Un accord international inédit pour limiter la pollution plastique est en cours de négociations

Ce traité sur la pollution plastique, appelé Paris Plus, devrait permettre aux nations d’aborder plus frontalement le problème des déchets plastiques. Il sera plus contraignant juridiquement que les précédents accords sur le climat.

De Laura Parker
Publication 3 mars 2022, 17:19 CET
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Des bouteilles en plastique sur le point d’être recyclées à Tokyo. Les Nations Unies ont passé un accord visant à se rapprocher de la signature d’un traité mondial pour contrer le problème que posent les déchets plastiques.

PHOTOGRAPHIE DE David Guttenfelder, Nat Geo Image Collection

Devant le siège des Nations Unies en Afrique, à Nairobi, une œuvre de plus de 9 mètres de haut illustre le flux de plastique toujours plus important qui encrasse la planète. On y voit un robinet, duquel jaillit un long flot de déchets plastiques. À l’intérieur du hall principal, cent-soixante-quinze délégués des Nations Unies ont franchi les premières étapes officielles pour couper ce robinet, le 2 mars dernier. Ils se sont accordés à négocier le premier traité mondial approfondi pour lutter contre la pollution plastique. Cette initiative est considérée comme l’accord environnemental le plus important depuis l’accord de Paris, signé en 2015.

Le cadre a été défini la semaine du 21 février, avant le vote des délégués. Il établit les lignes directrices pour la négociation du traité, laquelle devrait commencer en mai. « C’est un moment historique », a déclaré aux délégués Inger Andersen, à la tête du programme des Nations Unies pour l’environnement.

Ce monument de 9 mètres nommé Turn off the plastics tap (Coupez le robinet des plastiques) a été érigé par Benjamin von Wong, un artiste et militant canadien. Il est fait des déchets plastiques récupérés à Kibera, le plus grand bidonville de Nairobi. Il se trouve devant le siège des Nations Unies en Afrique, à Nairobi.

PHOTOGRAPHIE DE Tony Karumba, AFP, Getty

Selon les prévisions, la quantité de déchets plastiques qui se déversent dans les océans devrait tripler d’ici 2040. Le vote arrive donc à temps. Ou serait-il déjà trop tard ? Il aura fallu attendre cinq ans pour que les efforts mis en œuvre pour élaborer un accord international visant à contrôler les déchets plastiques mènent à un début d’action. Comment les Nations Unies, dont les débats prennent intentionnellement du temps, pourraient-elles proposer une solution à temps pour éviter un désastre écologique ? Ci-dessous, les réponses aux questions sur les enjeux et les raisons qui prouvent qu’un traité mondial resterait le meilleur espoir pour contenir la crise du plastique, qui elle, n’a pas de frontières.

 

Comment un traité mondial pourrait-il aider à résoudre la crise des déchets plastiques ?

Il s’attaquerait au cœur du problème, en exigeant des nations qu’elles s’engagent à nettoyer leurs déchets plastiques. Le traité serait juridiquement contraignant. Il aurait ainsi plus de poids que l’accord de Paris, qui demande que les nations s’engagent volontairement à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. « C’est un peu comme un “Paris Plus” », indique Chris Dixon, directeur adjoint de la campagne sur les océans de l’Environmental Investigation Agency, basée au Royaume-Uni. « Les détails seront les plus importants à gérer mais ils permettront de s’assurer que toute l’ambition du mandat est respectée. Nous ne sommes qu’au début du processus, pas à sa fin. »

 

Ce processus pourrait-il être accéléré ?

Les négociateurs annoncent parvenir à un accord d’ici deux ans, un délai étonnement rapide pour les Nations Unies. L’organisation a commencé à chercher des solutions aux déchets plastiques en 2017. En 2019, les États-Unis, les plus grands producteurs de plastique par habitant du monde, ont été blâmés pour avoir entravé les démarches visant à entamer des discussions, puisque l’administration Trump s’opposait à un tel traité. En novembre dernier, le pays a fait volte-face. De paire avec la France, tous deux ont annoncé leur soutien à l’élaboration d’un traité juridiquement contraignant. L’approche se base sur un traité contre la pollution au mercure, la convention de Minamata, conclu en tout juste trois ans. En outre, il pourrait prendre moins de temps que l’accord destiné à contrer le changement climatique.

 

Quel évènement a poussé l’avancement de ce projet ?

Les déchets plastiques se sont accumulés ces dernières années. On en retrouve dans chaque partie du monde. Puisque la production plastique a augmenté, plus que pour n’importe quelle autre matière, le problème que posent ces déchets a été abordé plus urgemment. Par conséquent, cette situation a suscité un fort soutien de tous les horizons pour l’élaboration d’un traité mondial. L’American Chemistry Council, un groupe commercial industriel, s’était opposé à un traité juridiquement contraignant en 2019. Aujourd’hui, ils y sont favorables. Deux propositions ont ensuite commencé à circuler, l’une par le Pérou, l’autre par le Japon. Les signes de soutien se sont ainsi accumulés. Lorsque les négociateurs se sont réunis dans la capitale kényane le mois dernier, plus de trois-cents scientifiques, plus de cent-quarante nations, et près de cent dirigeants de grandes multinationales affirmaient publiquement leur soutien au projet. On comptait même certains des plus grands utilisateurs de plastique : la Coca Cola Company, PepsiCo et Unilever.

 

Quels sont les sujets abordés ?

