Big Crunch : l'une des fins possibles de l'Univers
La cosmologue Katie Mack décrypte les dernières découvertes sur l’énergie sombre et ce qu’elles signifient pour le futur de l’Univers. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que ce ne sera pas joyeux.

Le Dark Energy Spectroscopic Instrument (DESI) collecte des données à l’observatoire du parc national Kitt Peak, dans l’Arizona. Les derniers résultats de ses analyses suggèrent que l’énergie noire est encore plus étrange qu’on ne le pensait.
Si l’on m’avait demandé il y a un mois quel serait le destin le plus probable de l’Univers, j’aurais été en mesure de répondre sans hésiter. En tant que cosmologue, j’ai passé énormément de temps à y penser, j’ai même écrit un livre sur le sujet. Nous savons que l’Univers n’est pas fini, et que son expansion s’accélère. Dans un futur très lointain, cette expansion toujours plus rapide videra le cosmos jusqu’à ce qu’il ne reste essentiellement plus rien. Les étoiles s’éteindront, la matière se détériorera, les trous noirs s’évaporeront, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que d’infimes particules de lumière diffusant la chaleur résiduelle de toute la création. Ce scénario est parfois appelé la « mort thermique » ou le « Grand Gel » et c’est une conséquence directe de notre meilleure théorie sur l’Univers et son comportement.
Mais si l’on me posait la question aujourd’hui, j’hésiterais. Les résultats annoncés fin mars par le Dark Energy Spectroscopic Instrument (DESI), basés sur d’anciennes données publiées l’an passé, peignent un tableau totalement différent de notre univers. Ils remettent en question nos meilleures intuitions sur la nature de son composant le plus important, qui est aussi le plus mystérieux : l’énergie sombre.
LES ORIGINES DE L’ÉNERGIE SOMBRE
La découverte de l’énergie sombre a été, pour dire ce qui est, une surprise. À la fin des années 1990, les astronomes ont découvert que l’expansion de l’Univers, provoquée initialement par le Big Bang, s’accélérait subtilement depuis les derniers milliards d’années. Cette accélération était évidente dans les données et a été confirmée par de multiples groupes d’études. Cependant, elle ne rimait à rien.
Les chercheurs s’attendaient à ce que l’expansion ralentisse. Ils furent donc surpris d'observer une accélération de son expansion. Tout dans le cosmos, les galaxies, les étoiles, les gaz, la poussière, même l’énergie pure, exerce un effet gravitationnel sur ce qui l’entoure. Et la gravité attire les objets et les lie. Jamais elle ne les sépare. Depuis plus d’une centaine d’années, les chercheurs savent que les galaxies distantes s’éloignent les unes des autres, et donc de nous, preuve de l’expansion du cosmos. Cela imposait une seule explication sensée : que toute cette gravité résiste à cette expansion et que, petit à petit, elle la ralentisse.
Si l’expansion de l’Univers s’accélérait en revanche, c’était comme si une force inconnue étirait l’espace de l’intérieur, venant s’ajouter, et avec plus d’intensité, à l’expansion résiduelle du Big Bang. Rien de ce que l’on connaît dans l’Univers ne devrait être capable de faire cela.
Heureusement pour les astronomes, la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein offrait la faille parfaite. Bien qu’à son époque aucune substance connue n'ait pu accélérer l’expansion de l’Univers, Einstein avait laissé en suspens la possibilité que l’Univers lui-même puisse en être responsable. Dans ses équations sur l’évolution du cosmos, il a ajouté un paramètre, une « constante cosmologique », représenté par la lettre grecque lambda (Λ). Cette constante laisse le champ libre à l’espace pour s’étendre de l’intérieur et repousser un effondrement gravitationnel.
Lorsqu’Einstein a pour la première fois présenté sa théorie de la relativité, les astronomes ignoraient que l’Univers s’étendait. Une fois que les observations ont pointé vers un univers en expansion, il a retiré le terme de ses équations, prétextant une erreur.
Confrontés à l’observation inattendue de l’accélération de l’expansion de l’Univers, les astronomes modernes ont pensé que la constante cosmologique pourrait expliquer cet étirement mystérieux. Aussi bizarre que cela puisse paraître, c’était le cas.
La constante cosmologique arrivait également à point nommé. Quand l’Univers était encore dense et petit, la gravité ralentissait graduellement son expansion et la constante cosmologique n’avait que peu d’effet. Mais dès que l’Univers est devenu suffisamment grand et diffus, il y a de cela six milliards d’années, tout ce nouvel espace vide signifiait que la moindre tendance à l’élargissement pouvait tout bousculer, causant une nouvelle accélération de l’expansion.
Au cours des dernières décennies, toutes les observations semblaient, en toute raison, s’accorder avec cette théorie, ce qui poussa les physiciens à intégrer une constante cosmologique dans leur modèle de fonctionnement de l’univers. La constante cosmologique tombe sous la bannière du terme plus générique d’énergie sombre. Cela renvoie à tout ce qui cause une accélération cosmique et englobe la possibilité d’une constante cosmologique ou d’un paramètre plus étrange encore.
CONSTANTE COSMOLOGIQUE ? OU MYSTÈRE PLUS GRAND ENCORE ?
En nous limitant à une large définition de l’énergie sombre, nous avons également conservé un esprit ouvert à d’autres explications. Peut-être que l’énergie sombre n’est pas une propriété inhérente de l’espace mais plutôt un genre encore inconnu de champ énergétique (parfois appelé une « quintessence » ou « énergie sombre dynamique »). Ce champ pourrait agir comme une constante cosmologique à ce moment précis, étirant l’espace de la même manière. Cependant au lieu d’être une propriété spatiale constante, il pourrait changer avec le temps, s’affaiblir ou se renforcer au fil de l’évolution de l’Univers.
