"Lavez-vous les mains" : un conseil qui n'a pas toujours fait l'unanimité

Tout le monde sait que se laver les mains est un geste simple, synonyme de bonne santé. Cependant, il n'en a pas toujours été ainsi. Dans les années 1840, un médecin s'était même fait renvoyer pour avoir promu cette pratique.

De Nina Strochlic
Publication 10 mars 2020, 17:18 CET
Dans une clinique allemande, des médecins se lavent les mains avant une opération. Ce n'est qu'au ...
Dans une clinique allemande, des médecins se lavent les mains avant une opération. Ce n'est qu'au 19e siècle que cette pratique d'hygiène est devenue courante.
PHOTOGRAPHIE DE Joker, David Ausserhofer, Ullstein Bild, Getty

Pour éviter la propagation de maladies comme la grippe ou le coronavirus, il n’est de technique moins controversée et plus efficace que celle de se laver les mains. Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies recommandent de se frotter régulièrement les mains pendant 20 secondes avec du savon et de l’eau. Il fut pourtant un temps où ce conseil n’était pas considéré comme relevant du bon sens. Au 19e siècle, on trouvait même cette pratique scandaleuse.

L’Europe des années 1840 vit nombre de nouvelles mamans mourir d’une maladie connue sous le nom de fièvre puerpérale. Même lorsque les meilleurs soins médicaux leur étaient prodigués, les femmes tombaient malades et rendaient l’âme peu de temps après avoir accouché. Intrigué, l'obstétricien hongrois Ignaz Semmelweis décida de remonter à la source du problème. (Comment des trillions de microbes affectent notre vie au quotidien.)

Le médecin obstétricien hongrois Ignaz Semmelweis était pionnier dans le domaine des procédures antiseptiques, mais il fut ridiculisé pour son travail associant le lavage des mains à de meilleurs soins médicaux.
PHOTOGRAPHIE DE GL Archive, Alamy

SAGES-FEMMES ET MÉDECINS

Semmelweis travaillait à l’Hôpital général de Vienne, qui comptait deux maternités distinctes : l’une composée d’une équipe d’hommes médecins et l’autre de sages-femmes. Il remarqua que le taux de mortalité découlant de la fièvre puerpérale était beaucoup plus faible quand les sages-femmes mettaient les enfants au monde. Les femmes prises en charge par les hommes ou des étudiants en médecine avaient au moins deux fois plus de risques de mourir que les patientes suivies par les sages-femmes.

Le médecin hongrois testa alors nombre d’hypothèses pour tenter d’expliquer ce phénomène. Il chercha à comprendre si la posture de la femme pendant l’accouchement avait une incidence quelconque. Il voulut également savoir si la fièvre était une réaction à l’embarras qu’éprouvaient les femmes à être examinées par un homme. Il n’écarta pas non plus la possibilité que les prêtres qui venaient au chevet des mourantes aient pu effrayer les femmes, jusqu'à les faire mourir. Semmelweis évalua soigneusement chacune des hypothèses avant de les écarter.

 

AGENTS PATHOGÈNES

Une fois ces facteurs éliminés, Semmelweis réussit enfin à démasquer le vrai coupable : les cadavres. Le matin à l’hôpital, les médecins supervisaient le travail de leurs étudiants et les aidaient à mener des autopsies dans le cadre de leur formation médicale. L’après-midi, tous se retrouvaient au service de maternité pour examiner les patientes et pratiquer les accouchements. Les sages-femmes, elles, ne travaillaient que dans leur service.

Un tableau brossé par le peintre Robert Thom représente Semmelweis (au centre) supervisant les médecins qui se lavent les mains avant d'examiner les patientes du service obstétrique de l'Hôpital général de Vienne en Autriche.
PHOTOGRAPHIE DE Look And Learn, Bridgeman Images

La théorie microbienne n’en était qu’à ses prémices : quelques décennies nous séparaient encore des découvertes extraordinaires de Louis Pasteur et Joseph Lister. Semmelweis qualifia les pathogènes de « matières organiques animales en décomposition » plutôt que de « microbes ». Les femmes étaient infectées par les particules et décédaient des suites d’une fièvre après être entrées en contact avec les médecins. (Avant la découverte des vaccins, la variole tuait trois personnes infectées sur dix.)

