Et si la Terre n'avait rien de spécial ?

La Terre est souvent présentée comme une rare oasis dans l'Univers, réunissant les conditions propices à la vie telle que nous la connaissons. Mais la vie aurait très bien pu se développer sur une autre planète.

De Maya Wei-Haas
Publication 20 sept. 2023, 09:42 CEST
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Cette photographie de la face éclairée de la Terre a été capturée cet été par les caméras du satellite DSCOVR. Cette jolie bille bleutée a beau être pleine de vie, elle n'est peut-être pas si spéciale dans l'univers.

PHOTOGRAPHIE DE NASA

La Terre n'est peut-être pas si spéciale. « Nous pourrions très bien avoir cette conversation quelque part sur Vénus, » suggère Mark Jellinek, géologue spécialisé dans la formation des planètes.

Je m'imagine debout dans l'épais nuage de gaz à effet de serre qui fait office d'atmosphère sur Vénus, la peau carbonisée par le Soleil qui terrasse la surface poussiéreuse de la planète. Les températures y sont suffisamment élevées pour fondre le plomb. Il est vrai que Vénus est souvent citée comme la planète la plus proche de la Terre, notamment pour ses similarités en matière de taille, de composition et de distance avec le Soleil, mais nous sommes bien loin d'y tenir une conversation.

Enfin, peut-être pas… Selon une étude récente, si l'envie nous prenait de relancer la grande expérience du système solaire, des changements insignifiants suffiraient à réécrire intégralement l'histoire des planètes, indique Adrian Lenardic, planétologue à l'université Rice, en faisant référence à des variables comme la température interne, le climat ou encore la quantité d'eau.

Suite à ce nouveau départ, la vie pourrait éclore sur Vénus au lieu de la Terre… ou sur aucune des deux planètes. Après tout, comme le découvrent actuellement les scientifiques, derrière la douceur de notre climat se cacheraient bien plus que les dimensions parfaites de la Terre et son orbite autour d'un astre flamboyant pile à la bonne distance. Il ne faut pas négliger l'histoire de la planète : « Comment est-elle arrivée à sa place dans l'univers ? Comment a-t-elle vu le jour ? Comment a-t-elle évolué ? » nous explique Lenardic.

Sur Terre, cette époque charnière pourrait être une période de bombardement intense par des météorites, soutient Jellinek de l'université de Colombie-Britannique à travers une étude publiée dans la revue Nature Geoscience. Ces impacts auraient contribué à exfolier les éléments radioactifs générateurs de chaleur à la surface de la Terre, permettant ainsi à la planète de refroidir et déclenchant au passage un élément moteur du thermostat interne de la Terre : la tectonique des plaques.

Par ailleurs, l'habitabilité d'une planète n'a rien de permanent.

Sur Mars, les lits de rivière et les lacs asséchés suggèrent que la planète aurait connu un passé aquatique avant de devenir la sphère aride que nous connaissons aujourd'hui. Peut-être que la vie a autrefois grouillé dans ces eaux. Et qui sait ? « Vénus a pu être une planète tout à fait habitable pendant un certain temps, » déclare Lenardic.

Quelle est donc la dernière recette à la mode pour une planète habitable ? Une chose est sûre, ses ingrédients pourraient bien vous surprendre.

Vénus est souvent citée comme la planète la plus proche de la Terre, notamment pour ses similarités en matière de taille et de distance avec le Soleil. Cependant, contrairement à notre raisonnable demeure, la surface de Vénus est un véritable four à ciel ouvert avec des températures dépassant les 470 °C.

PHOTOGRAPHIE DE NASA

 

CHALEUR TOURNANTE

Pour accueillir une ménagerie et une végétation aussi riches que sur Terre, les scientifiques ont longtemps pensé que les planètes devaient se trouver dans la zone dite habitable. Pour cela, la distance entre la planète et son étoile ne doit être ni trop grande ni trop courte, de façon à offrir une température suffisamment chaude pour permettre à l'eau de s'écouler sous sa forme liquide.

« Jusqu'à un certain point, personne ne remet en cause ce principe, » indique Lenardic. L'idée est d'ailleurs intuitive : en s'approchant trop d'une étoile incandescente, la planète s'enflamme ; si elle s'éloigne trop, c'est le gel assuré.

La réalité est plus complexe. Par exemple : quelle est la distance maximale considérée comme habitable ? Cela dépend de la taille de l'étoile.

Il faut également prendre en compte la taille de la planète : trop petite et l'atmosphère échappe à sa gravité pour se perdre dans l'espace ; trop grande et l'atmosphère devient épaisse et « gonflée », indique Cowan, avec le risque de se transformer en géante de glace comme Neptune ou Uranus.

En 2009, le télescope spatial Kepler de la NASA a quitté la Terre pour trouver d'autres mondes pouvant accueillir la vie. D'après ses découvertes, une planète avec un rayon allant jusqu'à 1,5 fois celui de la Terre pourrait être habitable, explique Nick Cowan, planétologue à l' université McGill.

Sur les 1 030 planètes identifiées à ce jour par Kepler, seule une poignée satisfait aux critères d'habitabilité en matière de taille et de distanceKepler 452b étant la plus comparable à la Terre.  

Cependant, à elles seules ces qualités ne suffisent pas à rendre une planète habitable. Un nombre croissant de scientifiques pensent que la recette est nettement plus complexe.

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    LA CROÛTE PARFAITE

    La surface extérieure de la Terre est flexible : elle s'étire et se contracte sous l'effet de mouvements internes appelés convection mantellique. À un certain point de l'histoire géologique, la période exacte étant sujette à débat, ce bras de fer planétaire a fracturé la surface en une série de plaques mouvantes.