Comprendre le fonctionnement de l’énergie sombre, savoir s’il s’agit ou non d’une constante cosmologique, a été la motivation première de plusieurs projets d’observation majeurs ces dernières années, comme le DESI. Quoi que soit l’énergie sombre, elle représente environ 70 % de la densité énergétique de l’Univers, selon nos meilleures estimations. Il s’agit du paramètre le plus important du cosmos, autant en termes de quantité que d’influence sur l’évolution de l’espace.
Si l’énergie sombre est une constante cosmologique, alors le scénario de la mort thermique est virtuellement assuré ; notre univers finira par devenir sombre, froid et vide. Nous sommes en mesure de calculer le temps qu’il nous reste avant que les galaxies distantes ne soient tellement éloignées de nous que nous ne pourrons plus les observer, et cela prendra environ 100 milliards d’années. Tout comme nous savons dans combien de temps le cosmos succombera à son propre et inévitable déclin mais ce nombre est bien trop grand pour être facilement exprimé en mots.
Cependant, depuis que les résultats des analyses du DESI ont été publiés, on commence à se demander ce que l’avenir de l’univers nous réserve.
LES CONSTANTES NE DEVRAIENT PAS CHANGER
Les résultats du DESI semblent mieux s’accorder avec la théorie d’une énergie sombre qui s’affaiblit au cours du temps, plutôt que sur sa définition de constante. Les résultats sont plutôt convaincants mais ne font que s’approcher de ce que nous autres physiciens considérons comme une « découverte ». Bien que les chiffres soient exacts, l’expansion de l’espace s’accélère encore mais pas autant que lorsque l’énergie sombre a commencé à prendre le pas. Ce n’est évidemment pas ainsi que devrait se comporter une constante.
On a pu lire dans la presse que ces résultats devraient être considérés comme une source de réjouissance : la mort thermique ne serait peut-être pas notre funeste destinée. L’affaiblissement de l’énergie sombre signifierait que l’expansion entrerait dans une phase de stagnation, voire qu’elle s’arrêterait complètement. Certains ont même laissé planer l’idée que cette évolution de l’énergie sombre perdrait tellement en puissance qu’elle deviendrait une force attractive, inversant totalement la tendance et transformant l’expansion en un « Big Crunch », un effondrement final.
Je serais partisane d’une approche plus prudente lors de ces interprétations. Même si les résultats du DESI tenaient la route lors d’une investigation plus poussée et étaient confirmés par d’autres organismes d’études, ils ne donnent pas d’informations certaines sur notre avenir. La seule raison pour laquelle il nous est possible d’émettre des hypothèses sur notre avenir grâce à une constante, c’est que nous savons comment elle se comporte : c’est une constante. Une énergie sombre dynamique est plus intriquée. Tant que nous ignorons ce qui motive son évolution, l’avenir reste flou.
Peut-être que les théories changeront du tout au tout. Pris comme tels, les résultats du DESI suggèrent que, dans une époque reculée, l’énergie sombre correspondait ce que les physiciens appellent un « fantôme », une particule fictive. Une énergie sombre fantôme est une énergie sombre qui devient de plus en plus puissante au cours du temps, de telle sorte qu’elle pourrait littéralement déchirer la trame de l’Univers. Si elle était réellement fictive par le passé, rien n’indique qu’elle ne pourrait pas le redevenir, menant potentiellement à un destin assez épouvantable, le « Big Rip », un grand déchirement. D’un point de vue théorique, plusieurs raisons nous poussent à douter que l’énergie sombre puisse retourner à son état de particule fantôme. Mais, si tel était le cas, les perspectives ne seraient pas réjouissantes.
ET SI L’ÉNERGIE SOMBRE DISPARAISSAIT ?
Il me semble important de préciser que, même si l’énergie sombre venait à s’affaiblir au point de disparaître, et que l’expansion de l’espace s’arrêtait complètement, ce ne serait pas nécessairement un sursis. Les étoiles exploseront ou s’éteindront quand même. Les trous noirs grossiront et finiront par s’évaporer. Et, d’une manière ou d’une autre, le cosmos tendra vers l’entropie et le déclin, comme le demandent certaines de nos lois de la physique les plus fiables. Il est également possible que nous affrontions un destin différent, instigué par un bouleversement quantique des lois de la physique. Un phénomène étrange, auquel nous ne survivrons jamais : le faux vide.
Si l’énergie sombre disparaissait vraiment et si la théorie du faux vide ne se produisait pas, il pourrait théoriquement subsister un mince espoir que toute chose ressemblant à de la vie dans notre univers en expansion subsiste. Mais je qualifierais ces espoirs de techniques plutôt que de pratiques. Dans la compréhension que nous avons à présent de la cosmologie, il n’y a pas vraiment la place pour une fin heureuse.
J’ai hâte d’assister au développement de ce débat, malgré son pronostic malheureux. Les résultats du DESI pourraient mener au premier changement majeur de paradigme en cosmologie depuis la découverte de l’énergie sombre. Cela signifierait une réécriture complète de notre modèle de l’Univers.
L’énergie sombre détruira probablement tout sur son passage, à la fin. Mais, en attendant, la quête de sa compréhension a abouti à des découvertes incroyables. Et personne ne peut dire ce que l’Univers a en réserve pour nous.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
