquant l’arrestation, détruisant les récifs qui sont sa planche de salut. Certains mois, les glaneurs récoltent à peine 250 g de fruits de mer en une heure sur ces récifs appauvris.

Je me mets à glaner, moi aussi – dans l’espoir d’apprendre comment on pourrait préserver les récifs coralliens à une époque où non seulement l’exploitation ne cesse de croître, mais aussi où les océans sont en proie à des changements profonds, d’origine humaine. Réchauffement, acidification, hausse du niveau de la mer : de bien sombres nuages s’accumulent au-dessus des récifs coralliens du monde.

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    Un corail mou rose et un Echynophyllia aspera, entourés de barbiers au large de l’île de Pescador, près de Cebu. Les récifs les plus sains des Philippines sont pleins de vie, comme tous ceux pris en photo par David Doubilet et Jennifer Hayes sur la planète.

    PHOTOGRAPHIE DE David Doubilet, Jennifer Hayes

    Au large de Palawan, j’ai eu un aperçu de ce qui va se produire : j’ai plongé dans un univers sépulcral de coraux blanchis. La température de  la mer avait dépassé le seuil à partir duquel les polypes des coraux se séparent des algues symbiotiques qui leur donnent leurs couleurs flamboyantes. De la vase s’échappait de leurs têtes moribondes. Même les poissons semblaient hébétés au coeur de ce paysage monochrome.

    Certains spécialistes des coraux disent que les événements de blanchissement massif, qui ont lieu une fois tous les dix ans, pourraient bientôt avoir lieu chaque année – la concentration en dioxyde de carbone dans l’atmosphère continuant d’augmenter. Ce que le réchauffement des océans ne tue pas, l’acidification le fera. Les récifs atteindront un point de bascule où le squelette calcaire des coraux commencera à se dissoudre plus rapidement qu’il ne peut se former.

    Lorsque cela arrivera, ils commenceront à se désintégrer. Les écosystèmes les plus diversifiés de l’océan commenceront à disparaître. Ce sombre scénario peut-il se terminer autrement ? Ou, au moins, être remis à plus tard ?

    Quand une ressource diminue, il y a deux façons de réagir : mettre la pédale douce ou y aller à fond. Les Philippins ont fait les deux. Le paysage lunaire parsemé de cratères du banc Danajon est le résultat d’une de ces approches : la surpêche destructrice des écosystèmes coralliens. Mais à Dauin, sur l’île de Negros, j’ai constaté les effets d’une autre démarche – celle de la protection des récifs  qui allège la pression sur la vie marine et permet aux populations de la côte de subvenir à leurs besoins.

    Cette approche a été développée par Angel Alcala, un biologiste philippin qui s’est fait le champion de la création de petites aires marines protégées (AMP) gérées par les communautés locales. Souvent, la raison première de la création de ces sanctuaires est la préservation de la biodiversité, mais, pour le biologiste, l’objectif principal est de venir en aide aux pêcheries. « Les Philippins sont des mangeurs de poisson », m’explique-t-il, lors de notre rencontre à l’université Silliman, au nord de Dauin. « Et, pour préserver cela, il faut des réserves marines. »

    Au début des années 1970, Angel Alcala a débuté par deux réserves-prototypes, où toute pêche était interdite. Les résultats ont été spectaculaires. En dix ans, la biomasse piscicole a été multipliée par au moins six dans les sanctuaires pour certaines espèces. À mesure que la densité de poissons dans les réserves augmentait, les pêcheurs en récoltaient les fruits grâce à un phénomène de débordement : les poissons « débordent » des réserves et atteignent des eaux où ils peuvent être capturés en toute légalité.

    Après s’être battu pour défendre les oeufs qui se trouvent dans son nid, un baliste titan épuisé se couche, dans une dernière tentative pour empêcher ses petits d’être dévorés par les girelles vertes sur Beatrice Rock, au large d’Anilao. Les coraux du récif attirent une étonnante diversité de vie marine.

