Mars : ruée vers la planète Rouge

Depuis des siècles, la poussiéreuse planète Rouge nous fascine. Et plus nous en apprenons sur elle, plus ses mystères nous tiennent en haleine.

De Nadia Drake, National Geographic
Photographies de Craig Cutler, Spencel Lowell
Publication 4 mars 2021, 09:40 CET

Des rovers (robots mobiles) tels que Curiosity sont en quête de Martiens sous la forme de microbes.

PHOTOGRAPHIE DE COMPOSITION DE 57 IMAGES DE NASA/JPL/MICHAEL RAVINE, MALIN SPACE SCIENCE SYSTEMS

Pourquoi Mars obsède-t-elle à ce point les terriens ?  C’est pour tenter d’élucider ce mystère que, par une chaude nuit de la mi-octobre, je me rends à l’observatoire McCormick de l’université de Virginie.

Au sommet d’une colline, le dôme ouvert de l’observatoire dessine un croissant étincelant dans l’obscurité. À l’intérieur se trouve un télescope qui m’aidera à voir Mars telle qu’elle apparut aux observateurs en 1887, lorsque des astronomes enthousiastes utilisèrent cet instrument pour confirmer la découverte des deux minuscules lunes martiennes, Phobos et Deimos.

Ce soir, Ed Murphy, astronome à l’université de Virginie, est venu spécialement à l’observatoire (fermé au public en raison de la pandémie de Covid-19). La danse tourbillonnante des planètes sur leur orbite nous permet actuellement de voir la planète Rouge sous son aspect le plus grand et le plus brillant dans le firmament. Murphy a calculé que ce serait le meilleur moment pour regarder Mars depuis le centre de la Virginie, où les turbulences de l’atmosphère compliquent parfois l’observation du ciel nocturne.

Nous savons aujourd’hui que la surface vermillon de Mars n’est pas sillonnée d’immenses marques d’ingénierie. Qu’importe. L’intérêt des humains pour cette planète n’a pas d’âge.

Pendant des millénaires, nous avons donné un sens à Mars en y rattachant nos divinités, en consignant son mouvement et en décrivant son aspect. La planète a inspiré les artistes. Depuis le début de l’ère spatiale, nous avons également lancé vers elle plus d’une cinquantaine d’instruments, merveilles technologiques qui, au total, ont coûté des milliards de dollars. Beaucoup, surtout au début de l’entreprise, ont échoué. Pourtant, l’obsession martienne demeure.

Lors de ma rencontre avec Murphy, en octobre dernier, huit engins spatiaux orbitaient autour de la planète Rouge ou en exploraient la surface. Trois autres avaient rendez-vous avec Mars en février 2021. L’un est un rover (robot mobile) emblématique de la Nasa, Perseverance, spécialisé dans la recherche de la vie. Les deux autres, lancés par la Chine et les Émirats arabes unis, pourraient effectuer des missions historiques.

Avant le lancement, des équipes du Jet Propulsion Laboratory de la Nasa, à Pasadena, en Californie, calibrent les vingt-trois caméras de Perseverance dans une salle stérile. Le rover doit rechercher des signes de vie sur Mars. Les techniciens ont pris de grandes précautions pour éviter de contaminer l’engin avec des microbes terrestres.

PHOTOGRAPHIE DE Spencer Lowell

Mais pourquoi ? Parmi tous les mondes que nous connaissons, Mars n’a rien d’exceptionnel. Ce n’est ni la planète la plus brillante, ni la plus proche, ni la plus petite, ni même la plus facile à atteindre. Elle n’est pas aussi mystérieuse que Vénus, ni aussi spectaculaire que Jupiter et ses couleurs de joyau ou que Saturne et ses anneaux. Et ce n’est certainement pas là où l’on a le plus de chance de trouver de la vie extraterrestre – comme dans les océans souterrains des lunes glacées du système solaire externe.

Les raisons scientifiques qui font de Mars une cible irrésistible sont complexes et évoluent au fil du temps. Elles se nourrissent du torrent d’images et de données issues de tous les atterrisseurs, orbiteurs et rovers qui y ont été envoyés.

