Mexique : ce sentier de randonnée retrace l’histoire des Mayas

Le Camino del Mayab, à la fois sentier de randonnée et piste cyclable, traverse des sites mayas guettés par l’oubli.

De RICHARD COLLETT
Publication 13 sept. 2022, 12:40 CEST
uayalceh hacienda

La Hacienda Uayalceh est l’un des nombreux domaines espagnols que l’on rencontre sur le Camino del Mayab, un sentier construit avec le concours de communautés mayas dans la péninsule du Yucatán au Mexique.

PHOTOGRAPHIE DE Richard Collett

À l’ouest des plages touristiques de Cancún, un dédale de sentiers anciens et de lignes de chemin de fer désaffectées a vu le jour : le Camino del Mayab (la Voie des Mayas),  le premier sentier de randonnée longue distance du Mexique.

Peaufiné avec les Mayas de la région, le sentier retrace l’histoire des peuples autochtones du Mexique et a notamment pour objectif d’émanciper de l’exploitation coloniale et de l’érosion culturelle les quatorze communautés vivant le long de son parcours d’une centaine de kilomètres.

Cette excursion de trois jours à vélo ou de cinq jours à pied mène au cœur du monde maya du Yucatán. De Dzoyaxché, petite communauté construite autour des murs jaune pâle d’une hacienda du 19e siècle située à une vingtaine de kilomètres au sud de Mérida, jusqu’au temple de Mayapán, une des dernières grandes cités mayas.

PHOTOGRAPHIE DE Richard Collett

« Le but principal du Camino del Mayab est de protéger la culture, l’histoire et l’héritage des communautés mayas, et tout ce qui est menacé de disparition », explique Alberto Gabriel Gutiérrez Cervera, directeur d’EcoGuerreros, organisme de défense de l’environnement ayant participé à la construction du sentier et œuvrant à sa gestion. « Le Camino del Mayab n’est pas uniquement un projet pour les touristes, c’est un projet bénéficiant aux membres de l’ensemble des communautés. »

Au 16e siècle, après la conquête espagnole du Yucatán, les Mayas furent relégués au bas du système de castes raciales imposé par les colons européens. La langue maya fut supplantée par l’espagnol, les temples furent détruits et on se servit de leurs pierres pour construire des églises.

D’après Alberto Gabriel Gutiérrez Cervera qui est lui-même d’ascendance maya, les Mayas sont, aujourd’hui encore, défavorisés sur leur terre natale. L’horizon restreint des régions rurales force bon nombre d’entre eux à aller trouver du travail dans le secteur du bâtiment à Mérida ou dans des hôtels à Cancún, ce qui érode encore davantage la culture maya.

Cependant, il garde bon espoir que le Camino del Mayab soit vecteur de changement. « Nous voulons, grâce au tourisme, proposer une alternative qui permette aux gens de choisir de rester au sein de leur communauté » commente-t-il.

 

HISTOIRE DES HACIENDAS

Il y a 3 000 ans environ, les premières cités mayas virent le jour dans des forêts défrichées semblables à celles qui bordent Dzoyaxché, où je me joins à un petit groupe parcourant le Camino del Mayab à vélo. Au 7e siècle de notre ère, la civilisation maya occupait la majeure partie de l’Amérique Centrale et du sud du Mexique, et y avait construit des temples monumentaux comme ceux de Chichén Itzá (Mexique) et de Tikal (Guatemala).

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    Gauche: Supérieur:

    Des touristes se dirigent vers la Hacienda Yaxcopoil, une des nombreuses exploitations espagnoles qui faisaient pousser du sisal au 19e siècle. C’est sur cet « or vert » que s’est bâtie la richesse de ces fermes familiales. Désormais, les haciendas comme celle-ci servent à raconter l’histoire des Mayas.

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    Une des salles à manger de la Hacienda Yaxcopoil. « L’histoire du Yucatán moderne, c’est l’histoire des haciendas », selon Israel Ortiz, community manager et guide de randonnée sur le Camino del Mayab.