    PHOTOGRAPHIE DE David Doubilet, Jennifer Hayes

    Cette réussite a attiré l’attention de Rodrigo Alanano, élu maire de Dauin en 2001, qui a décidé d’augmenter le nombre d’AMP le long du littoral de la ville. Comment a-t-il réussi à persuader les pêcheurs de subsistance de renoncer à une partie de leurs lieux de pêche traditionnels ? « En expliquant la nécessité d’avoir à la fois des zones de reproduction et des zones de pêche », me répond-il. « Je leur ai dit : “Avec un sanctuaire, les populations vont augmenter, certains poissons vont sortir du sanctuaire, et ceux-là seront pour vous. La réserve sera une zone de reproduction pour les poissons à partir de maintenant, pour vous, et pour l’avenir. Plus tard, elle deviendra un site de plongée et cela constituera une source de revenus. »

    De nombreux riverains s’y sont opposés. Rodrigo Alanano a été poursuivi en justice et a reçu des menaces de mort. Il se remémore cet épisode avec un haussement d’épaules : « En devenant maire, j’ai dédié ma vie à cette fonction. »

    Je lui demande : « Qu’est-ce qui vous a donné un tel enthousiasme ? Vous ne venez même pas d’une famille de pêcheurs. – Je suis ingénieur des mines, me répond-il. J’ai travaillé pendant  douze ans pour des compagnies minières avant d’entrer en politique. Nous avons détruit des montagnes. Je suis un destructeur de l’environnement expérimenté. J’ai un permis pour détruire. Ce que j’ai appris, c’est que, une fois que vous avez détruit l’environnement, aucun être humain ne peut le réparer. Vous ne pouvez pas le remettre en état pour vos enfants. Et, quand vous aurez tué le dernier poisson, vous réaliserez que l’argent ne se mange pas. »

    Ses arguments ont prévalu. Pendant ses neuf années à la mairie, Rodrigo Alanano a fait passer le nombre d’AMP le long du littoral de Dauin de quatre à dix. Et, comme il l’avait prévu, ces sites sont devenus une attraction pour les touristes. Dauin est désormais une destination très prisée pour la plongée, de même que des dizaines d’autres lieux à travers les 7 641 îles que comptent les Philippines. La plupart des AMP de Dauin sont désignées par les noms d’espèces de poissons qui en sont un attrait notoire : AMP Nemo/ Poisson-clown, AMP Poisson mandarin, AMP Poisson-grenouille, AMP Hippocampe.

    L’essor du tourisme a permis aux pêcheurs de développer de nouvelles activités. À Oslob, commune située sur la côte de l’île de Cebu, rares sont les membres de l’association des pêcheurs qui continuent à pêcher. Ils gagnent bien leur vie en permettant aux touristes de nager parmi les requins-baleines. Près de Puerto Galera, sur l’île de Mindoro, j’ai vu des amateurs de plongée voulant admirer les bénitiers géants se faire remorquer par des bateaux.

    Un labre à deux taches et un poisson-flûte nagent au milieu d’une colonie d’anguilles jardinières faisant environ les deux tiers de la taille d’un terrain de football, près de Dauin, sur l’île de Negros. Sociables mais timides, elles disparaissent dans leurs trous lorsqu’elles sont dérangées.

    PHOTOGRAPHIE DE David Doubilet, Jennifer Hayes

    À Dauin, plusieurs pêcheurs se sont reconvertis en moniteurs de plongée sous-marine. Amado A. Alar II dirige Bongo Bongo Divers. Il me raconte que, lors de la création des AMP de Dauin, certains pêcheurs ont refusé de perdre leurs lieux de pêche. Ils coupaient les cordes des bouées délimitant le sanctuaire, se glissaient la nuit dans les zones protégées pour attraper des poissons et en venaient aux mains avec les bantay dagat – des gardiens de la mer nommés par la municipalité – quand ils se faisaient prendre.

    Mais, lorsqu’ils ont vu leurs prises augmenter, les pêcheurs ont changé de ton. « Tout doucement, raconte Amado A. Alar II, les gens ont compris. À présent, ils protégeront le sanctuaire s’ils voient quiconque y pêcher. Car ils savent que nous disposons ici d’une frayère. »

    C’est d’ailleurs ce qui est considéré comme l’un des principaux avantages des réseaux d’AMP. Les larves de poissons se  dispersent des récifs des aires protégées vers les récifs non protégés, renouvelant ainsi les populations.

    Rene Abesamis, un collègue du biologiste Angel Alcala à l’université Silliman, a étudié ce processus dans les AMP de Dauin. Il a choisi le poisson-papillon vagabond pour ses recherches et a découvert que ses larves peuvent dériver sur une distance de 37 km avant de s’établir dans un nouvel habitat corallien.

    Savoir que les poissons du récif local pourraient venir de sanctuaires voisins a une forte influence sur les habitants. « Ça leur montre qu’ils font partie du même réseau écologique, même s’ils appartiennent à des communes différentes », explique Rene Abesamis.