Mars est une énigme perpétuelle, un lieu que nous sommes toujours sur le point de connaître, mais que nous ne comprenons pas vraiment.  « C’est l’un des processus de découverte les plus longs du monde, selon Kathryn Denning, anthropologue à l’université de York et spécialiste des paramètres humains de l’exploration spatiale. C’est une perpétuelle histoire à suspense. »

Mars reste si populaire pour une raison peut-être très simple : même si l’image que nous en avons s’est affinée, nous pouvons encore facilement nous imaginer là-bas, en train de bâtir une nouvelle maison au-delà des limites de la Terre.

« C’est juste assez dégagé », note Denning. 

Mon croquis bâclé de Mars à la main, je pense aux décennies que nous avons passées à tenter d’y dénicher des petits hommes verts, des microbes et des établissements humains, et à cette ferveur revenue après chaque échec. En parallèle, je sais que de nombreux scientifiques sont prêts à diriger nos rêves (et nos robots) vers d’autres destinations séduisantes du système solaire. Ils ont beau jongler avec des budgets limités et une concurrence croissante, je ne peux pas m’empêcher de me demander si nous nous débarrasserons un jour de l’attrait de Mars.

Depuis que les civilisations observent le ciel, les humains suivent Mars.  Les Sumériens établirent la trajectoire de cette « étoile errante » au troisième millénaire av. J.-C., et l’associèrent à Nergal, dieu des Enfers et de la Guerre. Ses mouvements et sa luminosité variable annonçaient la mort des rois et des chevaux, ou le destin des récoltes et des batailles.

Les cultures aborigènes, en Australie, avaient aussi remarqué sa couleur, la décrivant comme la conséquence d’un feu, ou établissant un lien avec le kogolongo, le cacatoès noir à queue rouge endémique. Les Mayas précolombiens déterminèrent soigneusement la position de Mars par rapport aux étoiles, liant ses mouvements aux changements des saisons terrestres. Les Grecs l’associèrent à Arès, leur dieu de la Guerre, que les Romains transformèrent en Mars.

« Il n’a toujours existé qu’une seule planète Mars, observe Kathryn Denning, mais il y a beaucoup de cultures martiennes en jeu. »

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    Les premières vues de Mars, floues, ont inspiré des histoires d’extraterrestres bâtisseurs de canaux. Nulle civilisation intelligente ne s’y est jamais développée.

    PHOTOGRAPHIE DE Percival Lowell, Archives De L’observatoire Lowell

    Mais, au milieu du XIXe siècle, les télescopes firent de la figure mythologique un monde réel. À mesure que son image se précisait, Mars devint une planète dotée d’un climat, de processus géologiques, de calottes glaciaires, tout comme la Terre. Nathalie Cabrol, de l’Institut Seti (pour « Search for Extra-Terrestrial Intelligence »), étudie Mars depuis des décennies.

    « La toute première fois que nous avons observé Mars à travers un oculaire, dit-elle, nous avons commencé à y découvrir des choses qui changeaient. » 

    À l’époque victorienne, les astronomes tracèrent des esquisses de la surface martienne. En 1877, l’une de ces cartes attira l’attention du monde entier. Dessinée par l’astronome italien Giovanni Schiaparelli, la topographie de Mars était nettement délimitée, avec des îles qui surgissaient de dizaines de canaux qu’il colorait en bleu. Schiaparelli avait truffé sa carte de détails, et il avait nommé les caractéristiques exotiques de sa version de la planète d’après des lieux de la mythologie méditerranéenne.

    « C’était vraiment faire preuve de beaucoup d’audace, souligne Maria Lane, spécialiste de géographie historique à l’université du Nouveau-Mexique. En gros, voici ce qu’il déclarait : j’ai vu tellement de choses si différentes de ce que les autres ont vu que je ne peux même pas utiliser les mêmes noms. »

    De ce fait, la carte de Schiaparelli fit instantanément autorité, précise Maria Lane. L’opinion tant scientifique que populaire, lui accorda le sceau de la vérité. Pendant trois décennies, Mars connut une vogue effrénée et, à la fin, on n’aurait reproché à aucune personne sensée de croire que des Martiens intelligents avaient construit un réseau de canaux qui s’étendait sur toute la planète. Une bonne partie de cet engouement peut être directement liée à Percival Lowell, un aristocrate excentrique, obsédé par Mars.

