La Partition des Indes, l'aboutissement sanglant d'une lutte pour l'indépendance

En 1947, après des siècles sous le contrôle britannique, l'Inde fut divisée en deux nations distinctes : une partition hasardeuse qui engendra des violences extrêmes. 75 ans plus tard, les souvenirs de cet événement hantent encore les survivants.

De Erin Blakemore
Publication 5 août 2022, 17:22 CEST
Des personnes font de l'exercice dans un camp de réfugiés indiens pour échapper au désespoir qui ...

Des personnes font de l'exercice dans un camp de réfugiés indiens pour échapper au désespoir qui a suivi la partition de l'Inde et du Pakistan en 1947. Kurukshetra abritait l'un des plus grands camps en raison de sa proximité avec la frontière qui a permis de créer deux États indépendants à partir de l'ancienne colonie britannique.

PHOTOGRAPHIE DE Henri Cartier-Bresson, Magnum

La nuit du 13 août 1947, Suri Sehgal, 13 ans, était tellement surexcité qu’il n’arrivait pas à dormir. Le lendemain, il assisterait au retrait du drapeau britannique et à la levée d’un nouveau drapeau dans sa province natale du Punjab. Sa ville, qui faisait autrefois partie de l’Inde, ferait désormais partie d’une nouvelle nation appelée Pakistan. Avec ses nouvelles délimitations, l’Inde deviendrait un État autonome dès le lendemain.

M. Sehgal se souvient de la gare de Lalamusa où se déroula la cérémonie du drapeau pakistanais, de l’ambiance optimiste et du repas spécial qu’il partagea avec sa famille et ses amis. « Nous avons tous célébré ensemble », se rappelait-il en 2016 dans une histoire orale avec 1947 Partition Archive. « C’était merveilleux. »

Des réfugiés musulmans sont assis sur le toit d'un train surpeuplé près de New Delhi alors qu'ils tentent de fuir l'Inde, le 19 septembre 1947. La partition a exacerbé les tensions religieuses qui couvaient dans le sous-continent. Des millions de musulmans, d'hindous et de sikhs ont été déracinés de leurs foyers ou tués lors d'émeutes.

PHOTOGRAPHIE DE Associated Press

Cependant, en l’espace de quelques heures, la transition tant attendue du pouvoir ainsi que la partition de l’Inde en deux nations (l’Inde majoritairement hindoue et le Pakistan majoritairement musulman) se transforma en un véritable cauchemar. Les tensions qui couvaient depuis des siècles, attisées par le régime colonial qui divisait les populations, dégénérèrent : ce soir-là, M. Sehgal vit avec horreur des centaines de personnes passer en courant, des couteaux et d’autres armes à la main, à la recherche d’hindous à attaquer.

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    Sur cette photographie de 1956, Suri Sehgal, alors étudiant à l'université, est à Mussoorie, une station de montagne de l'Himalaya occidental dans l'État indien d'Uttarakhand. Sehgal a ensuite étudié la génétique végétale à l'université de Harvard et est aujourd'hui un philanthrope qui se consacre au développement rural en Inde.

    PHOTOGRAPHIE DE The 1947 Partition Archive

    Quelques jours plus tard, le père de M. Sehgal, inquiet pour la sécurité de ses enfants à moitié hindous, les poussa dans un train en marche, bondé et étouffant, à la même gare où ils avaient célébré l’indépendance du Pakistan. En route, alors que le train de réfugiés se dirigeait lentement vers le sud de l’Inde, ses occupants furent confrontés aux piles de cadavres qui, dévorés par les vautours, gisaient le long des voies.

    M. Sehgal était l’un des centaines de milliers d’Indiens et de Pakistanais dont la vie fut bouleversée, ou prit fin, lors de ce que l’on appelle aujourd'hui la Partition des Indes. En apparence, la création de deux nations autonomes en août 1947 était une victoire pour celles et ceux qui aspiraient à l’autodétermination ; même s’il fallut attendre plusieurs décennies avant que les habitants de l’actuel Bangladesh n’obtiennent ce droit. Mais d’anciennes tensions latentes et une transition très mal gérée firent de la sortie historique du règne de la Grande-Bretagne un véritable bain de sang.

     

     

    LES ORIGINES COLONIALES DE LA PARTITION

    Les origines de la Partition remontent au 17e siècle, lorsque la Compagnie britannique des Indes orientales, une société privée spécialisée dans le commerce des richesses indiennes telles que les épices et la soie, commença à acquérir des terres indiennes, à prendre le contrôle des gouvernements locaux et à adopter des lois qui allaient à l’encontre des traditions culturelles ancestrales.

