Pour éradiquer la criminalité... créez des espaces verts

Le nettoyage des terrains abandonnés et la création de jardins communautaires ne font pas que renforcer le sentiment de sécurité d’un quartier, mais le rendent véritablement plus sûr, et de plus en plus d'études le démontrent.

De Allison Torres Burtka
Publication 19 déc. 2023, 11:31 CET
À Détroit, dans le Michigan, aux États-Unis, un potager urbain pousse sur un terrain vague. Des ...

À Détroit, dans le Michigan, aux États-Unis, un potager urbain pousse sur un terrain vague. Des études montrent qu'en cultivant des espaces verts comme celui-ci, ou en tondant simplement les terrains envahis par la végétation, les villes pourraient réduire leur taux de criminalité.

PHOTOGRAPHIE DE Melissa Farlow, Nat Geo Image Collection

La rue dans laquelle vit Darnell Ishmel, à Flint, dans le Michigan, aux États-Unis, était autrefois bordée de terrains vagues remplis d'herbes hautes jusqu’à la taille. Un véritable fléau qui ne donnait « plus envie de sortir », dit-il. « Des chiens errent juste à l'angle de la rue, alors il devenait même dangereux de conduire sur certaines intersections car il était impossible de voir la circulation en sens inverse au-delà des hautes herbes. »

Cela était vrai il y a une dizaine d'années, à l’époque où Flint était connue pour son taux élevé de criminalité violente, avant que la crise de l'eau ne frappe la ville en 2014. En 2012, selon les données du FBI, 2 774 crimes violents avaient été signalés à la police de Flint. En 2022, ce nombre s’élève à 985.

Tout comme d'autres  « villes à mauvaise réputation » ayant connu un déclin économique important et une baisse de population, Flint est toujours en difficulté. Aujourd’hui toutefois, grâce au programme Clean & Green de la Genesee County Land Bank (la banque régionale du comté de Genesee), Ishmel et des centaines d'autres habitants s’occupent de tondre la pelouse des terrains vagues. Les projets de verdissement comme celui-ci permettent d'entretenir les zones abandonnées, que ce soit en les tondant ou en les convertissant en jardins et en parcs. « Prendre soin de son quartier et éliminer ce fléau nous permet de nous sentir un peu mieux », déclare Ishmel.

Ces projets ne sont pas seulement un moyen de donner une apparence plus sûre au quartier.

Les chercheurs qui ont étudié les effets du verdissement de Flint, de Philadelphie, ou de Youngstown, dans l’Ohio, et dans d'autres villes ayant la même réputation ont montré à maintes reprises qu’il réduisait effectivement la criminalité violente. 

« C'est l'une des conclusions les plus solides que j’ai pu tirer en trente-quatre ans de recherches », déclare Marc A. Zimmerman, professeur à la faculté de santé publique de l'université du Michigan.

 

RESTAURER LES QUARTIERS DÉGRADÉS

Une étude de quarante-cinq articles a montré que la présence d'espaces verts, notamment de parcs et d'arbres, réduisait la criminalité dans les zones urbaines. À Philadelphie, des chercheurs ont établi un lien entre la plantation de gazon et d'arbres et les agressions armées.

Sur une période de cinq ans, Zimmerman et ses collègues ont comparé les rues de Flint où des membres de la communauté entretenaient les terrains vagues dans le cadre du programme Clean & Green, avec celles où les terrains vagues étaient laissés à l'abandon. Dans les rues entretenues, le nombre d'agressions et de crimes violents a diminué de près de 40 %. Une autre étude a montré que les quartiers où les pelouses étaient entretenues présentaient des taux plus faibles de maltraitance des enfants.

Cette équipe a étudié différentes itérations de verdissement, allant de la simple tonte de terrains vagues à la mise en place de jardins communautaires, de parcs et d'expositions d’art publiques. Certains projets nécessitent de faire appel à des professionnels, tandis que d'autres sont dirigés et gérés par les habitants. Dans toutes ces situations, l'écologisation réduit la criminalité. Cependant, une étude a montré que si le simple entretien des terrains vagues permettait de réduire les cambriolages, leur transformation en jardins réduisait les agressions. En outre, plus les habitants sont impliqués, plus l'effet est renforcé.

À Youngstown, les parties des rues où se trouvent des terrains vagues tondus par des professionnels présentaient une baisse de la densité des crimes violents, par rapport aux terrains non-tondus. Les segments « reverdis » par les habitants ont connu des baisses encore plus marquées. À Flint, de 2015 à 2018, dans les zones où les propriétés vacantes étaient détenues et gérées par la banque régionale, le nombre de crimes graves, violents et commis avec des armes à feu a baissé, ainsi que le nombre de crimes dont les victimes étaient des jeunes, en comparaison aux zones qui n'appartenaient pas à la banque régionale.

 

COMMENT LE VERDISSEMENT RÉDUIT-IL LA CRIMINALITÉ ? 