    Bostonien aisé et ancien élève de Harvard, Percival Lowell était un passionné d’astronomie, dévorant les textes scientifiques et populaires. Persuadé qu’une technologie extraterrestre avait produit les canaux martiens, Lowell s’empressa de construire un observatoire au sommet d’une colline avant l’automne 1894. À cette date, Mars s’approchant de la Terre, sa face entièrement éclairée par le Soleil serait idéale pour observer les fameux canaux.

    Les géologues recherchent sur les roches et les minéraux les traces des anciennes masses d’eau. Au bord d’un lac, l’érosion laisse des sables de plage et des plateformes taillées par les vagues. En outre, certaines argiles et certains minéraux hydratés ne peuvent se former ou se déposer qu’en présence d’eau. Perseverance utilisera sa panoplie d’instruments scientifiques pour percer les mystères de la formation du delta du cratère Jezero et pour voir si des microbes fossilisés pourraient être piégés dans ses couches de sédiments. Perseverance doit se poser sur le fond plat du cratère. Le rover finira par remonter les bras du delta jusqu’à la vallée fluviale, puis jusqu’aux plaines situées au-delà.

    PHOTOGRAPHIE DE Matthew W. Chwastyk, ÉQUIPE DU NGM ; ALEXANDER STEGMAIER. SOURCES : CENTRE DE RECHERCHE EN ASTROGÉOLOGIE, USGS ; NASA ; TIMOTHY A. GOUDGE, UNIVERSITÉ DU TEXAS À AUSTIN ; BRIONY HORGAN, UNIVERSITÉ PURDUE

    L’Observatoire Lowell vit le jour cette année-là, près de Flagstaff (Arizona), au sommet d’une colline abrupte, que les habitants du coin nommèrent Mars Hill. De là, au milieu des conifères, il étudia consciencieusement la planète Rouge.

    Se fondant sur ses observations et croquis, Lowell pensait pouvoir confirmer les cartes de Schiaparelli. Il estimait avoir également repéré 116 autres canaux. « Plus vous regardez à travers l’oculaire, explique Nathalie Cabrol, plus vous allez commencer à voir des lignes droites. Car elles sont produites par votre cerveau. »

    Selon Lowell, les bâtisseurs de canaux martiens étaient des êtres suprêmement intelligents, capables de travaux d’ingénierie à l’échelle planétaire – des extraterrestres voulant survivre à un changement climatique dévastateur, qui les avait obligés à construire de gigantesques canaux d’irrigation s’étendant des pôles à l’équateur.

    Lowell publia ses observations dans plusieurs ouvrages, et ses convictions furent contagieuses. Même Nikola Tesla, le pionnier de l’électricité, affirma avoir détecté des signaux radio en provenance de Mars, au début des années 1900.

    Mais, en 1907, la théorie de Lowell commença à s’effondrer, en partie à cause d’un projet qu’il avait financé. Cette année-là, des astronomes prirent des milliers de photos de Mars à l’aide d’un télescope et les partagèrent avec le monde entier. Finalement, la photographie des planètes supplanta la cartographie comme « vérité », constate Maria Lane. Les gens purent voir par eux-mêmes que les photos et les cartes de Mars ne correspondaient pas.

    Pourtant, au tournant du XXe siècle, Mars était devenue une voisine familière, offrant des paysages changeants et l’espoir persistant qu’elle était habitée. La vague suivante d’observations révéla que, selon les saisons, les calottes polaires de Mars rétrécissaient et s’étendaient, libérant une bande sombre qui s’étirait vers l’équateur.

    Cette ferveur scientifique alimenta un flot de fictions spéculatives, de La Guerre des mondes, de H. G. Wells, aux Chroniques martiennes, de Ray Bradbury. « Avant les années 1960, avant qu’on explore sérieusement Mars, on était dans un imaginaire débridé, relève Andy Weir, auteur du roman Seul sur Mars. Un auteur de science-fiction pouvait dire : je ne connais rien à Mars, donc je peux en dire ce que je veux. »

    Puis, en 1965, la sonde Mariner 4 de la Nasa survola la planète Rouge. Elle livra les premières images en gros plan et en noir et blanc de la surface, révélant un paysage granuleux et cratérisé. La stérilité aride de la planète constitua une grande déception. Mais l’idée d’une vie sur Mars resurgit bientôt dans l’imaginaire humain.