    En 1857, les soldats indiens se mutinèrent, ce qui incita le gouvernement britannique à dissoudre la compagnie et à prendre le contrôle de l’Inde. Le nouveau Raj britannique nomma alors des fonctionnaires, dont beaucoup n’avaient jamais mis les pieds en Inde, afin de maintenir sa colonie dans le droit chemin. Ces administrateurs britanniques privilégiés et leurs familles vivaient dans la richesse et le luxe, tandis que la plupart des Indiens vivaient dans la pauvreté.

    Alors qu’elle dépouillait l’Inde de ses richesses et tirait profit de ses ressources naturelles, la Grande-Bretagne subdivisa 60 % du pays en provinces et reconnut des centaines « d’États princiers », des entités autonomes préexistantes supervisées par des monarques locaux.

    Afin de maintenir sa domination, le Raj britannique mit délibérément l’accent sur les différences entre les communautés religieuses et ethniques. Comme l’explique le géographe A. J. Christopher, les administrateurs coloniaux utilisèrent des caractéristiques telles que la religion et la couleur de la peau pour ségréguer et isoler leurs sujets. Ils finirent par établir un rôle politique limité pour les Indiens, mais le processus d’obtention de ces postes montait souvent les hindous et les musulmans les uns contre les autres.

    Lord Curzon, le vice-roi britannique des Indes, accentua encore ces divisions lorsqu’il sépara en 1905 la plus grande province de l’Inde, le Bengale, en deux régions distinctes : l’une à majorité musulmane, l’autre à majorité hindoue. Colonialiste convaincu de l’infériorité des Indiens, Curzon dut faire face à une forte résistance à cette tentative de « diviser pour mieux régner ». Même si cette tentative de partition ne dura que jusqu’en 1911, elle alimenta un mouvement d’indépendance au sein du Congrès national indien, un parti politique qui avait été créé par des élites éduquées dans l’objectif de négocier avec le Raj britannique. Elle stimula également la formation de la Ligue musulmane, un parti politique militant pour les droits des musulmans en Inde.

     

    LA LUTTE POUR L’INDÉPENDANCE

    Au début du 20e siècle, l’avocat et homme politique Mohandas « Mahatma » Gandhi fut élu au Congrès national indien et commença à faire pression pour obtenir l’indépendance par la désobéissance civile non violente. Cependant, les boycotts, manifestations et marches se heurtèrent à la brutalité et à la répression de la loi.

    Les autorités britanniques tentèrent d’apaiser les nationalistes en émancipant davantage de personnes et en augmentant leur représentation au sein des gouvernements locaux. Ces réformes ne profitèrent toutefois qu’à un petit groupe d’Indiens : en 1935, seuls 12 % des citoyens avaient le droit de vote.

    Par la suite, le Royaume-Uni entra dans la Seconde Guerre mondiale et entraîna l’Inde avec lui. Contraints de défendre les intérêts de leurs colonisateurs avec leurs propres vies, de nombreux Indiens s’opposèrent à la guerre. Pour obtenir leur soutien, le gouvernement britannique proposa à l’Inde de devenir un dominion britannique, c’est-à-dire un État indépendant qui pourrait se gouverner lui-même sous la supervision des Britanniques. Le Congrès national indien rejeta ce projet et, en 1942, Gandhi lança le mouvement « Quit India », une campagne de désobéissance civile généralisée exigeant l’indépendance immédiate. La réponse de la Grande-Bretagne fut d’arrêter Gandhi et d’autres dirigeants, et de faire du Congrès national indien un parti hors-la-loi.

    La police de Calcutta utilise des bombes lacrymogènes pendant les cinq jours d'émeutes entre musulmans et hindous qui ont embrasé la ville en 1946. Provoquées par des visions opposées d'une Inde indépendante, on estime que 4 000 personnes ont été tuées dans ces émeutes et que 10 000 ont été blessées.

    PHOTOGRAPHIE DE Keystone, Getty Images

    Cette mesure se retourna contre les Britanniques. La répression poussa de nombreuses personnes qui ne soutenaient jusqu’alors pas l’indépendance à se joindre à la cause. Des émeutes et des détentions massives s’ensuivirent, et le mouvement « Quit India » fut réprimé. Ce dernier, ainsi que la méfiance semée par une famine catastrophique au Bengale qui fit des millions de morts en 1943, convainquirent néanmoins les dirigeants britanniques que l’avenir de l’Inde en tant que colonie obéissante était voué à disparaître.

