Avec Artemis I, la NASA retourne (enfin) sur la Lune

Après les faux départs et les contretemps météorologiques, la plus puissante des fusées de la NASA s'est élancée vers la Lune. La capsule Orion s'apprête à vivre quatre semaines chargées.

De Michael Greshko
Publication 22 nov. 2022, 08:45 CET
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Décollage du Space Launch System depuis le centre spatial Kennedy de la NASA dans le cadre de la mission Artemis I, dont l'objectif est de lancer un nouveau vaisseau spatial pour un vol non habité vers la Lune.

PHOTOGRAPHIE DE Dan Winters, National Geographic

Alors que le jour s'apprête à se lever sur le centre spatial Kennedy, l'éclat d'un soleil artificiel triomphe sur les reflets argentés du croissant de Lune.

Dans la nuit du 15 au 16 novembre, à 1h47, heure de l'Est (7h47, heure de Paris), la fusée la plus puissante jamais lancée a transpercé le ciel nocturne de la Floride. Cet engin volant de 30 étages, le Space Launch System, s'est élancé vers l'espace au sommet d'une colonne de flammes qui a illuminé l'ensemble des spectateurs réunis pour l'occasion.

Après la foudre est arrivé le tonnerre. L'onde de choc des 3 979 tonnes de poussée a résonné jusque dans la poitrine des observateurs installés à près de cinq kilomètres de là. Moins de 8 minutes après le décollage, au terme d'une accélération à plus de 27 000 km/h, la fusée grésillante n'était plus qu'une tête d'épingle brillant dans la nuit.

« J'adore ce moment où elle se confond avec les étoiles, » s'est exclamée Christina Koch, une astronaute de la NASA qui assistait au décollage depuis la pelouse jouxtant le compte à rebours du centre spatial. « Plutôt joli », murmurait le scientifique en chef du programme d'exploration de l'agence spatiale, Jacob Bleacher.

Le lancement inaugural de la dernière née des fusées de la NASA a permis d'envoyer le vaisseau spatial Orion sur la première partie d'un voyage aller-retour de quatre semaines pour la Lune. Équipé d'une multitude d'instruments scientifiques conçus pour surveiller le vol et réaliser des expériences en cours de route, cette boule de métal grande comme deux minibus s'apprête à subir une série de tests rigoureux destinés à certifier l'appareil pour les futures missions habitées.

« Ce que vous avez accompli aujourd'hui sera une source d'inspiration pour les générations à venir. Plus l'ascension est longue, plus la vue est belle. Ce soir, nous avons montré à la Space Coast à quel point la vue pouvait être belle. » C'est avec ces mots que la directrice du lancement de la mission, Charlie Blackwell-Thompson, s'est adressée aux membres de son équipe peu après le décollage.

Artemis I est une mission non habitée, la première du programme Artemis de la NASA dont l'objectif est de renvoyer l'Homme sur la Lune après plus de cinquante ans. Si tout se déroule comme prévu, les premiers astronautes pourraient fouler la surface lunaire dès 2025, suivis par une série de missions visant à établir une présence permanente. L'agence spatiale américaine a promis que le premier équipage à retourner sur la Lune compterait à son bord la première femme et la première personne de couleur. « Nous retournons sur la Lune pour vivre et apprendre dans le but d'aller sur Mars, » déclare Bill Nelson, l'administrateur de la NASA. « C'est notre prochaine grande aventure. »

Premier vol lunaire du programme, la mission Artemis I devrait durer 26 jours environ, soit légèrement plus que le cahier des charges de la capsule Orion avec équipage. La NASA estime à 1 sur 125 le risque de perdre le vaisseau spatial en cours de vol, notamment à cause des débris ou d'éventuelles défaillances du système. En outre, le bouclier thermique devra faire ses preuves lors de son retour sur Terre à la vitesse infernale de 40 000 km/h.