    Photographies de Richard Collett

    Au 9e siècle, sécheresses, guerres et surpopulation menèrent l’empire maya à sa chute. Quand les Européens arrivèrent à la fin du 15e siècle, la civilisation maya avait rebondi mais cela ne l’empêcha pas de faire les frais de l’invasion des colons espagnols. Les conquistadors commencèrent à ravager le Yucatán en 1527 et, en 1542, ils fondèrent Mérida en lieu et place de Ti’ho, une ancienne cité maya. Le colonialisme et les maladies importées du Vieux Continent dévastèrent les Mayas et les colons se partagèrent leur territoire.

    De nos jours, la vie des communautés mayas habitant le long du Camino del Mayab tourne autour des « haciendas », des domaines organisés autour de grandes maisons centrales créés par les Européens après la conquête espagnole. « L’histoire du Yucatán moderne, c’est l’histoire des haciendas », déclare Israel Ortiz, community manager et guide de randonnée chez EcoGuerreros.

    Au 19e siècle, les haciendas du Yucatán faisaient pousser des quantités faramineuses de sisal, une sorte d’agavé fibreux qui permet de fabriquer de la corde. Cet « or vert » permit à Mérida de s’enrichir considérablement. Mais cela se fit au détriment des Mayas que l’on réduisit en quasi-esclaves.

    Ce système perdura jusqu’à ce que l’on remplace le sisal par des produits de synthèse après la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, la plupart des maisons majestueuses autrefois occupées par les hacendados (les propriétaires des haciendas) ne sont plus que des ruines fantomatiques et abandonnées où les cyclistes comme nous viennent s’abriter du Soleil.

    Certaines, comme la Hacienda Yaxcopoil, où nous nous arrêtons peu après le début de notre périple pour un petit cours d’Histoire, ont été transformées en musées et proposent désormais des services hôteliers. Cependant, « rien n’a vraiment changé », fait remarquer Israel Ortiz, « car c’est la même famille qui possède la Hacienda Yaxcopoil depuis 200 ans ».

     

    VIVRE SUR LA VOIE DES MAYAS

    Après une brève halte à la Hacienda Yaxcopoil, nous passons notre première nuit dans des cabanons aux toits de chaume à San Antonio Mulix avant de nous remettre en route le lendemain matin pour nous rendre à Abalá. Nous empruntons les anciennes routes du sisal et passons devant des apiculteurs qui travaillent dans la forêt. Notre guide nous désigne des marques que les chasseurs apposent sur les arbres pour se repérer. Pris par un élan de joie pure, nous freinons dans un silence feutré à la vue d’un motmot (un « toh » en maya) qui émerge d’un puits abandonné. Les Mayas croyaient que cet oiseau turquoise pouvait indiquer l’emplacement des sources d’eau aux voyageurs.

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    Les randonneurs et les cyclistes qui parcourent le sentier passent la nuit dans des hébergements sans prétention comme ce cabanon traditionnel au toit en chaume.

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    Le parcours est jonché de cénotes, des dolines remplies d’eau qui revêtaient un caractère sacré pour les Mayas.

    Photographies de Richard Collett

    En nous enfonçant dans la forêt, nous nous arrêtons de temps en temps devant l’un des 3 000 cénotes qui parsèment la péninsule. Ces dolines remplies d’eau douce sont devenues l’une des attractions touristiques les plus pérennes de la région et procurent de l’argent aux familles qui possèdent collectivement ces terres.

    Ces cénotes étaient avant tout dédiés à des déités mayas comme Chaac (dieu de la pluie) ou étaient considérés comme des portails menant à Xibalba (les Enfers mayas). Il est donc parfois difficile de concilier leur aspect touristique avec ces traditions passées. L’un d’eux, le cénote de Kankirixché, contient encore des restes humains et des reliques utilisées lors de rituels mayas. « Pour les Mayas, les cénotes sont sacrés », indique Israel Ortiz.

    La situation est délicate et Israel Ortiz préférerait que les communautés s’occupent elles-mêmes du tourisme plutôt que de les voir vendre leurs ressources naturelles au plus offrant.