     

    DEUX VISIONS DE L’INDÉPENDANCE

    Alors que l’indépendance de l’Inde semblait se rapprocher, les divisions entre le Congrès national indien et la Ligue musulmane s’accentuèrent.

    Gandhi et Jawaharlal Nehru, un autre dirigeant du Congrès national, pensaient depuis longtemps qu’une Inde indépendante devait être une nation unique et unifiée. Cependant, même si la Ligue musulmane était également favorable à cette autonomie, son dirigeant Muhammad Ali Jinnah abandonna publiquement la cause d’une Inde unifiée en 1940.

    Bien que le Congrès national indien se présentait comme le parti de tous les Indiens, les membres de la Ligue musulmane craignaient tout de même qu’il ne représente que les intérêts des hindous. Selon Jinnah, une Inde unifiée offrirait aux hindous la possibilité de contrôler la minorité musulmane : ainsi, le parti demanda l’autonomie par la création d’une nouvelle nation, appelée Pakistan.

    La situation devint encore plus tendue suite à l’échec des pourparlers entre les deux groupes en 1946, et à l’appel de Jinnah à une « journée d’action directe » de protestation des musulmans. « Nous aurons soit une Inde divisée, soit une Inde détruite », déclara-t-il.

    Cet appel eut des conséquences catastrophiques. Le 16 août 1946, des émeutes entre musulmans et hindous éclatèrent à Calcutta, la capitale de la province du Bengale. « L’air était électrique », écrivait un responsable militaire dans un rapport. « Le résultat de cette émeute [fut] une méfiance totale entre les communautés. » On estime que le conflit fit 4 000 morts, 10 000 blessés et 100 000 sans-abris.

    Des membres de la Ligue musulmane manifestent en faveur de la partition de l'Inde et de la création de l'État du Pakistan à Londres, en août 1946. Les musulmans craignaient que leurs préoccupations soient ignorées en tant que minorité religieuse dans une Inde indépendante unifiée.

    PHOTOGRAPHIE DE Hulton-Deutsch Collection, Corbis via Getty Images

    UNE PARTITION HASARDEUSE

    Alors que l’Inde était au bord de la guerre civile, l’intérêt de la Grande-Bretagne à maintenir son contrôle déclinant s’évapora. En mars 1947, face à la pression internationale pour se retirer, George VI envoya son cousin, Lord Louis Mountbatten, en Inde afin de gérer le retrait de la Grande-Bretagne.

    Mountbatten réussit à convaincre les dirigeants d’accepter la création de deux nouveaux États : l’Inde à majorité hindoue et le Pakistan à majorité musulmane. Cependant, bien qu’on lui laissa un an pour accomplir sa tâche, il précipita sa mission, ne donnant à Cyril Radcliffe, un avocat britannique qui n’avait jamais mis les pieds en Inde, que cinq semaines pour diviser le pays en deux et délimiter les frontières des nouvelles nations.

    Les États princiers pouvaient décider de la nation à laquelle ils souhaitaient se joindre, et Radcliffe et son équipe avaient pour consigne de tracer des frontières qui respectaient les majorités religieuses et privilégiaient les frontières contiguës. La « ligne Radcliffe » était facile à tracer dans les régions à majorité distincte, mais Radcliffe ne tarda pas à constater que les groupes religieux étaient dispersés dans toute l’Inde. Il était donc particulièrement difficile de tracer une ligne dans des régions comme le Bengale et le Pendjab, où les populations hindoues et musulmanes étaient presque égales.

    Finalement, Radcliffe et son équipe, dont aucun membre n’avait de réelles expertises en cartographie ou en politique et culture indiennes, divisèrent les deux provinces en deux, et en attribuèrent environ la moitié à chaque nouvelle nation. Par conséquent, le nouveau Pakistan ne serait pas un territoire unique, mais serait divisé en deux parties distinctes, chacune d’un côté de l’Inde : la majeure partie du pays, appelée Pakistan occidental, se trouvait au nord-ouest de l’Inde, et la plus petite, le Pakistan oriental, se trouvait au Bengale, à l’est de l’Inde.

    Cette décision fut désastreuse : des centaines de milliers d’hindous et de musulmans se retrouvèrent coincés dans la « mauvaise » nouvelle nation, et le Bengale fut séparé du reste du Pakistan par plus de 1 500 kilomètres.