« Nous avons tourné la première page d'un tout nouveau chapitre de l'exploration spatiale, » déclare Bleacher. « Tout ce que nous allons entreprendre à partir de maintenant sera basé sur ce lancement. Artemis I va nous fournir les données qui nous donneront l'assurance nécessaire pour envoyer là-haut nos amis, nos astronautes. »

 

NOUVEAU PROGRAMME LUNAIRE

Le lancement marque la fin spectaculaire de plusieurs mois d'hésitation pour le programme, dont le coût est estimé à 93 milliards de dollars (90 milliards d'euros) jusqu'en 2025 et qui a déjà dû surmonter plus d'une décennie de problèmes techniques, retards et autres dépassements budgétaires dans son odyssée vers la Lune.

Le 29 août dernier, une première tentative de lancement en présence de la vice-présidente Kamala Harris et d'une pléiade de vedettes a été annulée en raison des conditions météorologiques, d'un capteur de température mal en point et d'une fuite dans le réservoir à hydrogène. Début septembre, une seconde tentative a révélé de nouvelles fuites d'hydrogène nécessitant des réparations. Fin septembre, l'arrivée de l'ouragan Ian de catégorie 4 a contraint la NASA à rester à quai.

Après avoir rapatrié la fusée dans le Vehicle Assembly Building pour maintenance et l'avoir ressortie début novembre, un processus long et méticuleux, la NASA a dû affronter une nouvelle tempête : l'ouragan Nicole de catégorie 1, un cyclone de novembre, comme il s'en fait peu, qui a touché terre à une centaine de kilomètres au sud du centre spatial Kennedy. La fusée a essuyé des vents approchant les 160 km/h qui ont malmené le calfeutrage dans la partie supérieure du véhicule, sans infliger de dégâts majeurs. Après plusieurs inspections, l'agence spatiale a donné le feu vert pour le lancement.

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    Le Space Launch System de la NASA illumine la brume nocturne du centre spatial Kennedy, avec le compte à rebours visible au premier plan. 

    PHOTOGRAPHIE DE Dan Winters, National Geographic

    C'était sans compter une nouvelle fuite d'hydrogène apparue à peine quelques heures avant le décollage. Alors que les réservoirs de la fusée étaient pleins, la NASA a dépêché une équipe sur le pas de tir pour resserrer à la main les boulons de la valve défectueuse. « La fusée est vivante. Elle craque, elle respire, c'est assez effrayant, » déclarait Trent Annis, l'un des techniciens chargés de la réparation, juste après le décollage. « Mon cœur battait à 100 à l'heure, j'étais très nerveux, mais oui, on a fait le travail aujourd'hui. »

    Après un ultime retard dû à cette réparation valeureuse et impromptue, la mission Artemis I a enfin pu se libérer du joug de la gravité. Le décollage n'était que l'ouverture d'une délicate symphonie. Après 2 minutes et 12 secondes de vol, les propulseurs du SLS se sont détachés pour aller rejoindre l'océan Atlantique ; 6 minutes et 18 secondes plus tard, c'était au tour de la masse orange vif du premier étage d'entamer sa descente vers l'océan Pacifique. L'étage supérieur a ensuite continué sur sa lancée avant de libérer, une heure et demie plus tard, la capsule Orion à destination de la Lune.

    Le 21 novembre, Orion exécutera une manœuvre critique en allumant son moteur principal pour se rapprocher de la surface lunaire, jusqu'à une altitude de 96 km, avant de rejoindre une orbite plus éloignée à l'aide d'un nouvel allumage du moteur, le 25 novembre. Six jours plus tard, Orion mettra à nouveau les gaz pour quitter la Lune et regagner sa planète natale.

    Après une descente mouvementée à travers l'atmosphère terrestre, Orion ouvrira ses trois parachutes pour plonger dans l'océan, le Pacifique, probablement, mais avec un plan de secours vers l'Atlantique. La récupération du vaisseau spatial par l'armée des États-Unis impliquera plus de 500 participants, une répétition grandeur nature cruciale pour les futures missions habitées. Avant même l'amerrissage de la capsule, l'équipe aura effectué six essais de récupération avec des maquettes, ainsi qu'une répétition complète quelques jours avant la grande première.

