L'empire perse, l'ennemi oriental qui a fait trembler Rome

La dynastie des Sassanides a restauré la Perse dans sa splendeur impériale en s'inspirant de ses puissants ancêtres. Elle régnait sur des terres qui s’étendaient de la Turquie jusqu’au Pakistan.

De Miguel Ángel Andrés-Toledo

Lorsqu’Alexandre le Grand conquit la Perse en 331 av. J.-C., il mit un terme à l’Empire achéménide, fondé par Cyrus le Grand. Pendant les cinq siècles qui suivirent, le plateau iranien fut placé sous le joug d’autres empires, jusqu’à la montée au pouvoir d’une nouvelle dynastie perse. Extrêmement fiers de leurs racines, ces nouveaux rois, appelés les Sassanides, restaurèrent la grandeur de leurs ancêtres, en faisant appel à leur passé pour devenir des conquérants inspirant la crainte, des grands bâtisseurs et des mécènes des arts.

Tête de cheval en argent et argent doré de Kerman, datant du 4e siècle.

PHOTOGRAPHIE DE Akg, Album

Pendant plus de quatre siècles, les Sassanides dominèrent l’Asie de l’Ouest, étendirent leur empire et conquirent des terres des Empires romain et byzantin à l’Ouest, et de l’Empire kouchan à l’Est. Pour renforcer leurs liens avec le passé, ils honoraient leurs dirigeants en gravant des reliefs à la gloire de leurs réussites à Naqsh-e Rostam, lieu de sépulture traditionnel des rois achéménides. Le zoroastrisme devint la religion de l’Empire et le gouvernement fut centralisé.

Les Sassanides devinrent riches, grâce aux routes commerciales (dont la route de la Soie) qui traversaient leur royaume. Situé au centre de l’actuel Iran, l’Empire sassanide abritait de nombreuses ethnies et cultures. Il était connu pour ses bibliothèques, vastes centres d’apprentissage, ainsi que pour ses réalisations vertigineuses dans les domaines de l’art monumental et de l’architecture. En gardant un pied dans le passé, les Sassanides développèrent leur culture.

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    Ctésiphon, résidence royale des Sassanides, était autrefois dominée par un iwan, une cour couverte par une arcade. Les historiens ne sont pas d’accord sur la période de construction des ruines photographiées ci-dessous : elles dateraient du 3e ou du 6e siècle apr. J.-C.

    PHOTOGRAPHIE DE Akg, Album

     

    LE RETOUR DES PERSES

    L’Empire parthe fut fondé au 3e siècle av. J.-C., après le renversement des héritiers d’Alexandre le Grand. Originaires de la région du Khorasan, située dans le nord-est de l’actuel Iran, les Parthes contrôlèrent la zone pendant environ 400 ans. La culture parthe était hétérogène et avait été fortement influencée par l’héritage hellénistique d’Alexandre. Alors que la Parthie gagnait en puissance, elle se mit à rivaliser avec Rome. (À lire : La fin de l'Empire d'Alexandre le Grand précipitée par la suspicion et les complots.)

    Même si les conflits entre Rome et la Parthie étaient nombreux, ce fut une révolte locale qui mit fin à la puissance parthe en 224 apr. J.-C. Les forces militaires de la Perse, une région située dans l’actuel sud-ouest de l’Iran, s’opposèrent aux Parthes. Leur dirigeant, un prince perse nommé Papak et issu d’une famille de la noblesse, était le descendant d’un prêtre zoroastrien, Sasan. Papak mit son fils Ardashir à la tête d’un commandement militaire. Ce dernier s’avéra être un commandant accompli et fut capable de prendre le contrôle de plusieurs villes locales au début des années 200.

    Les autels de feu occupaient une place importante dans la foi zoroastrienne, la religion de l’Empire des Sassanides. La nécropole royale perse de Naqsh-e Rostam abrite des ruines de ces autels.

    PHOTOGRAPHIE DE PAUL ALMASY/GETTY IMAGES

    Les forces militaires d’Ardashir conquirent de plus en plus de territoires : elles finirent par battre le dernier des rois parthes et occuper leur résidence royale de Ctésiphon (située non loin de Bagdad, dans l’actuel Iran). Ardashir devint le premier roi de la nouvelle dynastie Perse, nommée en l’honneur de son grand-père, Sasan. Pour renforcer ses liens avec le passé impérial de la Perse, il adopta le titre traditionnel de Shahanshah, « roi des rois », comme les grands dirigeants avant lui.

