Des astronomes détectent les premières ondes gravitationnelles basse fréquence

En observant le ballet donné par d'anciennes étoiles, une équipe de chercheurs est parvenue à identifier des ondulations titanesques de l'espace-temps, probablement causées par la collision de trous noirs supermassifs.

De Charles Q. Choi
Publication 30 juin 2023, 10:18 CEST
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Plus tôt cette année, les scientifiques ont détecté pour la première fois des ondes gravitationnelles basse fréquence. Ces ondes sont émises lorsque les deux trous noirs d'un système binaire entrent en collision et fusionnent après s'être progressivement rapprochées l'un de l'autre en formant une spirale, comme le montre l'illustration ci-dessus. 

ILLUSTRATION DE Mark Garlick, SCIENCE PHOTO LIBRARY

À travers une série de nouvelles études, une équipe d'astronomes vient d'annoncer la toute première détection de prodigieuses oscillations de l'espace-temps, dont la longueur d'onde s'exprimerait en années-lumière. L'ampleur de ces ondes gravitationnelles coïncide avec l'échelle que les scientifiques attendent de la fusion de trous noirs supermassifs affichant chacun plusieurs milliards de masses solaires.

En étudiant la période du signal radio émis par un amas virevoltant de résidus stellaires, appelé pulsar, les chercheurs du North American Nanohertz Observatory for Gravitational Waves (NANOGrav) ont réussi à identifier ces ondes gravitationnelles. Cette découverte, réalisée à l'aide d'un détecteur naturel positionné à plusieurs milliers d'années-lumière, promet de jeter une lumière nouvelle sur le rôle des trous noirs dans la formation de l'univers. De plus amples recherches sur ces perturbations de l'espace-temps pourraient également nous en apprendre plus sur les instants qui ont suivi le Big Bang et nous aider à percer différents mystères, notamment la nature de la matière noire, qui représenterait plus de 80 % de toute la matière contenue dans l'univers.

En accélérant, tout objet doté d'une masse génère des distorsions qui se déplacent à la vitesse de la lumière, étirant et comprimant l'espace-temps sur leur passage : ce sont les fameuses ondes gravitationnelles. Théorisées par Albert Einstein en 1916, les scientifiques ont découvert les premières preuves de leur existence en 2015 à l'aide du Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory (LIGO), une installation capable de détecter les distorsions microscopiques induites par le passage des ondes dans la matière. Ces ondulations sont particulièrement utiles pour nous fournir des informations sur des objets qu'il nous est impossible d'observer à l'aide de la lumière, comme les trous noirs.

En Virginie-Occidentale, le Green Bank Telescope de l'observatoire de Green Bank s'inscrit dans le programme NANOGrav visant à détecter les ondes gravitationnelles de basse fréquence. Ce radiotélescope fait partie de la United States Radio Quiet Zone, au sein de laquelle les signaux de télécommunication sont interdits pour éviter les interférences avec les divers télescopes installés dans le périmètre.

PHOTOGRAPHIE DE Andrew Caballero-Reynolds, AFP, Getty Images

Les ondes électromagnétiques se déclinent en une variété de fréquences et de longueurs d'onde, deux grandeurs inversement proportionnelles : les rayons Gamma d'une part, avec leurs hautes fréquences et courtes longueurs d'onde, et les ondes radio d'autre part. Pour les ondes gravitationnelles, le principe reste le même. Le LIGO se spécialise dans la détection d'ondes gravitationnelles à haute fréquence, dont la longueur d'onde avoisine les 3 000 km. « LIGO détecte les variations sur des périodes brèves, » indique Sarah Vigeland, physicienne au sein de l'université du Wisconsin à Milwaukee et membre du programme NANOGrav.

Pour la première fois, une équipe de scientifiques est parvenue à détecter des ondes gravitationnelles basse fréquence avec une longueur d'onde si élevée qu'il faudrait à la lumière plusieurs années, voire plusieurs décennies, pour relier deux crêtes successives. Leurs résultats font l'objet de cinq études publiées dans la revue Astrophysical Journal Letters.

« Nous venons d'ouvrir un tout nouveau chapitre de l'univers des ondes gravitationnelles, » déclare Vigeland. « Nous observons des variations qui s'étalent sur plusieurs mois à plusieurs années. »

 

DÉTECTEUR GALACTIQUE

Pour détecter ces vagues colossales, les scientifiques avaient besoin d'un réseau de capteurs bien plus vaste que la Terre. Ces quinze dernières années, NANOGrav a analysé une multitude d'étoiles mortes à travers la Voie lactée afin de créer un détecteur d'ondes gravitationnelles à l'échelle de notre galaxie.