 

UN VOTE À MAIN LEVÉE

En 1847, Semmelweis imposa aux étudiants et aux médecins qui travaillaient à l’Hôpital général de Vienne un lavage de mains obligatoire. Il eut recours à une solution à base de chlorure de chaux plutôt que de compter sur le savon ordinaire parce que celle-ci permettait d’éradiquer complètement l’odeur de putréfaction qui persistait sur les mains. Le personnel prit alors l’habitude de se désinfecter les mains et de stériliser les instruments. Le taux de mortalité au sein de la maternité gérée par le médecin hongrois chuta de manière vertigineuse.

En 1850, Semmelweis donna une conférence à l’Association des médecins de Vienne. Dans son discours, il vanta les mérites du lavage de mains devant une foule de médecins. Sa théorie allait cependant à l’encontre des normes médicales alors en vigueur et la communauté médicale en fit fi, critiquant à la fois sa science et sa logique. Les historiens s’accordent pour dire que sa théorie fut rejetée à l’époque parce qu’elle sous-entendait que la mort des patientes incombait aux médecins. Rapidement, l’Hôpital général de Vienne délaissa cette pratique, même si le taux de mortalité avait nettement diminué.

Les années qui suivirent furent particulièrement difficiles pour Semmelweis. Il quitta Vienne et s’installa à Pest, en Hongrie, où il travailla également dans un service obstétrique. Il instaura la pratique de lavage de mains obligatoire et, naturellement, réussit à réduire le taux de mortalité comme à Vienne. Son succès ne lui valut cependant pas la reconnaissance.

Semmelweis publia des articles sur l’importance du lavage de mains au cours des années 1858 et 1860, puis un livre un an plus tard, mais ses théories ne trouvèrent pas d’écho favorable auprès du corps médical. Les médecins dénoncèrent haut et fort son livre, soutenant d’autres théories pour expliquer la propagation de la fièvre puerpérale.

La santé de Semmelweis commença à se détériorer quelques années plus tard. Certains le croyaient atteint de syphilis ou de la maladie d’Alzheimer. Il fut placé dans un hôpital psychiatrique et mourut peu de temps après, sans doute des suites d’une septicémie causée par une plaie infectée à la main.

 

UN HOMMAGE TARDIF

En 1867, soit deux ans après la mort de Semmelweis, le chirurgien écossais Joseph Lister suggéra également l’idée de désinfecter mains et instruments chirurgicaux pour mettre fin aux maladies infectieuses. Sa vision avait aussi ses détracteurs mais, dans les années 1870, les médecins se mirent à se laver régulièrement les mains avant les interventions chirurgicales.

Peu après, les travaux antérieurs de Semmelweis commencèrent à gagner en reconnaissance. Plus tard, ils conduisirent Louis Pasteur à développer la théorie microbienne qui améliora la prise en charge des patients par les médecins et leva le voile sur les causes et la propagation des maladies. (Adopter des habitudes saines n’a pas eu lieu en un jour.)

Ce croquis montre Semmelweis se lavant les mains à la chlorure de chaux. Ses travaux ont permis de mettre en place des pratiques médicales plus saines mais n'ont été reconnues à leur juste valeur qu'après sa mort en 1865.
PHOTOGRAPHIE DE Bettmann, Getty

L’importance de se laver les mains au quotidien ne devint un acquis universel qu’un siècle plus tard. Ce n’est que dans les années 1980 que l’hygiène des mains fut officiellement intégrée dans le système de santé avec la mise en place des premières directives nationales à ce sujet. L’Université de médecine de Budapest décida de porter le nom d’université de Semmelweis, en hommage au médecin méconnu qui a œuvré de son vivant à améliorer les soins de santé au moyen de l’hygiène. Plus d’un siècle s’était écoulé depuis que ses théories avaient été tournées en ridicule.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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