Des astronomes détectent pour la première fois des neutrinos dans notre galaxie

Jusqu'à présent, ces neutrinos de haute énergie produits par les événements astronomiques extrêmes n'avaient jamais été détectés en dehors des galaxies contenant des trous noirs très actifs.

De Liz Kruesi
Publication 2 juil. 2023, 09:24 CEST
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Les astronomes de l'observatoire IceCube, installé sous la glace du pôle Sud, ont découvert des neutrinos de haute énergie dans notre galaxie, la Voie lactée. 

PHOTOGRAPHIE DE FELIPE PEDREROS, The New York Times, Redux

En 2022, par un après-midi de janvier, trois scientifiques se penchent sur les résultats de leur dernière analyse, menée avec l'aide précieuse de l'apprentissage automatique pour trier une décennie de données issues de l'immense observatoire de neutrinos IceCube, installé sous la glace d'une contrée lointaine et désertique : l'Antarctique.

Les neutrinos sont de mystérieuses particules subatomiques qui apparaissent lors d'événements astronomiques cataclysmiques, aux abords d'une explosion d'étoile ou d'un trou noir actif, par exemple. Grâce à leurs masses minuscules et leur capacité à traverser des nuages de gaz ou même des planètes solides, ces particules filent à travers l'espace en toute discrétion, ce qui ne facilite pas leur détection.

Mais ce jour-là, pour la première fois, les chercheurs venaient d'identifier un excès de neutrinos dans les données de notre propre galaxie, coïncidant avec la bande d'étoiles de la Voie lactée qui transperce notre ciel.

« Nous scrutons la Voie lactée depuis des millénaires, et nous sommes les premiers à la distinguer à travers un prisme autre que celui de la lumière » avait alors souligné Naoko Kurahashi Neilson, physicienne à l'université Drexel, à l'attention des deux étudiants qui l'accompagnaient, Stephan Sclafani et Mirco Hünnefeld. « Ne laissez pas la beauté de ce moment vous échapper. »

Puisque les neutrinos sont porteurs de précieuses informations sur l'univers, cette découverte implique que notre galaxie pourrait jouer un rôle majeur dans la compréhension des événements qui libèrent le plus d'énergie au sein du cosmos, selon une nouvelle étude de l'équipe IceCube, publiée le 29 juin dans la revue Science. 

Depuis sa mise en activité en 2011, l'observatoire n'a détecté des neutrinos qu'en dehors de la Voie lactée, pour la plupart issus de galaxies abritant des trous noirs extrêmement actifs.

 

ASTRONOMIE ET PARTICULES

Il n'y a pas si longtemps encore, l'Homme ne disposait que d'un seul outil pour étudier l'univers : ses yeux. Il pouvait voir le Soleil, la Lune et les planètes les plus brillantes, mais aussi la bande étincelante tracée dans notre ciel par les étoiles de la Voie lactée.

L'invention des télescopes a fini par révéler des formes différentes de lumières, porteuses d'une énergie prodigieuse et indéchiffrables à l'œil nu, comme les étoiles sur le point d'exploser ou les environnements aveuglants des trous noirs en activité.

Cependant, les objets cosmiques ne se contentent pas d'émettre de la lumière.

« Depuis des générations, les astronomes s'efforcent d'établir le spectre complet du firmament ; et l'astronomie optique a eu beaucoup de succès dans ce domaine, » indique John F. Beacom, physicien des neutrinos à l'université d'État de l'Ohio, non impliqué dans la nouvelle étude. « En astronomie des neutrinos, ce n'est que le début. »

Avec ses 5 160 capteurs optiques de la taille d'une balle de baseball, le détecteur de neutrinos IceCube forme un cube d'un kilomètre de côté enfoui à plus de 1 450 mètres sous l'Antarctique. Chacun de ces modules analyse les signaux lumineux générés par l'interaction des particules avec la glace.

COMPRENDRE : La formation de l'univers

Les neutrinos traversent la plupart des matières sans le moindre bruit, mais il arrive que l'un d'entre eux interagisse avec la matière, déclenchant alors une série d'événements que les physiciens peuvent observer grâce aux plus sensibles de leurs détecteurs. IceCube est l'un d'entre eux, c'est même le plus grand.

