Le mystère persistant de la vitesse d'expansion de l'Univers

Les données provenant de supernovas et de céphéides proches indiquent que l’expansion de l'Univers est plus rapide que prévu.Les chercheurs ne savent pour l'instant pas expliquer une accélération aussi importante, même en tenant compte de l’énergie noire.

De Charles Q. Choi
Publication 22 sept. 2023, 15:48 CEST
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La galaxie spirale NGC 4258, capturée par le télescope spatial Hubble, mesure 30 000 années-lumière de diamètre et se situe à 23 millions d'années-lumière de la Terre. De nouvelles mesures de certaines des étoiles qui la composent suggèrent que l'Univers pourrait bien s'étendre plus vite qu'il ne le devrait.

PHOTOGRAPHIE DE ROBERT GENDLER, SCIENCE PHOTO LIBRARY

De nouvelles données fournies par le télescope spatial James Webb (JWST) de la NASA ont accentué un mystère déjà complexe relatif à la vitesse de l’expansion de l’Univers. La découverte laisse en effet entendre que des lois physiques encore inconnues pourraient bien nous empêcher d’élucider cette énigme cosmique.

Depuis sa naissance, il y a environ 13,8 milliards d'années, l’Univers n’a cessé de s’étendre dans toutes les directions. En analysant son taux d’expansion actuel, connu sous le nom de constante de Hubble, en référence au célèbre astronome américain Edwin Hubble, les chercheurs peuvent estimer son âge et émettre certaines théories quant à son destin : par exemple, continuera-t-il à s’étendre pour toujours (Big Freeze), s’effondrera-t-il sur lui-même (Big Crunch), ou finira-t-il par se disloquer (Big Rip) ?

Pour mesurer la constante de Hubble, les chercheurs ont recours à deux stratégies principales. La première consiste à observer des objets proches dont les scientifiques connaissent bien les propriétés, tels que les supernovas ou les étoiles variables, connues sous le nom de céphéides, afin d’estimer leur distance ainsi que la vitesse à laquelle ils s’éloignent de nous. L’autre méthode consiste à examiner le fond diffus cosmologique (CMB), le rayonnement résiduel du Big Bang, afin d’étudier les conditions de vie initiales de l’Univers et, ainsi, d’estimer la vitesse à laquelle ce dernier s’est étendu depuis cette époque lointaine.

Étonnamment, au cours des dix dernières années, ces deux méthodes ont produit deux résultats contradictoires. Les observations du fond diffus cosmologique réalisées par l’observatoire spatial européen Planck suggèrent que l’Univers s’étend à un rythme d’environ 67,4 kilomètres par seconde par mégaparsec (une distance qui équivaut à 3,26 millions d’années-lumière). De leur côté, les données dérivées de l’observation de supernovas et de céphéides suggèrent un taux plus rapide, estimé à environ 73 kilomètres par seconde par mégaparsec.

La résolution de ce désaccord connu sous le nom de « tension de Hubble » pourrait nous éclairer sur l’évolution et le destin du cosmos. Il est possible qu’une ou plusieurs des méthodes utilisées pour estimer ce nombre essentiel soient tout simplement erronées.

« Nous espérions que cette divergence disparaîtrait, qu’il s’agissait peut-être d’une simple erreur de mesure », admet Adam Riess, astrophysicien au Space Telescope Science Institute de Baltimore, qui a reçu le prix Nobel de physique en 2011 pour sa contribution aux recherches qui ont mené à la découverte de l’accélération de l’expansion de l’Univers.

COMPRENDRE : La formation de l'univers

Dans la nouvelle étude, Riess et ses collègues se sont appuyés sur la résolution très précise du télescope James Webb. Ils ont analysé plus de 320 céphéides dans 2 galaxies : NGC 4258, située à environ 23 millions d’années-lumière, et NGC 5584, située à environ 100 millions d’années-lumière.

Les chercheurs ont ainsi constaté que le télescope présentait une précision environ trois fois supérieure à celle du télescope spatial Hubble. « J’aurais déjà été satisfait d’une amélioration de 20 %, alors le fait qu’elle soit trois fois meilleure, c’est vraiment exceptionnel », confie Riess.