    Une caméra Mastcam-Z est testée dans une chambre qui simule les fortes variations de température à la surface sur Mars.

    PHOTOGRAPHIE DE Craig Cutler

    Un matin d'octobre, je me connecte en visioconférence avec Nathalie Cabrol (Institut Seti). Son fond d’écran est une image de Mars : des pics sombres, parsemés de rochers, chevauchant des plaines couleur rouille dans la brume orange. Je me dis que cela sied tout à fait à une scientifique qui a passé des dizaines d’années à s’immerger indirectement dans les paysages martiens.

    Puis elle change d’image. Des bandes de roulement de pneus, des camions et un groupe de tentes orange vif apparaissent au premier plan. Au lieu de Mars, je vois l’image de l’un des sites de recherche de Cabrol dans l’Altiplano chilien. Pendant des décennies, elle a parcouru ce désert d’altitude pour y trouver un environnement similaire à celui de la planète Rouge. Elle y a cherché de la vie sur les pics volcaniques et dans les lacs d’altitude, et tenté d’imaginer comment un avatar robotique pourrait accomplir la même tâche, à des dizaines de millions de kilomètres de là.

    Cabrol et d’autres scientifiques contemporains qui se concentrent sur l’étude de Mars ont une dette envers Mariner 9, le premier vaisseau spatial ayant orbité autour de la planète, en 1971. Sa caméra a scruté les sommets du colossal Tharsis Montes, un trio de volcans dont seul l’Olympus Mons voisin surpasse la taille. À l’est se trouvait la gigantesque Valles Marineris, une vallée de rift évoquant le Grand Canyon de l’Arizona, mais en neuf fois plus long (environ 4000 km).

    Plus important, parmi les milliers de clichés envoyés par Mariner 9, les scientifiques ont découvert d’anciennes vallées creusées par des rivières, des plaines d’inondation, des chenaux et des deltas. Ils ont aussi révélé des indices chimiques de la présence de glace d’eau. Autant de signes qui montraient que de l’eau avait jadis sculpté des paysages martiens exotiques.

    «Les preuves géologiques sont écrasantes et montrent que le climat était très différent de ce qu’il est aujourd’hui», confirme Ramses Ramirez, de l’Institut des sciences de la vie terrestre de Tokyo. Ce constat a changé le cours de l’exploration de Mars. «Une autre aventure a commencé, souligne Cabrol. L’aventure scientifique. »

    Savoir que, fut un temps, Mars avait peut-être ressemblé un peu à la Terre a suscité de nouvelles questions sur l’évolution planétaire. Découvrir si la vie avait pu exister sur Mars ou si, par chance, elle y existait encore, est redevenu d’actualité.

    « N’est-il pas fascinant de voir que nous traitons encore les mêmes thèmes que ceux qui étaient chers à Percival Lowell?, note Rich Zurek, directeur scientifique du Bureau du Programme Mars au Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la Nasa. Sauf que... [il n’y a] pas de canaux. »

    Angela Magee, de Malin Space Science Systems, travaille sur les instructions destinées à une caméra du rover Curiosity, qui s’est posé sur Mars en 2012. Pour l’heure, les humains ne peuvent explorer la surface martienne qu’à distance. Les scientifiques doivent programmer des séquences de commandes pour dire à leurs avatars robotiques ce qu’ils doivent effectuer, où aller et quels dangers éviter.

    PHOTOGRAPHIE DE Craig Cutler

    Après Mariner 9, la Nasa s’est vite lancée dans une mission encore plus ambitieuse. En 1976, les deux atterrisseurs jumeaux du programme Viking se sont posés dans l’hémisphère Nord. On a enfin pu observer Mars à hauteur d’œil.

    Les scientifiques savaient déjà que la planète Rouge n’était pas recouverte par une végétation saisonnière – les ombres mouvantes étaient dues aux tempêtes de poussière balayant le sable volcanique. Ils savaient aussi que l’eau ne coulait plus en abondance à la surface de Mars.