Les chercheurs ont axé leurs efforts sur des objets appelés pulsars millisecondes, nés de l'explosion d'étoiles massives en supernova. Dotés d'une vitesse de rotation élevée, ces résidus stellaires denses émettent des faisceaux d'ondes radio jumeaux depuis leurs pôles magnétiques, clignotant donc à la manière d'un phare. Chaque fois que ces faisceaux balaient la Terre, les radiotélescopes détectent une impulsion, à raison de plusieurs centaines par seconde, avec une précision extrême dictée par la trotteuse d'une horloge galactique.

« Nous avons piraté la galaxie pour en faire une formidable antenne à ondes gravitationnelles, » illustre Stephen Taylor, astrophysicien de l'université Vanderbilt à Nashville et président du programme collaboratif NANOGrav.

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    Les scientifiques ont surveillé 68 pulsars du genre dans un rayon de quelques milliers d'années-lumière de la Terre. Puisque l'espace-temps s'étire et se contracte sous l'effet des ondes gravitationnelles, celles-ci affectent également les délais entre deux impulsions radio, parfois en les retardant et d'autres fois en les accélérant, toujours de manière unique et prévisible. Les astronomes ont également observé ces variations avec des pulsars doubles suivant un profil dépendant de la distance entre chaque membre du binôme, ce qui soutient l'idée d'une onde gravitationnelle affectant les deux objets et suggère que les observations de NANOGrav n'étaient pas de simples fluctuations aléatoires.

    Ces variations temporelles représentent une flexion de l'espace entre la Terre et les pulsars équivalente à la longueur d'un terrain de football. À titre de comparaison, les distorsions spatiales détectées par LIGO sont plus petites que le noyau d'un atome et les ondes gravitationnelles auxquelles s'intéresse l'installation transportent un million de fois moins d'énergie.

    « Les ondes gravitationnelles ne proviennent pas des pulsars eux-mêmes, » précise Taylor. « Nous utilisons les pulsars comme composants de notre détecteur, en les chronométrant pour détecter une éventuelle dilatation de l'espace-temps. »

    Le signal radio produit par les pulsars est très faible, c'est pourquoi les chercheurs ont dû cumuler plusieurs milliers d'heures d'observation sur certains des plus grands radiotélescopes au monde : l'observatoire d'Arecibo à Porto Rico, le Green Bank Telescope en Virginie-Occidentale et le Very Large Array du Nouveau-Mexique. Ce « réseau de chronométrie des pulsars » a permis de consigner les temps de passage des impulsions radio au millionième de seconde près.

     

    AU BAL DE L'ESPACE-TEMPS

    Derrière les ondes gravitationnelles récemment détectées se cachent probablement des systèmes binaires de trous noirs supermassifs dont la masse pourrait atteindre 100 millions à 10 milliards de masses solaires. À l'inverse, les ondes gravitationnelles détectées par LIGO provenaient probablement de collisions impliquant des trous noirs plus petits ou des étoiles à neutrons dont les masses ne dépassaient pas quelques dizaines de masses solaires.

    « L'utilisation d'un détecteur grand comme notre galaxie, composé de pulsars à la rotation extrême, pour mesurer des ondes gravitationnelles étalées sur plusieurs années et produites par des systèmes binaires de trous noirs supermassifs peut sembler digne d'une œuvre de science-fiction, » déclare Scott Ransom, astronome au National Radio Astronomy Observatory de Charlottesville, en Virginie, et membre du programme NANOGrav.

    Aux yeux des astronomes, les trous noirs supermassifs occupent le centre des plus grandes galaxies de l'univers. Lorsque deux galaxies fusionnent, leurs trous noirs glissent vers le cœur de la nouvelle galaxie en formant un système binaire qui produit des ondes gravitationnelles à mesure que les deux colosses se rapprochent l'un de l'autre, une orbite après l'autre.