    « Nous avons pris beaucoup de plaisir, mais nous avons également beaucoup travaillé, » témoigne Melissa Jones, responsable de l'atterrissage et des opérations de récupération pour la NASA. « Nous n'avons pas récupéré de capsule dans l'eau depuis plus de 50 ans, il a donc fallu tout reprendre à zéro. »

     

    UN PIED-À-TERRE DANS L'ESPACE

    L'immense fusée, la capsule en forme de dôme, la Lune ; malgré ces similarités avec Apollo, l'ambition du programme Artemis est différente. Cette fois, comme l'affirme la NASA, nous n'allons pas sur la Lune pour de courtes expéditions, nous y allons pour rester.

    Prévue au plus tôt pour mai 2024, la mission Artemis II enverra un équipage de quatre astronautes en orbite autour de la Lune. L'agence a ensuite programmé la mission Artemis III qui marquera la première excursion habitée sur le sol lunaire. Deux astronautes seront transférés de la capsule Orion en orbite vers l'atterrisseur conçu par SpaceX qui les attendra pour les déposer à la surface. La cible est un site proche du pôle Sud lunaire où se trouvent de la glace et d'autres ressources essentielles au maintien d'une présence humaine à long terme.

    Les véhicules pour Artemis II et III sont déjà en construction. À La Nouvelle-Orléans, au cœur du centre d'assemblage Michoud de la NASA, les ingénieurs apportent les dernières finitions au premier étage orange du SLS pour la mission Artemis II. Pendant ce temps, au centre spatial Kennedy, des techniciens en combinaison intégrale assemblent la capsule Orion pour la même mission. Dans une autre section de la même salle inondée de blanc, c'est le vaisseau de la mission Artemis III qui prend forme.

    Pour les astronautes, assister à l'éclosion des véhicules Artemis est un rêve devenu réalité. « Aucun engin de cette taille n'a été lancé de mon vivant. Je n'ai jamais rien vu de tel, » déclare l'astronaute Jessica Meir de la NASA. « Je commence seulement à réaliser. »

    « C'est comme attendre un cadeau quand on est enfant, on le veut plus que tout, on en rêve, et notre anniversaire arrive bientôt, » ajoute Luca Parmitano, astronaute pour l'Agence spatiale européenne.

     D'autres équipements sont en cours de développement pour des missions encore plus ambitieuses. À commencer par Artemis IV : la NASA prévoit de construire une station spatiale minimaliste en orbite autour de la Lune qu'elle baptisera Gateway. Les astronautes pourront l'utiliser comme base pour une série de missions vers le même pôle Sud afin d'y construire des infrastructures, comme des centrales électriques, des pistes d'atterrissage, des systèmes de communications et des habitations capables d'accueillir les équipages pour des séjours de trente jours.

     

    UN TREMPLIN COSMIQUE

    Malgré son statut de vol test, la mission Artemis I embarque également des équipements scientifiques visant à préparer les expéditions habitées. Deux heures après le décollage, alors que la capsule Orion se séparait de l'étage supérieur du SLS, une flottille de satellites miniatures a quitté le navire pour explorer le système solaire. Certains de ces CubeSats iront sur la Lune, comme le japonais OMOTENASHI censé déployer un « nanoatterrisseur » qui tentera de devenir le plus petit atterrisseur lunaire de l'histoire. D'autres iront explorer des contrées plus lointaines. C'est notamment le cas du Near-Earth Asteroid Scout de la NASA qui hissera une voile réfléchissante de 85 mètres carrés gonflée par le Soleil pour rejoindre l'astéroïde 2020 GE, un géocroiseur mesurant à peine 18 mètres d'envergure.

    Trois mannequins anatomiques truffés de capteurs mesureront les forces du vol spatial et l'exposition aux radiations. La capsule Orion dissimule également des semences, des champignons, de la levure et des algues dans le conteneur Biological Experiment-1. Ces spécimens permettront d'étudier la réaction de la vie aux conditions difficiles de l'espace lointain, ainsi que les conséquences de la micropesanteur pour différentes formes de vie.