Cependant, les neutrinos s'accompagnent de nombreuses particules qui n'intéressent pas les scientifiques. « La recherche de neutrinos est toujours très complexe, car l'arrière-plan nécessite beaucoup de travail, » témoigne Elisa Resconi, membre de l'équipe IceCube à l'université technique de Munich, en Allemagne.

Il est possible de trier ces particules indésirables en utilisant la Terre comme bouclier. Même si IceCube se situe au pôle Sud, la plupart de ses détections se concentrent sur le ciel du nord. À l'inverse, le centre de la Voie lactée et ses sites les plus actifs sont uniquement visibles dans le ciel du sud. De ce fait, les chercheurs ont dû faire preuve de créativité pour éliminer l'arrière-plan et extraire les signaux correspondant aux neutrinos.

Kurahashi Neilson, Sclafani et Hünnefeld ont donc entraîné un programme à identifier un signal spécifique dans les données recueillies par IceCube entre mai 2011 et mai 2021, un signal qui ressemble à une goutte ou à un sursaut dans le détecteur. Ces signaux correspondent à des événements dits de « cascade », déclenchés par la collision d'un neutrino avec une particule de glace au sein du détecteur et la brève libération d'énergie qui en résulte. En revanche, il est difficile d'associer ce type de signature à une zone précise du ciel. Le résultat s'apparente plutôt à la vision floue que vous pourriez avoir en oubliant de mettre vos lunettes, illustre Kurahashi Neilson.

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    En découvrant leurs résultats l'année dernière, les chercheurs ont distingué une lueur aux contours familiers, bordant le centre du plan galactique de la Voie lactée.

     

    NOUVEAU REGARD SUR UN VIEUX MYSTÈRE

     L'origine de ce néon galactique de neutrinos pourrait être liée au rayonnement cosmique, un mystère astronomique découvert il y a plus de 110 ans, comme nous l'explique Francis Halzen, investigateur principal de l'observatoire IceCube et chercheur au sein de l'université du Wisconsin à Madison.

    Ce rayonnement inclut des protons de haute énergie et d'autres particules qui errent dans l'univers, notamment aux abords de notre disque galactique, en suivant les trajectoires dessinées par les champs magnétiques. Les physiciens ont conscience depuis 1912 que des rayons cosmiques bombardent la Terre, mais ils ne savent toujours pas ce qui confère à ces particules des niveaux d'énergie aussi extrêmes.

    Ils savent en revanche que l'interaction des rayons cosmiques avec la matière génère des neutrinos de haute énergie. Tout comme il existe différents niveaux d'énergie pour la lumière, le même principe s'applique aux neutrinos. Par exemple, le Soleil libère des neutrinos de bien plus faible énergie ; ceux détectés en 2013 étaient de haute énergie.

    Il est donc possible que les neutrinos récemment identifiés soient le fruit de la collision entre des rayons cosmiques et la matière céleste de notre galaxie. IceCube pourrait également capter les signaux émis par des événements énergétiques individuels, comme des explosions en supernova. Les protons stimulés à des niveaux d'énergie extrêmes par ces événements auraient ensuite percuté ce gaz galactique. D'après les chercheurs, il faudra encore quelques années d'efforts pour déterminer l'origine de cette lueur.

     

    LA CHASSE EST OUVERTE

    L'arrivée en Méditerranée d'un nouveau détecteur de neutrinos à grande échelle devrait faciliter la tâche. Baptisé KM3Net, le projet emprunte à l'observatoire IceCube son principe de fonctionnement et s'étend sur plusieurs centaines de mètres au large de La Seyne-sur-Mer.

    Lors d'une collision entre un neutrino et une molécule d'eau, les lignes de capteurs détecteront des sursauts lumineux. Étant donné son emplacement dans l'hémisphère Nord, KM3Net peut utiliser la Terre pour filtrer le bruit de fond en observant le plan galactique. Avec son aide, les chercheurs devraient être en mesure de démêler toujours plus de mystères entourant les neutrinos et leur rôle dans les événements cataclysmiques de l'univers.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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