    Mais ils ignoraient si ses sols recelaient de la vie. Et au moins un astronome, Carl Sagan, n’était pas prêt à abandonner entièrement l’idée de formes de vie encore plus élaborées.

    « Pendant longtemps, nous avons prévu d’installer une lampe à très haute intensité sur Viking, pour pouvoir prendre des photos la nuit », au cas où les Martiens auraient été des êtres nocturnes,  se souvient Gentry Lee, ingénieur en chef au JPL et auteur de science-fiction. À la grande déception de Sagan, l’équipe de Viking a décidé de retirer la lampe des deux atterrisseurs, précise Lee.

    La mission Viking n’a trouvé ni microbe ni empreinte de pas dans le sable, mais des traces de perchlorates dans le sol. Or ces composés peuvent détruire les molécules organiques et possiblement effacer toute trace de vie à base de carbone. « Donc, conclut Zurek, vous ne pouviez même pas rechercher les corps, si je puis dire. »

    Mais Viking a renvoyé des images de plaines rougeâtres, jonchées de roches, évoquant n’importe quelle région aride de la Terre.

    Les images fournies par les rovers martiens de la Nasa font progresser la science, mais peuvent aussi faire aimer les robots du public. En 2014, le rover Opportunity a envoyé ce selfie,  images combinées. On y voyait les panneaux solaires du robot couverts de poussière.

    PHOTOGRAPHIE DE COMPOSITION DE NASA/JPL/UNIVERSITÉ CORNELL/ UNIVERSITÉ D’ÉTAT DE L’ARIZONA

    La Nasa a continué de faire atterrir rover après rover sur la surface désolée de Mars : Pathfinder en 1997, les jumeaux Spirit et Opportunity (2004), Curiosity (2012). Ces engins ont renvoyé environ 700 000 images. Maintenant, lorsque nous apercevons les marques de ces rovers sur le sol, sur les photos qu’ils envoient, ou leurs «selfies » les montrant perchés au bord d’un cratère, il est plus facile de nous imaginer dans leurs traces.

    Anthropologue à Yale, Lisa Messeri, étudie la façon dont l’imagerie spatiale affecte notre perception des mondes. « Dès le moment où l’on atterrit [à travers un rover], dit-elle, on ne peut pas s’empêcher d’imaginer ce que ça ferait pour un humain de se trouver là. »

    Le lac Salda, dans le sud-ouest de la Turquie, est un havre de paix. Des roches volcaniques sombres plongent vers la plage de sable blanc et brillant. Les eaux claires, aigue-marine, prennent un bleu intense près du centre du lac, où la profondeur atteint 200 m. On croirait une réplique quasi parfaite du cratère Jezero, où Perseverance cible sa recherche des traces de vie passée.

    « Les gens du coin l’appellent les Maldives de Turquie, explique Brad Garczynski, étudiant de cycle supérieur en planétologie à l’université Purdue (Indiana). Vous pourriez vous imaginer comme un petit microbe qui se ferait bronzer sur le rivage de Jezero. »

    Jezero est aujourd’hui à sec. La forme de son relief suggère toutefois qu’un large et profond lac de cratère, alimenté par des rivières, le remplissait jadis. Il y a plus de 3,5 milliards d’années, l’eau s’y précipitait sans doute depuis le nord et l’ouest, déposant des couches de sédiments dans des deltas en éventail, près des parois du cratère. Au fil du temps, celui-ci s’est rempli et a débordé, et l’eau s’est déversée par une brèche, à l’est.

    L’équipe de Curiosity a réalisé ce panorama en haute définition depuis le flanc du mont Sharp (ou Aeolis Mons), au sein du cratère Gale, en assemblant plus d’un millier d’images prises sur quatre jours.