    En arrivant à Abalá, nous sommes de nouveau témoins des efforts fournis par les habitants de la région pour rétablir leur culture. À la Maison des artisans d’Abalá, tenue par Jose Pech Remi, les étagères sont garnies de produits traditionnels du Yucatán : huipils (chasubles traditionnelles), statues de jaguar sculptées à la main, miel produit localement, etc. « Beaucoup de personnes travaillent la terre ici, mais elles ne gagnent pas beaucoup d’argent, indique Jose Pech Remi. La vente d’objets artisanaux [traditionnels] procure un revenu supplémentaire à ces personnes [et] permet de protéger notre culture et nos racines. »

    Cette remarque revêt toute son importance lorsqu’il nous décrit les problèmes d’alcool et d’addiction que rencontre la communauté ; ceux-ci trouvent leur source dans un long passé d’inégalités économiques. En plus de sa boutique, Jose Pech Remi a créé une fondation dont le but est de susciter de nouvelles aubaines. Il organise par exemple des événements culturels incluant concerts, gastronomie et étals de marché, qui constituent une source de travail immédiate pour les habitants de la région et permettent de mettre en avant la culture d’Abalá.

    Elsie Maria Neydi Bacab, comme de nombreuses femmes de la région, est à la tête d’un restaurant communautaire (à Mucuyché) qui sert des plats traditionnels faits maison.

    PHOTOGRAPHIE DE Richard Collett

    « Les traditions, les connaissances traditionnelles et la langue maya sont les caractéristiques les plus importantes de la culture maya, ajoute Alberto Gabriel Gutiérrez Cervera. Être Maya, cela signifie préserver la forêt, l’eau, les animaux et les plantes. Cela signifie préserver la [technique agricole de la] Milpa et l’enseigner aux générations suivantes, pratiquer [la cérémonie religieuse] du Chaa Chaak pour faire venir la pluie, et de fêter Hanal Pixan [version maya du Jour des Morts mexicain dont le sens littéral est « de la nourriture pour les esprits »] pour se souvenir des morts. »

    Le troisième et dernier matin, nous prenons des forces au Restaurante Communitario, un ancien bâtiment abandonné transformé en restaurant et géré par les femmes de Mucuyché. L’établissement propose des alternatives maison aux offres de la Hacienda Mucuyché, située de l’autre côté de la route, lieu très prisé des touristes et propriété de Xcaret, entreprise exploitant des parcs à thème tout le long de la Riviera Maya.

    Elsie Maria Neydi Bacab y prépare, entre autres plats, des papadzules (des tortillas de maïs remplies d’œufs durs et couvertes de sauce salsa), des tamales (de la pâte de maïs bouillie et garnie de viande et de légumes) et du chuuc (du porc grillé mariné dans des agrumes). « Être Maya, c’est être fier », affirme-t-elle. Le fait de proposer ces plats, de se vêtir d’une huipil faite à la main et de continuer à parler le maya sont autant de façon de préserver les traditions, ajoute-t-elle.

    Revigorés, nous roulons le long de sentiers envahis par les mauvaises herbes, à la végétation et à la faune riche, et poussons vers Mayapán, extrémité du Camino del Mayab, où nous laissons nos vélos près d’un portail. Les jambes brûlantes et les muscles endoloris, nous gravissons des marches de pierre abruptes pour atteindre le sommet du temple de Kukulkan, pièce maîtresse de cette ancienne capitale maya. De ce point de vue privilégié, j’aperçois les forêts du Yucatán et l’itinéraire que nous avons emprunté se déroule devant nos yeux.

    D’après Israel Ortiz, il ne fait aucun doute que le Camino del Mayab constitue un reto, un défi. Mais c’est également l’occasion de découvrir une partie du Mexique que peu de voyageurs ont la chance de parcourir, une région éloignée de la mentalité all-inclusive d’autres destinations mexicaines plus prisées. Alberto Gabriel Gutiérrez Cervera envisage de faire du Camino del Mayab une maille de sentiers encerclant l’ensemble de la péninsule du Yucatán afin que davantage de voyageurs puissent prendre part à cette forme ambitieuse de tourisme communautaire.

    « Sur le Camino del Mayab, vous ne faites pas que voyager, prévient Alberto Gabriel Gutiérrez Cervera. Vous rendez quelque chose à l’endroit que vous visitez. »

    Richard Collett, journaliste voyage vivant au Royaume-Uni, s’intéresse aux destinations s’écartant des sentiers battus et aux curiosités culturelles. Suivez-le sur Instagram.

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