    « Lorsque je parle de la Lune avec mes filles, je leur dis que papa a envoyé une expérience là-bas , » témoigne Luis Zea, ingénieur en aérospatiale au sein de l'université du Colorado à Boulder et l'un des principaux chercheurs du projet biologique. « J'espère que nos efforts scientifiques collectifs seront source de progrès en ouvrant la voie à une exploration spatiale durable et sans danger. »

    Bien que la Lune soit une cible scientifique importante abritant de précieuses informations géologiques sur les 4,5 milliards d'années du système solaire, elle offre également un terrain idéal pour l'objectif ultime de la NASA : une expédition habitée sur Mars vers la fin des années 2030. La Lune et Mars sont deux astres différents à bien des égards, comme la présence d'une atmosphère sur Mars, mais tous deux offrent des paysages hostiles où des technologies telles que les rovers pressurisés ou les combinaisons spatiales de nouvelle génération seront nécessaires.

    « Tout comme la Lune, Mars soulève de nombreuses questions scientifiques. La préparation des astronautes pour atteindre la planète rouge exige de commencer par la Lune pour apprendre avant d'aller plus loin, » explique Kate Calvin, scientifique en chef de la NASA.

     

    CAP VERS DE NOUVEAUX MONDES

    Alors que quelques jours suffisent à visiter la Lune, il faudra plusieurs mois pour atteindre Mars. Quant à savoir si le programme Artemis débouchera sur une expédition martienne, tout est une question d'argent et de volonté politique. La réalisation des objectifs ambitieux du programme reposera également sur un soutien dont Apollo n'a jamais bénéficié : la participation d'autres pays. La Station spatiale internationale est le fruit de plusieurs dizaines d'années de collaboration entre les États-Unis, la Russie, le Canada, l'Europe et le Japon. Vingt ans plus tard, la communauté spatiale internationale n'a jamais été aussi grande et diversifiée.

    Alors que la NASA et Lockheed Martin ont pris en charge la construction du module d'équipage de la capsule Orion qui abritera les astronautes, le système d'alimentation et le moteur principal du vaisseau spatial s'inscrivent dans le Module de service européen (ESM) fabriqué par l'Agence spatiale européenne avec l'aide du constructeur aéronautique français Airbus.

    « À travers l'ESM, l'Europe est pour la première fois un partenaire clé avec un élément essentiel au déroulement d'une mission phare de la NASA. Il faut apprécier cela à sa juste valeur, c'est énorme, » déclare le directeur général de l'ESA, Josef Aschbacher. « Pour nous, c'est un nouveau chapitre qui s'ouvre sur la Lune, et c'est une première pour l'Europe. »

    La NASA s'est associée à l'ESA et aux agences spatiales du Canada et du Japon en vue de construire Gateway, la station spatiale lunaire Gateway. Les États-Unis et vingt autres pays ont également signé les accords Artemis, un ensemble de « principes de coopération pour l’exploration et l’utilisation civiles à des fins pacifiques de la lune, de mars, des comètes et des astéroïdes ». Dès la mission Artemis II, un astronaute canadien fera partie de l'équipage. À partir d'Artemis III, l'Europe pourra organiser des vols pour les astronautes européens.

    De nos jours, l'exploration spatiale est également le terrain de jeu des entreprises privées, que ce soit avec ou sans l'aide du gouvernement. Certaines envoient déjà des astronautes sur la Station spatiale internationale ; d'autres s'apprêtent à envoyer leurs propres atterrisseurs robotisés sur la Lune.

    « Nous avons entraîné le monde entier dans cette quête, » déclare Charlie Bolden, ex-administrateur de la NASA. « À présent, le retour sur la Lune et le voyage sur Mars sont au centre de tous les efforts. Tant que nous pouvons maintenir cet enthousiasme, tout ira bien. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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