Io : cette lune de Jupiter est un enfer volcanique

Io est l'objet le plus volcanique de notre système solaire et son histoire intrigue les chercheurs depuis des décennies. Et si elle était née ainsi ?

De Robin George Andrews
Publication 19 avr. 2024, 18:35 CEST

Le 15 octobre 2023, la caméra JunoCam embarquée par la sonde spatiale Juno de la NASA a capturé cette image dévoilant le pôle Nord de la lune jovienne Io. Puisque les hautes latitudes de l'objet avaient globalement échappé aux missions Voyager et Galileo, trois des sommets visibles ci-dessus ont alors été observés pour la première fois. Ces montagnes apparaissent dans la partie supérieure de l'image, à proximité du terminateur, la ligne qui sépare le jour de la nuit.

PHOTOGRAPHIE DE NASA, JPL-Caltech, SwRI, MSSS, Ted Stryk

Sous ses reflets argentés, notre Lune impressionne de bien des façons, mais elle est loin de rivaliser avec celles des géantes gazeuses de notre système solaire. Ces lunes sont des mondes à part entière. Certaines, comme Europe ou Encelade, possèdent des océans liquides spectaculaires et potentiellement habitables. Puis il y a Io, l'une des lunes de Jupiter.

Derrière ces deux lettres se cache l'objet le plus volcanique du système solaire à notre connaissance : un orbe aux nuances de rouille où les villes cèdent leur place aux mers de lave, où les nuages de fumée forment dans le ciel des ombrelles infernales. Depuis quand Io est-elle aussi éruptive ? Difficile à dire, car la surface de la lune se renouvelle tous les millions d'années sous l'effet de son volcanisme, ce qui explique également le peu d'informations dont disposent les scientifiques sur son histoire.

Tous les mondes sont dynamiques et ceux dont le cœur géologique bat encore changent parfois de manière radicale. Dans sa version primitive, la Terre ne ressemblait en rien à sa forme actuelle. Qu'en est-il d'Io ? La lune a-t-elle toujours été aussi infernale ?

Pour répondre à ces questions, les astronomes ont étudié l'atmosphère de la lune afin de déterminer la durée nécessaire à ces innombrables éruptions pour modifier sa composition chimique depuis un point de départ estimé. Selon leurs résultats publiés dans la revue Science, Io semble être agitée par ces éruptions depuis des milliards d'années, peut-être même 4,5 milliards d'années, l'âge de notre système solaire. En d'autres termes, Io présente une hyperactivité volcanique depuis que le Soleil brille.

Ces images composites révélant l'activité volcanique sur Io ont été générées à l'aide de données collectées en lumière visible et en infrarouge par la sonde Juno de la NASA lors de ses survols de la lune jovienne, le 14 décembre 2022 (à gauche) et le 1er mars 2023. Dans les deux images, l'arrière-plan (en gris et marron) est fourni par la caméra JunoCam, alors que les taches rouges, jaunes et blanches sont issues des données de l'instrument JIRAM (Jupiter Infrared Aural Mapper), un spectromètre infrarouge. Les images augmentées comme celles-ci peuvent aider l'équipe scientifique de la mission Juno dans la cartographie et le suivi des volcans actifs à la surface de la lune.

PHOTOGRAPHIE DE NASA, JPL-Caltech, SwRI, ASI, INAF, JIRAM

« Nous voyons Io comme elle a toujours été ! » déclare Jani Radebaugh, astrogéologue à l'université Brigham Young, non impliqué dans la nouvelle étude. Io est donc une sorte de machine à voyager dans le temps dont l'inépuisable moteur thermique alimenté par la force de marée peut nous en apprendre plus sur les mondes d'ici et d'ailleurs.

« Ce processus anime l'ensemble du système solaire, mais également les exoplanètes », indique Katherine de Kleer, planétologue au sein du California Institute of Technology et auteure principale de l'étude. « Nous étudions Io pour mieux comprendre ce processus universel. »

 

PARADIS POUR VOLCANS

Du point de vue humain, le système solaire peut paraître peu enclin au changement, ce qui est loin d'être le cas à l'échelle des temps astronomiques. Par exemple, ces dernières années, les scientifiques ont découvert que les anneaux emblématiques de Saturne ne constituent pas un équipement permanent, mais plutôt une décoration récente : ils sont apparus il y a quelques centaines de millions d'années et disparaîtront dans un laps de temps similaire.

Ainsi, Io n'a peut-être pas toujours été le théâtre volcanique qu'elle est aujourd'hui. Pour le savoir, nous devons comprendre comment fonctionne son volcanisme et pourquoi il se montre aussi spectaculaire.

En 1979, deux événements scientifiques majeurs ont jeté les fondations : la sonde Voyager 1 de la NASA a survolé le système jovien en photographiant de titanesques nuages de matière volcanique s'élevant de la surface d'Io et une équipe indépendante de scientifiques a calculé que la lune possédait une source de chaleur puissante, mais inhabituelle.

Cette prédiction mathématique provient de l'étrange trajectoire d'Europe et de Ganymède, deux lunes voisines d'Io. Pour chaque révolution de Ganymède autour de Jupiter, Europe en réalise deux et Io quatre. Connu sous le nom de résonnance, ce rythme particulier altère l'orbite d'Io en lui donnant une forme plus elliptique que circulaire.

Lorsque Io se rapproche de Jupiter sur cette orbite oblongue, elle subit une attraction gravitationnelle plus forte ; lorsqu'elle s'éloigne, l'attraction gravitationnelle de Jupiter s'affaiblit. Cela provoque des marées semblables à celles infligées par la Lune aux océans terrestres, sauf que dans ce cas, les marées sont si puissantes que la surface d'Io s'élève et s'affaisse d'une centaine de mètres, soit la hauteur d'un petit gratte-ciel.