    Pendant longtemps, les physiciens théoriciens se sont demandé s'il était possible que de tels trous noirs finissent par se retrouver après la violence des fusions galactiques. Une autre inconnue était la capacité de ces binômes à se rapprocher suffisamment pour générer des ondes gravitationnelles détectables, un sujet connu sous le nom de « problème du parsec final. »

    Les récentes découvertes montrent qu'il existe bel et bien des systèmes composés de trous noirs supermassifs à proximité l'un de l'autre. Au moment où ces deux objets sont suffisamment proches pour être détectés par les réseaux de chronométrie des pulsars, leur sort est scellé, ils sont condamnés à entrer en collision dans les millions d'années à venir.

    À la grande surprise des chercheurs, la puissance du signal de l'onde gravitationnelle était environ deux fois supérieure à la valeur attendue, laissant entendre que les trous noirs supermassifs seraient plus répandus ou plus massifs que dans leurs prévisions. Ces résultats suggèrent que les trous noirs supermassifs binaires se compteraient par centaines de milliers dans l'univers, peut-être même par millions. De tels renseignements « devraient nous aider à comprendre comment et à quelle fréquence les plus grandes galaxies de l'univers fusionnent et grandissent, » explique Ransom.

     

    ANOMALIES COSMIQUES

    À en croire de précédents travaux, il existerait même d'autres sources d'ondes gravitationnelles basse fréquence encore plus étranges. Ainsi, dans la seconde qui a suivi le Big Bang, alors que l'univers était encore chaud et en rapide expansion, les variations aléatoires de densité auraient pu concentrer des poches de matière au point de former des trous noirs suite à leur effondrement. De masse inimaginable et en grande partie invisibles, ces trous noirs primordiaux « pourraient constituer la matière noire de l'univers », au lieu d'une particule encore inconnue à ce jour, raconte Antonio Riotto, cosmologiste à l'université de Genève, non impliqué dans l'étude NANOGrav.

    Parmi les autres sources potentielles, citons les cordes cosmiques, des filaments à la densité extraordinaire plus fins que le noyau d'un atome. Selon certains modèles théoriques, ces objets hypothétiques auraient vu le jour dans l'univers primitif, alors que le cosmos était en proie à un refroidissement abrupt dans le sillage du Big Bang, à la manière des fissures qui apparaissent sous l'effet du gel. Lorsque ces cordes cosmiques entrent en vibration, elles pourraient générer des ondes gravitationnelles.

    Des ondes gravitationnelles ont également pu être produites par un sursaut de croissance titanesque survenu immédiatement après le Big Bang : l'inflation cosmique. En étudiant de telles ondes, les chercheurs pourraient se familiariser avec la formation du cosmos tout entier. Par ailleurs, même si les systèmes binaires de trous noirs supermassifs semblent offrir l'explication la plus plausible aux observations de NANOGrav, « il pourrait être intéressant de s'apercevoir que le signal provient de l'univers primitif, » imagine Gabriele Franciolini, physicien théoricien à l'université Sapienza de Rome, non impliqué dans la nouvelle étude.

    D'autres réseaux de chronométrie des pulsars font état d'observations laissant penser à des ondes gravitationnelles basse fréquence, notamment en Australie, en Chine, en Europe et en Inde. « Les futures mesures des réseaux de chronométrie des pulsars vont augmenter la précision des données et nous indiquer la source la plus probable de ces ondes, » assure Ville Vaskonen, cosmologiste à l'université de Padoue en Italie, également extérieur aux récents travaux.

    En 2020, peu de temps après la collecte des données pour l'enquête NANOGrav, l'observatoire d'Arecibo s'est malheureusement effondré. Les futurs résultats NANOGrav incluront les données du télescope CHIME au Canada, qui a rejoint le projet en 2019. « Plus l'observation est longue, plus la sensibilité est élevée, » résume Ransom.

    Au fil du temps et de la collecte de données, les chercheurs espèrent que le programme NANOGrave deviendra suffisamment sensible pour identifier les ondes gravitationnelles de trous noirs binaires spécifiques, ce qui reviendrait à isoler la partition jouée par un instrument au sein d'un orchestre, illustre Taylor. Cela permettrait aux astronomes d'associer ces renseignements à ceux des observatoires traditionnels afin de conduire des analyses ciblées utilisant à la fois lumière et gravité.

    « Et comment ne pas rêver à la découverte d'un objet dont l'existence nous est encore inconnue ? » interroge Vigeland. « C'est probablement ce qui nous attire le plus dans l'ouverture de cette nouvelle fenêtre sur l'univers des ondes gravitationnelles. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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