    Le repeuplement mutuel, telle est la logique qui sous-tend les efforts visant à transformer les AMP en réseau national. La législation des Philippines stipule que 15 % des eaux municipales côtières doivent être protégées par des AMP interdisant tout prélèvement. Il en existe plus de 1 600 dans le pays. Malheureusement, la plupart sont minuscules et mal gérées.

    Seuls 3 % des récifs coralliens du pays sont protégés, précise Angel Alcala. « Nous avons besoin que cela augmente de 20 % à 30 %. Il s’agit de responsabiliser les communautés locales. » Et de leur donner les moyens de protéger l’investissement qu’ils ont fait. Même les sanctuaires pris en charge de façon adéquate par leurs communautés sont en proie à la pêche illégale. La  pandémie de Covid-19, qui a porté un coup terrible au tourisme, a également rendu précaires les protections marines. Même les populations locales ont pénétré dans les aires protégées pour nourrir leurs familles.

    Un banc de barbiers rouges monte dans les courants puissants du passage de l’île Verde pour manger du plancton. Le détroit riche en nutriments qui sépare les îles de Luçon et de Mindoro, est un des écosystèmes marins les plus productifs du monde.

    PHOTOGRAPHIE DE David Doubilet, Jennifer Hayes

    Mais la pêche illégale par des personnes venues de l’extérieur est une plus grande menace encore et un problème croissant. Avec des bateaux rapides et un équipement de plongée, les braconniers professionnels peuvent piller un sanctuaire en une nuit, m’explique Darrell Pasco, qui gère les ressources côtières de l’île de Siquijor, à une vingtaine de kilomètres de Dauin. L’une des AMP de Siquijor a été braconnée  quatre fois en une seule année. Les intrus, armés, viennent la nuit, par mauvais temps, raconte-t-il. Comment les bantay dagat de Siquijor, qui gagnent un salaire de misère, pourraient-ils s’opposer à de tels individus ?

    À Siquijor, comme partout ailleurs, les sanctuaires marins sont nécessaires pour soutenir les zones de pêche. Alors que les poissons à haute valeur marchande comme le mérou et le vivaneau se raréfient, des espèces autrefois considérées comme des poissons de rebut sont devenues propres à la consommation. Ainsi, les poissons-demoiselles n’étaient jamais mangés, note Darrell Pasco. Aujourd’hui, ils se vendent à prix d’or sur le marché, au même titre que les anémones de mer cuites dans du lait de coco.

    J’ai vu le défi auquel sont confrontés les pêcheurs de Siquijor lorsque je me suis glissé un matin dans une mer d’huile pour regarder des hommes remonter un piège à poissons, ou bubu, du fond marin, à environ 75 m au-dessous de nous. Le panier tressé de 4,5 m de long s’est élevé lentement. Alors que sept hommes hissent le bubu sur le pont de leur banca – le bateau à double balancier traditionnel aux Philippines –, un pêcheur tend la main et en sort un unique baliste – une prise dérisoire pour un déploiement d’une semaine.

    Le bubu suivant ne contenait aucun poisson. « Mingaw ! », a crié un pêcheur lorsque le piège est apparu à la surface. Vide. J’ai tressailli alors que de petites méduses et des tentacules cassés d’anémones de mer tombaient du piège et me piquaient la peau. Et j’ai fait la grimace devant la déception des hommes et de leurs familles. Les pêcheurs utilisant des bubu peuvent gagner à peine un euro par piège et par semaine. Les familles vivent généralement au niveau du seuil de pauvreté ou au-dessous, comme 60 % de la population côtière du pays.

    Comme le maire de Dauin, Darrell Pasco a reçu des menaces pour avoir oeuvré en faveur du déploiement des AMP et de la prévention de la pêche illégale. Pour protéger ses biens, il a pris un chien de garde et dort dans une hutte à l’extérieur de sa maison. « J’ai peur pour ma sécurité et pour celle de ma famille, mais je continue à faire mon travail. »

    Pour lui, il n’y a pas d’autre option envisageable. « Nous devons donner une éducation honnête et solide à tous les Philippins, leur apprendre que c’est à nous de prendre soin de l’océan, parce qu’il nous  procure presque tout ce dont nous avons besoin. Si nous ne le faisons pas, nous n’aurons un jour plus de poisson à attraper, et nous ne verrons des poissons que dans les livres et sur Internet. Pas dans l’océan. »

    Le tourisme contribue à atténuer la pression due à la diminution des stocks de poissons, mais tous les sites ne peuvent pas être un haut lieu de plongée. Une autre façon de réduire la demande sur les écosystèmes coralliens consiste, pour les pêcheurs, à adopter des moyens de subsistance alternatifs comme la culture marine. Sur un atoll isolé de la mer de Sulu, j’ai rencontré des familles vivant sur des plateformes en bambou dans des  lagons coralliens. Ils cultivent des algues qui produisent des carraghénanes, des polysaccharides utilisés comme stabilisateurs notamment pour les médicaments, le dentifrice ou encore les cosmétiques. Des milliers de familles philippines sont devenues cultivatrices d’algues.