Tout ce mouvement entraîne énormément de friction, ce qui génère une formidable chaleur. Dans les entrailles d'Io, cette chaleur se traduit par la fusion d'un volume de roche considérable, allant peut-être jusqu'à créer un océan de magma. Cela alimente certaines éruptions particulièrement violentes en surface qui déversent des torrents de lave plus longs que la plupart des fleuves terrestres, expulsent des colonnes vertigineuses de confettis de lave riches en soufre et créent des chaudrons de roche liquide qui ouvrent autant de portails vers les profondeurs de la lune jovienne.

« C'est fabuleux », jubile Katherine de Kleer. « Ces volcans nous offrent une fenêtre sur l'intérieur de la lune, ce qui est plutôt rare. »

La nature extrême du volcanisme d'Io ne s'arrête pas à ces éruptions. En dehors des éjectas soufrés, la lune recrache des gaz composés de sodium et de chlorure de potassium. Sur Terre, nous utilisons ces éléments pour assaisonner nos plats. « C'est du sel de table qui jaillit de ces volcans », indique de Kleer.

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    La plupart des matières éjectées peuvent également être propulsées dans l'espace à travers la fine atmosphère d'Io. Ces matières se mêlent ensuite à la lumière du soleil et subissent une excitation électrique avant de retomber dans le ciel magnétisé de Jupiter et d'exploser sous la forme de puissantes aurores, la version jovienne des aurores boréales ou australes observées sur Terre.

     

    LUNE EN FOLIE

    Le coupable de cette sorcellerie planétaire n'est autre que la source de chaleur qui anime Io, connue sous le nom de réchauffement par effet de marée. Les scientifiques cherchaient à savoir si ce phénomène existait toujours à l'intérieur de la lune. Cependant, en raison de l'intense activité volcanique, les coulées de lave n'ont de cesse de recouvrir la surface de la lune, dissimulant au passage toute trace de processus géologique.

    « Il est impossible d'obtenir des informations sur un événement survenu il y a un million d'années simplement en observant la surface d'Io », explique Katherine de Kleer. C'est pourquoi la scientifique a opté pour une approche différente avec son équipe en s'intéressant plutôt à l'atmosphère de la lune.

    Chaque seconde, Io perd jusqu'à trois tonnes de matière dans l'espace à travers le dégazage volcanique et l'érosion atmosphérique. « Cette perte de masse pourrait être comparée à celle d'une comète », illustre Apurva Oza, astrophysicien spécialiste des exoplanètes pour le Jet Propulsion Laboratory de la NASA, non impliqué dans la nouvelle étude.

    Les éléments qui composent ces gaz se déclinent en différentes versions, appelées isotopes, certaines étant plus lourdes que d'autres. Les isotopes légers ont tendance à évoluer dans les couches supérieures de l'atmosphère et peuvent donc s'échapper plus facilement dans l'espace. Quant aux isotopes lourds, ils restent plus proches de la surface et sont donc recyclés par l'activité volcanique. Par conséquent, les éruptions qui agitent Io de nos jours doivent être proportionnellement enrichies en isotopes lourds. Si l'équipe parvenait à mesurer le rapport entre les isotopes lourds et légers présents dans l'atmosphère, ils pourraient alors calculer la durée nécessaire à la lune pour atteindre cet état à partir d'un réservoir initial de matière souterraine éruptible.

    C'est exactement l'expérience entreprise par Katherine de Kleer et son équipe de scientifiques qui ont fait appel à l'Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (ALMA) du Chili pour analyser les gaz présents dans l'atmosphère d'Io, principalement composée de soufre. Afin d'estimer le réservoir initial d'isotopes lourds et légers, l'équipe s'est tournée, entre autres, vers des témoins de la composition chimique du système solaire primitif : les météorites.

    Ils ont ainsi établi que le rapport isotopique actuel du soufre dans l'atmosphère ionienne suggère que la lune aurait perdu 94 à 99 % de son réservoir de soufre initial. En croisant ces données avec les modèles existants de l'évolution de Jupiter et de ses lunes intérieures, les chercheurs sont arrivés à la conclusion suivante : Io est en éruption depuis des milliards d'années, peut-être même 4,5 milliards d'années.

     

    DANSE ORBITALE 

    « Les dynamiques orbitales des satellites planétaires sont parfois très chaotiques », indique James Tuttle Keane, planétologue au sein du Jet Propulsion Laboratory de la NASA, non impliqué dans l'étude. Les lunes peuvent quitter une orbite stable et y revenir, entrer en collision avec d'autres objets ou même être entièrement éjectées du système solaire.

    En ce qui concerne Io, Ganymède et Europe, il semblerait que la chorégraphie à laquelle participent ces trois-là n'ait connu aucune fausse note depuis des milliards d'années. « Au cours de son histoire, Io n'a donc pas vraiment changé », résume Keane.

    À elle seule, cette immuabilité fait figure d'exception dans l'univers, mais elle a également des implications pour la voisine d'Io, Europe. Sous sa coquille de glace, cette autre lune jovienne dissimule un océan qui, selon nos connaissances actuelles, serait maintenu à l'état liquide grâce au réchauffement par effet de marée. Si Io est volcanique depuis des milliards d'années, alors l'océan d'Europe pourrait être tout aussi primitif.

    « À long terme, cela peut avoir des implications pour l'habitabilité d'Europe », indique de Kleer. Si cet océan abrite la vie, ce qui reste une hypothèse, alors cette vie doit son existence à la même force gravitationnelle qui, non loin de là, plonge Io dans un véritable enfer volcanique.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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