Inde : la ville sainte de Varanasi renaît de ses cendres au détriment de ses habitants

La rénovation urbaine de Varanasi tend à faciliter le pèlerinage des centaines de milliers de personnes qui se pressent chaque année sur les rives du Gange.

De Paul Salopek
Photographies de Paul Salopek
Publication 22 mars 2019, 10:04 CET
Des ouvriers démolissent des bâtiments dans le quartier de Lahori Tula à Varanasi dans le cadre ...
Des ouvriers démolissent des bâtiments dans le quartier de Lahori Tula à Varanasi dans le cadre d'un projet de rénovation au coût estimé à 73 millions d'euros. Chaque année, des centaines de milliers de pèlerins se rendent à Varanasi.
PHOTOGRAPHIE DE Paul Salopek

VARANASI, INDE - Nous avons marché vers l'est le long du Gange jusqu'à ce que le fleuve soit coupé au nord, comme une épée d'acier traversant les plaines jusqu'à Varanasi.

La ville la plus sainte de l'Inde, la Jérusalem de l'hindouisme, est recouverte de poussière, de mortier et de poudre émanant des briqueteries. Une armée d'ouvriers pilonnent les murs du quartier de Lahori Tula avec des marteaux et des barres de fer, nivelant son dédale tordu d'allées et de bâtiments déséquilibrés. L'un des quartiers les plus anciens de la ville semble avoir été bombardé. La nuit, des chargements de débris tirés par des mulets et des chevaux bardés de paniers sont emportés tonne après tonne.

Pour soulager la congestion lors des pèlerinages, des quartiers entiers de la ville sont en train d'être rasés pour laisser place à des jardins, des magasins et des passerelles.
PHOTOGRAPHIE DE Paul Salopek

« Les plans de notre directeur ont changé », explique Vishal Singh, secrétaire de la Varanasi Development Authority, à propos d'un nouveau projet ambitieux consistant à ouvrir des corridors piétonniers aux centaines de milliers de pèlerins qui visitent Kashi Vishwanath, le temple le plus sacré de la ville. Afin de réduire cet encombrement, des quartiers entiers de la ville de Varanasi ont été rasés pour laisser place à des jardins, des toilettes, des magasins. Des dizaines de sanctuaires cachés, certains datant de plusieurs siècles, ont été découverts alors que les maisons des résidents s'effondraient.

« Au début, on pensait trouver une bande de terre dégagée et propre », indique Singh. « Mais nous avons commencé à trouver des petits temples. [Après les travaux], ils seront tous accessibles par un complexe de voies. »

Singh est assis derrière un grand bureau dans une pièce où sont disposées plus de 20 chaises vides. Les employés vont et viennent avec des documents qu'il lui faut signer. Certains se penchent pour lui murmurer des informations. Un nandi doré orné de guirlandes de pétales de roses semble méditer sur son bureau. Singh nous indique que 296 bâtiments seront démolis dans le cadre du plan d'embellissement estimé à un coût de 85 millions de dollars (environ 73 millions d'euros). Des milliers de personnes ont été déplacées sous réserve d'une compensation. Peu d'entre eux en semblent ravis.

Plus de 30 000 personnes sont incinérées chaque année à Varanasi sur les rives du Gange sacré.
PHOTOGRAPHIE DE Jonathan Irish, Nat Geo Image Collection

Pour les Hindous les plus fervents, Varanasi est connue sous le nom de Kashi, l'endroit « où brille la lumière suprême ». Les 88 ghats - ensemble de marches ou de gradins - de la ville tombent dans le Gange par des marches magnifiquement usées. Une fois dans l'eau, les fidèles se lavent de leurs péchés. 

Près de 30 000 personnes par an sont incinérées dans les ghats. Les corps des bébés et des hommes saints sont simplement poussés dans la rivière ou coulés avec des pierres. Irréprochables, leurs corps ne nécessitent pas l'action du feu purificateur. 

L'eau du Gange se mêle ainsi aux cendres, aux eaux usées et aux carcasses de vaches sacrées. Mais les fidèles boivent l'eau de cette rivière, persuadés que rien ne peut ternir la pureté de Ma Ganga, la déesse de la rivière représentée chevauchant un crocodile. Vous pouvez stocker l'eau du Gange dans un pot et, dit-on, elle sera toujours potable vingt ans plus tard. 

« Où sommes-nous censés vivre ? » demande Naresh Pandey, l'un des milliers de prêtres hindous qui accomplissent des rites funéraires devant les ghats enflammés de Varanasi. « Le gouvernement saisit notre maison. Nous vivons là depuis plusieurs générations. »

Le bâtiment dans lequel habitait Pandey en front de mer à Lahori Tula doit être détruit dans le plan de réaménagement de la ville. Il a tenté de s'opposer à l'expulsion, en vain. Comme la plupart des habitants démunis du quartier historique, la famille de Pandey était locataire de son logement. Ils s'acquittaient d'un loyer contrôlé dérisoire de génération en génération. Le propriétaire était ravi de céder sa propriété en ruine au gouvernement. 

Un autre prêtre à la robe safran qui ne nous a pas donné son nom nous a indiqué que le projet d'embellissement déchirait le tissu social antique de Varanasi. Mais qu'il appuierait la reconstruction de son quartier, dit-il, si le gouvernement détruisait également la mosquée Gyanvapi.

Dans la ville, les bâtiments s'abaissent, devenant un perchoir de choix pour les chèvres du quartier.
PHOTOGRAPHIE DE Paul Salopek

En 1669, l'empereur moghol Aurangzeb avait rasé le temple originel de Kashi Vishwanath, au centre du projet de rénovation urbaine en cours, et avait érigé la mosquée sur ses ruines. Les archéologues supposent que le célèbre temple hindou a été détruit et reconstruit au moins cinq fois.

Pandey, le prêtre sans abri, repousse la fumée des flammes qui illuminent les bords de la rivière, explique comment les feux lancés depuis les ghats de Varanasi étaient pratiquement éternels - ravivés mois après mois par des milliers d'années de crémations. Mourir et être jeté dans le Gange à Varanasi, dit-il, était une garantie de moksha, une libération du cycle de la lutte terrestre, de la répétition, de la réincarnation, des affres de la mort et de la renaissance.

 

Cet article a été originellement publié sur le site Web de la National Geographic Society en langue anglaise, consacré au projet Out of Eden Walk.
Paul Salopek a remporté deux prix Pulitzer pour son travail en tant que correspondant à l'étranger pour le Chicago Tribune. Retrouvez-le sur Twitter @paulsalopek 
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