    Ardashir régna pendant près de 20 ans et insuffla une nouvelle vision à l’Empire. Il commença à centraliser le pouvoir afin de renforcer son territoire. Le zoroastrisme, foi traditionnelle de ses ancêtres perses, devint la religion officielle de l’Empire, dans le but de renforcer la revendication du trône par sa famille. Le roi chercha aussi à étendre son empire et continua à user des avantages de ses forces militaires contre le vieil ennemi des Parthes, Rome. Il régna conjointement avec son fils, le futur roi Châhpuhr Ier.

     

    L’EXPANSION DE L'EMPIRE

    Arrivé au pouvoir en 241 apr. J.-C., Châhpuhr Ier resta fidèle à la vision grandiose de son père. Le titre qu’il adopta, « Roi des Iraniens et des non Iraniens », reflétait ses ambitions d’expansion. Il continua de mener des campagnes militaires aux frontières est de l’Empire romain et rencontra du succès à une époque d’instabilité politique et économique pour Rome.

    Un roi sassanide intronisé forme le centre d’une coupe datant du 5e ou 6e siècle, décorée de grenats et autres pierres précieuses, Bibliothèque nationale de France, Paris.

    PHOTOGRAPHIE DE Bnf, RMN Grand Palais

    En 244 apr. J.-C., les troupes de Châhpuhr Ier tuèrent l’empereur romain Gordien près de Ctésiphon. Philippe l’Arabe, l’empereur romain qui lui succéda, dut négocier pour obtenir la paix. Les écrits sassanides consignèrent avec joie cet événement : « Il nous donna 500 000 dinars et devint notre tributaire. C’est pour cette raison que nous avons renommé [Châhpuhr Ier] “Victorieux est Châhpuhr” ».

    Châhpuhr Ier continua de dévaster la Syrie et la Turquie romaines pendant deux décennies. L’humiliation romaine atteignit son summum en 260 apr. J.-C., lorsque les forces militaires sassanides capturèrent l’empereur Valérien lors de la bataille d’Édesse. Certains écrits perses dépeignent de façon dramatique les humiliations dont il fit l’objet : on raconte que Valérien aurait été tiré jusqu’à Châhpuhr Ier et contraint à lui servir de marchepied humain lorsque ce dernier voulait monter sur son cheval. Si les circonstances exactes de la mort de Valérien n’ont pas été confirmées par les historiens (certains avancent qu’il aurait été torturé puis tué), il ne fait aucun doute qu’il mourut en captivité en 260 apr. J.-C. En tout cas, le gouverneur romain de la Syrie reprit de larges territoires à la Perse. À la suite d’une défaite vers 262 apr. J.-C., Châhpuhr Ier n’essaya plus d’entrer en territoire romain. (À lire : Zénobie, la reine rebelle qui a défié Rome.)

    Châhpuhr Ier conquit également des territoires à l’Est. Selon les écrits sassanides, ses forces militaires s’emparèrent de territoires en Asie centrale, notamment la Bactriane, la Sogdiane et le Ghandara, qui appartenaient à l’Empire kouchan. Pour gérer cet empire tentaculaire, Châhpuhr Ier centralisa davantage encore le système gouvernemental, créant une hiérarchie simplifiée dans laquelle le pouvoir émanait du roi, qui le déléguait ensuite au Premier ministre, lui-même au-dessus de quatre classes : les prêtres zoroastriens (asronan), les guerriers (arteshtaran), les roturiers (wastary-oshan) et les artisans (hutukhshan).

    Au 4e siècle, les premiers territoires conquis par Châhpuhr Ier se stabilisèrent. À la fin du 5e siècle, le front avec l’Empire romain était en majeure partie stable. Les forces militaires sassanides étendirent les frontières est de l’Empire jusqu’en Chine, mais elles subirent des pertes et des revers ailleurs. Le peuple de l’Est de l’Iran, connu sous le nom des Huns blancs, pilla des régions de l’Est de la Perse au 5e siècle.

    Ce relief de la nécropole de Naqsh-e Rostam représente le roi sassanide Châhpuhr Ier forçant l’empereur romain Valérien (à gauche) de se rendre. La nécropole a été érigée par les rois de la Perse antique et se situe près de Persépolis, fondée au 5e siècle av. J.-C. par Darius Ier.

    PHOTOGRAPHIE DE De Agostini, w. Buss, Album

     

    UN EMPIRE D'UNE GRANDE DIVERSITÉ

    Les rois sassanides régnaient sur un peuple aux multiples cultures et composé de plusieurs ethnies. La route de la Soie traversait leur territoire, attirant richesses et nombre de marchands originaires de l’Asie centrale, de l’Inde, de la péninsule arabe, de l’Égypte, de l’Est de la Méditerranée, du Caucase, de la Grèce et de Rome. Si l’influence étrangère de ces personnes a enrichi les Sassanides d’un point de vue financier et culturel, elle a aussi compliqué la gouvernance.