    PHOTOGRAPHIE DE COMPOSITION DE 1139 IMAGES DE NASA/JPL/MALIN SPACE SCIENCE SYSTEMS

    Les engins spatiaux en orbite ont identifié près des deltas de Jezero des argiles et des minéraux carbonatés, qui ont besoin d’eau pour se former. Sur la Terre, les sables blancs du lac Salda sont aussi constitués de carbonates précipités, appelés «microbialites ». Ces structures organosédimentaires se forment lorsque le dioxyde de carbone dissous réagit en emprisonnant des composés organiques. De tels processus donnent des structures en couches qui renferment les plus anciennes traces de vie microbienne sur notre planète, datées de 3,5 milliards d’années. Les scientifiques espèrent que les carbonates ont fait de même dans le cratère Jezero. Et qu’ils ont piégé ce qui habitait autrefois le lac ou ses rives.

    Le rover mettra ces échantillons à l’abri, sur Mars. Là, ils attendront qu’un futur engin spatial les rapporte vers la Terre. Où les scientifiques tenteront de décrypter les archives du climat de Mars et de déceler tout signe de vie.

    À moins que les caméras ultraperformantes de Perseverance aient été les premières à découvrir des restes de «Martiens» fossilisés.

    Mars a déjà appris au moins une chose à l'humanité : concernant la vie à la surface de cette planète, nous avons souvent pris nos désirs pour la réalité. Canaux, végétation, traces de fossiles sur des météorites martiennes... À maintes reprises, la planète Rouge a enseveli nos espoirs sous de sombres et stériles réalités.

    Alors, pourquoi envoyer encore un engin spatial en quête de vie sur Mars ? D’autant que nous ne cherchons pas des organismes vivants actuels, mais des traces d’organismes qui, peut-être, ont prospéré voilà des milliards d’années. « Nous n’avons pas cherché de la vie sur Mars, martèle Nathalie Cabrol, un peu agacée, en détachant  chaque mot. Si vous n’avez pas une bonne compréhension de l’environnement, comment y décrypter ou en extraire un signe de vie?! »

    Et la chercheuse à l’Institut Seti d’enfoncer le clou : même Viking, censée être une mission de recherche de la vie, embarquait un protocole conçu sans disposer d’une connaissance suffisante de l’environnement martien pour obtenir des chances raisonnables de succès.

    Il faut beaucoup de pratique pour réussir à faire fonctionner un rover sur Mars. Sur la Terre, les scientifiques utilisent des sites qui évoquent les terrains martiens pour mettre diverses procédures au point. Au Nevada, en février 2020, un lac asséché a joué le rôle de Mars. Raymond Francis (debout) et Marshall Trautman, chercheurs au JPL, ont travaillé avec des opérateurs de caméra à distance pour tester du matériel destiné à Perseverance.

    PHOTOGRAPHIE DE Sam Molleur, NASA, Jpl

    Cependant, ces paysages anciens sont encore présents. Ils sont les témoins de l’enfance de la planète et d’un temps où la vie aurait pu se développer dans une période un peu plus humide, avec une atmosphère plus dense. « Nous savons que les canaux n’existent pas, nous savons qu’il n’existe pas de pyramide sur Mars, pas de  civilisation extraterrestre, pas de Tupperware, poursuit Nathalie Cabrol. Mais si nous découvrons vraiment qu’une sorte de “soupe” prébiotique jonchait la surface martienne, nous pourrions apprendre quelque chose sur la façon dont la vie évolue sur n’importe quelle boule rocheuse – y compris la nôtre. »

    Et si Perseverance ne trouve ni fossile martien ni aucun signe que des endroits comme Jezero auraient pu abriter de la vie ? Saurons-nous un jour renoncer à l’idée d’une vie sur Mars ?

    Probablement pas, admet David Grinspoon, chercheur en chef à l’Institut des sciences planétaires, dans l’Arizona : « Abandonner l’idée que Mars, en quelque sorte, nous cache la vie est très difficile. C’est une idée très, très tenace. »

    En un sens, cet entêtement est peut-être la manifestation la plus flagrante de notre désir de compagnonnage, de ce besoin de savoir que nous ne sommes pas seuls dans l’Univers. Les humains, pour la plupart, ont besoin d’autres humains pour survivre, et c’est peut-être également vrai à l’échelle planétaire.

    « Nous ne sommes pas un peuple solitaire, estime Andy Weir, l’auteur de Seul sur Mars. À un niveau macroscopique, nous, les humains, ne voulons pas être seuls. »

     

    Article publié dans le numéro 258 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

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