Les termes du cadre ne sont qu’un guide pour les réelles négociations du traité. De fait, ils sont simples pour de nombreux sujets. Par exemple, les négociateurs ont dû définir ce que signifiait le cycle de vie du plastique. Le traité pourrait se concentrer sur le moment où le plastique est considéré comme un déchet. Dans ce cas, les solutions devraient s’articuler autour de la diffusion des programmes de réutilisation, de recyclage et d’une gestion des déchets mieux financée. Autrement, le cycle de vie du plastique est peut-être plus long. Cela signifierait que le traité devrait aborder l’ensemble des étapes, de la production de plastique vierge à la conception des emballages, en passant par la distribution pour terminer par son élimination après usage. L’industrie s’est focalisée sur la gestion des déchets mais les négociateurs ont préféré opter pour la définition plus élargie. S’attaquer au problème sous des angles différents offrira davantage de possibilités d’intervention. Cela permettrait de réduire la quantité d’emballages qui deviennent des déchets ou même les supprimer.

 

Pourquoi avons-nous besoin d’un traité international ? N’y a-t-il pas déjà de nombreuses nations qui s’occupent de ce problème ?

Ce problème touche le monde entier. C’est pourquoi une solution d’aussi grande ampleur est nécessaire. On estime que près de huit millions de tonnes de plastique sont rejetées dans les mers chaque année, qui se déversent ensuite dans les océans. Les règlementations d’une nation n’empêchent pas les déchets d’une autre d’atteindre ses rivages. L’interdiction des sacs en plastique dans un pays n’empêche pas son voisin d’en faire de la contrebande pour en tirer un joli profit. Les déchets plastiques sont au cœur du commerce international. Il est donc nécessaire de mettre en place des accords internationaux. Plus important encore, aucune norme ou politique uniforme et mondiale n’existe actuellement pour encadrer l’industrie. Le plastique biodégradable est défini différemment selon le fabricant. Presque personne n’arrive à démêler les différentes règles sur quels plastiques doivent être jetés dans quelle poubelle. En attendant, les multinationales opérant dans plusieurs pays se retrouvent à éplucher des centaines de règlementations sur lesdits problèmes, notamment la conception des produits ou l’épaisseur de l’emballage. Ces entreprises soutiennent vivement l’harmonisation des définitions, la mise en place de mesures pour les rapports et des méthodologies permettant de simplifier leurs pratiques et d’améliorer la gestion des déchets.

 

À quel point le problème des déchets plastiques est-il grave ?

Aujourd’hui, 40 % du plastique fabriqué est destiné aux emballages. Ils sont la plupart du temps jetés quelques minutes après leur ouverture. Dans le monde, à peine 9 % du plastique est recyclé. Les déchets et la production sont tous deux en hausse. De 1950 à 2020, la production de plastique, matière issue des énergies fossiles, a augmenté de 2 millions de tonnes à plus de 500 millions de tonnes par an. Il est estimé que la production atteigne 1 milliard de tonnes d’ici 2050. Les scientifiques, les militants et les élus s’accordent de plus en plus à dire que la production de plastique doit diminuer pour véritablement contrer le problème des déchets. L’industrie, elle, ne partage pas la même opinion.

 

Le cadre de l’accord prévoit-il un plafonnement ou une réduction de la production de plastique vierge ?

Non. Le cadre ne prévoit pas non plus d’obligation à fournir des chiffres sur la production ni d’autres mesures. La collecte de données relatives à la production représente pourtant la première étape avant toute élaboration de règlementation. Un pas que l’industrie voudrait éviter. À ce sujet, le cadre n’adresse qu’une seule phrase. Il indique aux négociateurs de « spécifier les rapports nationaux, le cas échéant ». La directive n’est pas forte mais laisse entrevoir la possibilité d’établir des discussions plus précises lors des négociations.

 

Le cadre a reçu les éloges de toutes les parties impliquées. L’International Council of Chemical Associations a déclaré dans un communiqué qu’il était « ravi de l’issue de cet accord juridiquement contraignant et [qu’il] le soutenait pleinement ».

Ellen MacArthur, fondatrice de l’organisation à but non lucratif Ellen MacArthur Foundation, est favorable à la création d’une « économie circulaire » pour réduire les déchets de toute sorte grâce à la réutilisation et au recyclage. Pour elle, cet accord contraignant est la clé pour s’attaquer « aux racines mêmes de la pollution plastique, et non juste à ses conséquences ».

Le 2 mars à Nairobi, M. Anderson a déclaré à la délégation des Nations Unies que la conclusion d’un accord pour mener à l’élaboration d’un traité « aurait été impensable il y a quelques années encore. Toutefois aujourd’hui, [ils franchissent] une étape cruciale pour inverser le cours de la pollution plastique ». Il a poursuivi avec une anecdote personnelle. Quelques années avant sa naissance, sa mère écoutait discrètement la discussion de deux hommes d’affaires américains dans un café au Danemark. Devant eux, des blocs colorés étaient disposés sur la table. Ils étaient faits d’une nouvelle matière étrange. C’est alors qu’elle a entendu l’un d’eux annoncer : « Ça, c’est du plastique. Ça, c’est l’avenir. »

« Vous voyez. En l’espace d’une vie, nous avons mis au monde un énorme problème. […] Désormais, nous devons faire en sorte que la manière insensée dont nous fabriquons et utilisons le plastique appartienne au passé », conclut M. Anderson.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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