    Des poissons-clowns roses s’occupent de leur anémone hôte, où ils élisent domicile, tandis que, camouflé, un poisson-scorpion à houppes se cache, presque invisible, sous le corail près de l’île de Sumilon. Les poissons-scorpions sont des maîtres du déguisement.

    PHOTOGRAPHIE DE David Doubilter, Jennifer Hayes

    À la pointe nord de Palawan, les habitants des îles Calamian se lancent dans l’élevage du concombre de mer. Je les ai aidés à faire sortir des nasses des dizaines de spécimens encore jeunes, de la taille de mon petit doigt, afin qu’ils évoluent librement dans les estuaires aux températures chaudes. En deux mois, ils atteindront la taille de grosses saucisses. Une fois séchés, les concombres de mer se vendent plus de 55 euros le kilo – dix fois plus que le mérou.

    De nombreux indices montrent que les récifs se régénèrent dès lors qu’ils ne sont plus soumis à des pressions humaines. Un exemple ? Le récif de Tubbataha, au milieu de la mer de Sulu, qui est le principal site de plongée des Philippines. L’endroit est aussi un parc national et un site inscrit au patrimoine mondial. J’y ai vu des éponges-barriques assez grandes pour qu’on puisse se blottir dedans.

    J’ai observé des nuées de poissons – orange, violets, verts, jaunes – flottant au-dessus de fines branches de corail, tandis que des requins gris de récif dormaient sur le sable corallien en dessous. Un poulpe a déroulé ses bras et, passant instantanément du brun au gris anthracite, s’est éloigné à la vitesse de l’éclair. Exceptionnels aujourd’hui, ces récifs ont été pratiquement détruits par la pêche à l’explosif dans les années 1960. La stricte application des règles interdisant tout prélèvement les a sauvés. 

    Mais survivront-ils au blanchissement et autres pressions climatiques ? La majorité des chercheurs pensent que non. On prévoit que, d’ici à 2050, plus de 90 % des récifs du Triangle de corail seront gravement menacés par les impacts climatiques. Avec le dépérissement des récifs, l’insécurité alimentaire dans la région deviendra désastreuse. Comment les habitants le long des côtes survivront-ils ?

    Les Philippines ont regardé en face un avenir apocalyptique de récifs endommagés et de mers épuisées. Le pays a compris le choix qu’il avait à faire : profiter de cette occasion pour agir ou subir la crise de plein fouet. Au cours de ces quarante dernières années, les communautés ont pris des décisions difficiles, en renonçant partout à la pêche pour avoir la possibilité d’attraper du poisson quelque part. Les Philippines se sont rendu compte que les visiteurs paieraient pour admirer des récifs florissants. Elles sont ainsi devenues gardiennes et intendantes d’un royaume océanique incomparable.

    Mais, à eux seuls, ces changements ne suffiront pas à préserver les récifs dont dépendent des millions de personnes. Le réchauffement des océans est inéluctable. L’acidification des océans est inéluctable. Les conditions météorologiques extrêmes sont inéluctables. À quoi serviront les efforts locaux face à des forces planétaires insurmontables ?

    Je demande au biologiste Wilfredo Licuanan, spécialiste des récifs coralliens et professeur à l’université de La Salle, à Manille, quelle raison lui ou un autre pourrait avoir d’être optimiste. « Nous devons retarder l’inévitable suffisamment longtemps pour qu’une lueur d’espoir, une solution qui n’est pas encore visible puisse surgir, répond-il. Je veux pouvoir au moins regarder mes élèves dans les yeux et leur dire : “J’essaie”. Je suis pessimiste, mais j’essaie. Si j’échoue, je n’abandonne pas. J’essaie encore. »

    Alors oui, nous continuons à essayer. C’est de cette façon que l’on entretient l’espoir dans un monde menacé.

    Article publié dans le numéro 273 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

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