    Les 14 et 15 août 1947, le Pakistan et l’Inde devinrent des dominions de la Couronne britannique, étant assurés de devenir un jour totalement indépendants. Mountbatten refusa cependant de publier les cartes pendant deux jours afin de maintenir l’attention du monde sur la bonté de la Grande-Bretagne.

    Mohandas « Mahatma » Gandhi, au centre, visite le camp de réfugiés musulmans de Purana Qila à New Delhi, en Inde, le 22 septembre 1947. S'étant retrouvés du mauvais côté de la frontière à la suite de la Partition, les habitants du camp se préparent à partir pour le Pakistan.

    PHOTOGRAPHIE DE ACME, AFP via Getty Images

    DE VIOLENTES CONSÉQUENCES

    Ce que la Grande-Bretagne présenta comme un triomphe était en réalité le début de la plus grande migration humaine de l’Histoire, ainsi que l’un des épisodes les plus violents de l’humanité. Ne sachant pas exactement où les frontières avaient été tracées et dans quel pays elles vivaient, près de 18 millions de personnes firent leurs bagages et se mirent en route pour rejoindre le « bon » pays.

    La confusion et la peur qui en résultèrent attisèrent les tensions entre les hindous et les musulmans. Après des années de discours de plus en plus opposés, les vieilles rancunes devinrent mortelles et une nouvelle animosité éclata entre les peuples dont les statuts de minorité et de majorité avaient soudainement changé. Des agresseurs enlevèrent et violèrent des dizaines de milliers de femmes ; des personnes massacrèrent des membres de leur propre famille. Des foules attaquèrent des réfugiés et des villageois, mirent le feu à des bâtiments, pillèrent des maisons et des commerces, et commirent de véritables massacres.

    La violence était particulièrement terrible au Pendjab et au Bengale. Au Pendjab, d’anciens soldats qui avaient combattu pendant la Seconde Guerre mondiale utilisèrent leurs armes pour le compte des élites locales qui, selon l’historienne Mytheli Sreenivas, « profitèrent du chaos de la partition pour régler de vieux comptes, revendiquer des terres et assurer leur propre pouvoir politique et économique ». Malgré le fait que les pays étaient techniquement des dominions, la Grande-Bretagne ne fit rien pour dissiper la violence.

     

    L’HÉRITAGE DE LA PARTITION DES INDES

    Selon les estimations, lorsque la violence s’estompa aux alentours de 1950, 3,4 millions de personnes avaient disparu ou perdu la vie, et les deux nations furent à jamais transformées. En 1948, Gandhi fut assassiné par un nationaliste hindou qui l’aurait jugé trop pro-musulman.

    Pendant ce temps, la géographie inhabituelle du Pakistan engendra des tensions entre l’Est et l’Ouest qui finirent par déboucher sur la revendication de l’indépendance du Pakistan oriental. Abritant 56 % de la population pakistanaise, ce dernier recevait pourtant moins de fonds et avait moins de pouvoir politique que son homologue occidental. En 1971, après des décennies de discorde, le Bangladesh déclara donc son indépendance. Malgré les efforts du Pakistan pour réprimer le soulèvement, efforts qui déclenchèrent un génocide qui tua 3 millions de civils et une guerre sanglante qui dura huit mois, le Bangladesh devint officiellement une démocratie indépendante et laïque en 1972.

    Dans les soixante-quinze années qui suivirent, les différends territoriaux entre l’Inde et le Pakistan continuèrent à couver, donnant lieu à quatre guerres et à des attaques transfrontalières permanentes. La Partition est encore un sujet sensible pour un bon nombre des personnes qui la vécurent directement, comme Suri Sehgal. Si toute sa famille survécut et parvint à se réunir en Inde fin 1947, d’autres n’eurent pas cette chance. Les pertes et les souvenirs de ces jours sanglants et incertains hantent encore de nombreux Indiens, Pakistanais et Bangladais.

    La Border Security Force indienne et les Rangers pakistanais (en noir) abaissent leurs drapeaux respectifs lors du Beating Retreat quotidien à la frontière Wagah-Attari, le 15 novembre 2021. Tradition britannique de longue date, cette cérémonie signale le retour des troupes des deux pays à la fin de la journée, au moment de la fermeture de la frontière.

    PHOTOGRAPHIE DE Narinder Nanu, AFP via Getty Images

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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