    La puissance militaire et culturelle sassanide atteignit son apogée au 6e siècle, pendant le règne de Khosro Ier, arrivé au pouvoir en 531 apr. J.-C. Il promulgua une vague supplémentaire de réformes administratives afin de garantir une réponse militaire rapide en cas de menace externe ou de soulèvement au sein de l’Empire. Le pays fut alors divisé en quatre régions, chacune placée sous un commandant militaire.

    Si le zoroastrisme était toujours la religion de l’Empire, de nombreuses autres fois étaient pratiquées dans le territoire sassanide, comme le bouddhisme et le judaïsme. Le Talmud de Babylone, l’un des principaux textes du judaïsme rabbinique, fut écrit sous la dynastie sassanide.

    Alors que la diversité des religions était permise au début, le gouvernement finit par la réprimer. Mani, chef religieux du 3e siècle dont la théologie manichéenne est influencée par le christianisme et le zoroastrisme, était toléré, jusqu’à ce que la prêtrise zoroastrienne fasse pression pour obtenir son exécution vers 274 apr. J.-C.

    L’Empire romain adopta le christianisme comme religion officielle en 380. Suite à cela, les dirigeants sassanides l’associèrent à l’ennemi et les persécutions à l’encontre des chrétiens devinrent plus fréquentes. Toutefois, le fait de tolérer certaines formes de christianisme avait ses avantages : les nestoriens, qui s’étaient séparés de l’Église au 5e siècle, trouvèrent refuge sur les terres sassanides.

    Cette peinture du 17e siècle représente Khosro II, le dernier des grands rois perses, qui envahit les terres byzantines au début du 7e siècle. Après sa mort, l’état sassanide s’affaiblit et tomba aux mains des Arabes en 651 apr. J.-C.

    PHOTOGRAPHIE DE KURWENAL, Album

    DERNIÈRES GLOIRES AVANT LE DÉCLIN

    L’incroyable ferronnerie sassanide et la grandeur des reliefs en pierre représentant la dynastie à Naqsh-e Rostam et Taq-e Bostan ont subsisté pour proclamer les réussites des derniers rois perses.

    L’érudition se développa aussi à la fin de l’ère sassanide : au 6e siècle, Khosro Ier fonda l’Académie de Gondishapur, où les nestoriens qui fuyaient les persécutions trouvèrent refuge. Ces réfugiés apportèrent de précieux travaux grecs et syriens touchant à la médecine et à la philosophie, dont la traduction fut ordonnée par le roi.

    Au début du 7e siècle, Khosro II poursuivit la lutte contre Byzance. Les troupes perses occupèrent Jérusalem, Rhodes et Alexandrie. Elles s’approchèrent suffisamment près de Constantinople pour voir les portes de la ville. Mais ces réussites coutèrent cher à l’Empire. Les longues années de guerre eurent de lourdes conséquences économiques et affaiblirent l’emprise de Khosro II. (À lire Sous Jérusalem, un gigantesque chantier archéologique.)

    Située près de Persépolis, la nécropole de Naqsh-e Rostam abrite les tombes de quatre dirigeants de l’Empire perse du 5e siècle av. J.-C. : Darius Ier, Xerxès Ier, Artaxerxès II et Darius II. Des siècles plus tard, les rois sassanides firent sculpter des reliefs sur la partie inférieure des sépultures afin de commémorer leurs propres exploits et les associer aux dirigeants antiques qu’ils considéraient comme leurs ancêtres. Outre la victoire de Châhpuhr Ier face à l’empereur romain Valérien, les exploits accomplis par des rois ultérieurs sont également représentés, tout comme une scène illustrant l’investiture d’Ardashir Ier, le fondateur de la dynastie, par la divinité zoroastrienne Ahura Mazda.

    PHOTOGRAPHIE DE SURA ARK/GETTY IMAGES

    Le retour militaire de Byzance et l’assassinat de Khosro II en 628 conduisirent à une période de déclin. Au Sud, la puissance arabe était grandissante et leurs dirigeants avaient conscience de l’état de faiblesse dans lequel se trouvaient les Sassanides. Ils attaquèrent pour la première fois les villes perses en 633 apr. J.-C., avant d’occuper Ctésiphon trois ans plus tard. Les forces arabes renversèrent le dernier roi sassanide, Yazdgard III, en 651. L’islam devint la religion principale, mais les réfugiés perses emportèrent avec eux la foi zoroastrienne à l’Est, en Inde.

    Les destructeurs de l’Empire sassanide devinrent ses héritiers. Les nouveaux venus arabes conservèrent et diffusèrent avec passion les nombreux recueils d’apprentissage de Gondishapur et d’autres centres. La flamme de l’érudition, allumée par les rois sassanides, finira par parvenir jusqu’en Europe, où elle aidera à la transformation des sociétés.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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