Les nouvelles observations sont toutefois plutôt cohérentes avec les précédentes estimations de distance réalisées par Hubble. « Les résultats précédents ont passé le test du JWST », révèle John Blakeslee, astronome au NOIRLab à Tucson, en Arizona, qui n’était pas impliqué dans cette étude.

« Un jour, il faudra admettre qu’il ne s’agit pas d’une erreur de mesure, et dans ce cas, cela révèlera quelque chose de très intéressant sur l’Univers », ajoute Riess. « Cette énigme est de plus en plus complexe, mais aussi très intéressante. »

 

LES MYSTÉRIEUX ROUAGES DU COSMOS

Ces nouveaux résultats suggèrent que la tension de Hubble pourrait être due à un facteur plus fondamental qu’un simple manque de précision. Si les deux valeurs sont correctes, cela implique que les astronomes ignorent un élément d’information crucial quant à la manière dont l’Univers s’est développé depuis sa création.Les données provenant de supernovas et de céphéides proches indiquent, en se basant sur des conditions qui prévalaient lorsque l’Univers était encore jeune, conditions qui se reflètent dans le fond diffus cosmologique, que l’expansion s’accélère plus rapidement que prévu. Les chercheurs ne peuvent pas expliquer une accélération aussi importante, et ce même en tenant compte de l’énergie noire, la force mystérieuse qui, selon les théoriciens, serait à l’origine de l’accélération de l’expansion de l’Univers.

« Nous constatons une nette divergence entre les observations et le modèle dominant de l’Univers », affirme Pierre Kervella, astronome à l’Observatoire de Paris, qui n’était pas impliqué dans cette étude. « Il est désormais plus probable que le problème provienne de notre modèle de l’Univers plutôt que des observations, qui sont tout à fait solides. »

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    Une explication possible est « qu’il pourrait y avoir un problème avec la théorie de la gravitation que nous utilisons : la relativité générale », poursuit Kervella. En effet, la valeur de la constante de Hubble dérivée du fond diffus cosmologique dépend, selon le spécialiste, d’un modèle qui se base sur la théorie de la relativité générale.

    Selon Riess, il est également possible qu’une forme d’énergie noire insoupçonnée ait existé dans l’Univers primitif. En outre, l’énergie noire pourrait avoir changé de nature au fil du temps, depuis l’époque durant laquelle l’Univers était très jeune et compact jusqu’à nos jours, où il a vieilli et s’est agrandi.

    « Il existe une multitude d’idées qui présentent toutes des avantages et des inconvénients », explique Riess. « Pour le moment, aucune ne convient parfaitement. »

     

    DE NOUVEAUX INDICES

    Des scientifiques ont récemment mis au point une autre technique de mesure de la constante de Hubble qui pourrait contribuer à éclaircir ce mystère. Cette dernière repose sur les ondes gravitationnelles, des oscillations dans la courbure de l’espace-temps provoquées par l’accélération d’une masse.

    En 2017, des scientifiques ont détecté des ondes gravitationnelles produites par la collision d’étoiles à neutrons. En théorie, ces ondulations peuvent être utilisées pour déterminer la distance entre les collisions et la Terre, et la lumière émise par les impacts peut révéler la vitesse à laquelle ces ondulations se déplacent par rapport à la Terre. Ces deux ensembles de données peuvent être utilisés pour calculer la constante de Hubble.

    Les résultats préliminaires obtenus à l’aide de cette méthode suggèrent que la constante de Hubble aurait une valeur de près de 70 kilomètres par seconde par mégaparsec, soit un résultat à mi-chemin entre ceux des deux autres méthodes. L’analyse des collisions entre une cinquantaine de paires d’étoiles à neutrons dans les cinq à dix prochaines années pourrait fournir suffisamment de données pour obtenir des résultats plus concluants.

    En attendant, Blakeslee révèle que le JWST mesurera les distances des céphéides dans une dizaine d’autres galaxies. Ce travail constituera un test encore plus solide de la mesure dans l’Univers proche.

    Néanmoins, la tension de Hubble n’ira probablement nulle part tant que personne ne retrouvera avec certitude la pièce manquante de cet immense puzzle cosmologique.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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