La baisse de criminalité, démontrée par ces études, reste difficile à expliquer. Marc A. Zimmerman, qui est également co-directeur de l'Institut pour la prévention des blessures par armes à feu, chercheur principal et directeur du Centre pour la prévention de la violence chez les jeunes du Michigan, évoque les théories des « fenêtres cassées » et des « rues animées ». Une fenêtre brisée serait le signe « que personne ne regarde, qu’il n’y aura pas de conséquences, que l'on peut commettre des actes répréhensibles et que personne ne s'en souciera », explique-t-il. Le concept de « rues animées » est l’idée opposée : l’implication des habitants dans la revitalisation des quartiers contribuerait à développer un sentiment d'appartenance à la communauté et à la renforcer.

« D'après nos recherches, cela améliore les relations qu’ont les habitants avec les autres, avec eux-mêmes, avec leur quartier, leur communauté et leur rue », explique Zimmerman. Cela indique aux personnes susceptibles de commettre des délits « que les personnes habitant le quartier y font attention et s’en soucient. »

De nombreuses recherches ont montré qu’entretenir des espaces verts améliore la santé mentale des personnes qui vivent à proximité de ces espaces. Dans l'étude concernant la maltraitance infantile, les chercheurs ont noté que « le stress étant fortement associé à la maltraitance des enfants, un lien pourrait être établi entre végétalisation des micro-quartiers et réduction du stress parental, donc de cette maltraitance. »

L'engagement des jeunes dans ces programmes peut générer un succès en matière de réduction de la criminalité, et constituer un avantage en soi. Zimmerman et son équipe ont interrogé six organisations de verdissement à travers les États-Unis, et les participants ont déclaré que les voix des jeunes devaient impérativement être entendues. 

Ishmel fait participer des jeunes à Clean & Green par l'intermédiaire de la CHANGE Foundation, une organisation à but non lucratif qu'il a fondée. Il dit voir « la fierté sur leurs visages lorsqu’ils portent leurs chemises Clean & Green et sortent avec leurs outils et leurs gants pour faire quelque chose de positif pour leur quartier. »

Tondre est l’action principale à laquelle s'adonne Clean & Green. Les organisations à but non lucratif de quartier, comme les clubs, acceptent de tondre vingt-cinq terrains régulièrement et reçoivent une allocation de vingt-cinq dollars (soit vingt-trois euros) par terrain. Le programme finance aussi des projets tels que la plantation d'espèces indigènes.

Ce travail permet également aux jeunes de faire entendre leur voix lors des réunions communautaires, explique Ishmel. « Les personnes qui y participent travaillent généralement au centre-ville et sont payées pour rédiger des rapports, faire des présentations, mener des études, etc. sur le quartier. Les habitants eux-mêmes ne sont pas toujours présents autour de la table, encore moins les jeunes », précise-t-il.

Les recherches menées par Zimmerman et ses collègues sont toujours en cours. À Détroit, ils comparent les différents types d'espaces verts, comme les terrains tondus, les jardins communautaires, les mini parcs et les expositions d’art publiques pour voir si l'un d'entre eux a plus d’effet sur la criminalité qu'un autre. Ils collaborent avec l’association Keep Indianapolis Beautiful pour mesurer les effets à long terme de ces projets, et analysent les résultats sanitaires à Flint.

 

ENGAGEMENT ET RESPONSABILITÉ

Selon certaines études, les projets de verdissement sont contagieux : les voisins des terrains verdoyants se mettent à s'occuper davantage de leur propre jardin. Cela ne signifie pas pour autant que toute la responsabilité doit revenir aux résidents.

« Je ne connais personne au monde qui aime, apprécie et trouve du plaisir à voir de la dégradation, des herbes hautes et de la vétusté. Certaines parties de l'humanité sont tombées bien en dessous des filets de sécurité et sont, d'une certaine manière, incapables de faire quoi que ce soit pour y remédier », déclare Ishmel.

Les personnes impliquées dans les travaux de verdissement insistent sur le fait que les habitants ne doivent pas être tenus pour responsables de l'état de délabrement dans lequel ils vivent.

Zimmerman explique que « les politiques racistes à long terme installent certaines personnes à certains endroits », comme le redlining, qui consistait à désigner certains quartiers comme trop « à risque » pour bénéficier de prêts immobiliers. Les personnes à faible revenu et les personnes de couleur subissent généralement de plein fouet les conséquences du déclin économique, même si elles n'en sont pas à l'origine.

« Les puissances qui ont en quelque sorte créé la situation doivent s'engager dans le processus de réparation », déclare Zimmerman.

Lorsque les espaces vacants d'un plus grand nombre de quartiers sont bien entretenus et que la criminalité diminue, les effets positifs peuvent se faire sentir sur plusieurs générations.

Être témoin d'une fusillade, par exemple, peut engendrer du stress physique et psychologique, explique Zimmerman. « Ce sont des expériences traumatisantes qui ont des effets négatifs considérables sur le développement humain, tant chez les enfants que chez les adultes. La moralité nous oblige donc à faire tout notre possible pour créer des lieux plus sûrs. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
 

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