    Pourquoi est-ce important ? Parce que ces plaques font partie du thermostat de la Terre. Leurs collisions ont déclenché les éruptions volcaniques qui ont rejeté les gaz à effet de serre nécessaires pour l'atmosphère. Et lorsque la Terre fait une poussée de température, ces collisions capturent le gaz excédentaire et l'entraînent dans les profondeurs, indique Cowan.

    La Terre est la seule planète connue dotée d'un système de plaques activement glissantes, un processus baptisé tectonique, et selon Jellinek, c'est bien la tectonique des plaques qui nous différencie des autres planètes.

    De récentes simulations informatiques montrent que même sur Mars, avec un mélange idéal de gaz dans le ciel, un système de tectonique active rendrait la surface de la planète plutôt vivable, déclare James Kasting, planétologue au sein de l'université d'État de Pennsylvanie qui a contribué à la définition moderne de la zone habitable.

     

    QUE DE BONNES CHOSES

    D'où peut bien provenir le mouvement des plaques ? Tout est une question d'ingrédients.

    Lorsqu'une planète se forme à partir d'un nuage de poussière, son noyau en fusion dégage une chaleur immense, tout comme les éléments radioactifs qui jonchent sa surface. Sous l'effet de cette chaleur, la surface se courbe et se contracte. En refroidissant, la planète se solidifie et devient plus cassante, comme une barre chocolatée dans un congélateur.

    Comme nous l'explique Jellinek, la Terre a fini par atteindre une température idéale, suffisamment basse pour fracturer la croûte, grâce à une pluie intense de météorites qui s'est abattue sur notre jeune planète au cours de ses 20 à 30 premiers millions d'années, débarrassant au passage la surface d'une partie de ses éléments radioactifs producteurs de chaleur.

    Vénus pourrait être un exemple de ce qui se produit lorsque la température reste élevée, poursuit-il. Au lieu des plaques mouvantes de la Terre, la surface de Vénus est trop chaude et liquide pour se rompre. La chaleur s'accumule jusqu'à ce que « toute la surface s'effondre sur elle-même, » explique Jellinek. S'ensuit un volcanisme catastrophique qui transforme la planète en véritable serre.

    Et si la pluie de météorites s'était abattue sur Vénus au lieu de frapper la Terre, cela aurait-il modifié l'histoire de la vie telle que nous la connaissons ? À en croire Jellinek, c'est bien probable. Cela dit, tous les scientifiques ne partagent pas ce point de vue. Pour Kasting, notre voisine Vénus est tout simplement trop proche du Soleil pour maintenir une eau liquide en surface.

    Petite et glacée, Mars incarne l'autre extrême : sa surface ne s'est jamais brisée.

    Kepler 186f était la première jumelle de la Terre identifiée dans la zone habitable de son étoile. Avec une taille égale à 1,1 fois celle de la Terre, l'eau pourrait s'écouler sous forme liquide à sa surface, d'après les experts.

    PHOTOGRAPHIE DE Illustration by NASA

    Pour ce qui est des ingrédients, il ne faut pas s'arrêter à la surface. Ce sont les mouvements de convection en profondeur qui entraînent la dérive des plaques. Si les minéraux de la planète sont trop denses, « ils feront obstacle à la convection mantellique et la ralentiront, » illustre Cayman Unterborn, étudiant de second cycle à l'université d'État de l'Ohio.

    Vous vous souvenez de la planète diamant ? Avec un cœur en carbone aussi dense, la convection ne peut même pas commencer, indique Unterborn.

     

    MISE À L'ÉPREUVE

    Lequel de ces facteurs est le plus important pour l'habitabilité ? Difficile à dire.

    Le plus délicat dans l'élaboration de cette recette de la vie, c'est le manque de planètes jumelles de la Terre à étudier. « Nous devons effectuer des comparaisons avec notre système solaire en supposant qu'il est universel, » témoigne Lenardic.

    Avant le lancement de la sonde Kepler en 2009, les scientifiques supposaient que notre système solaire était un modèle pour l'étude d'autres mondes.

    Nous avons découvert que « notre système solaire est un cas à part, » révèle Cowan. « Nous pourrions un jour réaliser que tout ce que nous avons appris grâce à la Terre est en fait faux, » ajoute-t-il.

    Par exemple, prenons le champ magnétique terrestre, largement considéré comme un élément essentiel à la rétention de l'atmosphère. Même s'il nous protège probablement du vent et des éruptions solaires, est-il réellement important pour l'habitabilité ? D'après Jellinek et Lenardic, nous manquons de preuves.

    Les réponses se cachent quelque part dans cette galaxie truffée d'étoiles.

    Un nouveau monde de possibilités se profile à l'horizon, avec les premiers résultats du télescope spatial James Webb lancé en 2018 par la NASA, mais même ce télescope dernier cri doit limiter ses recherches à notre propre arrière-cour, indique Cowen, à environ dix années-lumière de la Terre.

    Pour accéder aux détails les plus minutieux, il faudra attendre la « prochaine génération » de télescopes, indique Cowen : HDSTLUVOIR et ATLAST, pour ne citer qu'eux. Aussi grands que cinq bus mis bout à bout, ces méga-télescopes pourront scruter les candidates au statut de jumelle de la Terre bien plus éloignées, allant même jusqu'à cartographier grossièrement les nuages, les continents et les océans à leur surface.

    Même s'il est peu probable d'assister à un lancement avant 2030, les possibilités sont déjà fascinantes.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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